« Des hommes qui lisent » d’Edouard Philippe est un livre au style généreux comme on aimerait en voir plus souvent. S’il fallait le classer dans un genre, on pourrait mettre dans la case « Autoportrait en costume de lecteur ».
Dans cette catégorie sont déjà parus des ouvrages inoubliables, certains très remarquables comme « Une histoire de la lecture » ou « La bibliothèque la nuit » d’Alberto Manguel. Deux livres que j’invite vivement à lire car ils ont été écrits pour donner envie d’ouvrir une infinité d’autres livres. J’aime les auteurs qui donnent envie de lire d’autres auteurs : c’est pour cela (pour donner envie de lire Jules Verne, Jean de La Fontaine ou Boris Vian) que j’ai écrit « Ramsès au pays des points-virgules » et c’est la raison pour laquelle j’y avais inventé le personnage de l’oncle Sigismond, le bouquiniste qui veut donner à sa nièce l’envie de lire une foule de bouquins…
Ceci étant dit pour préciser pourquoi j’aime tant les « autoportraits en costume de lecteurs ».
Mais je n’avais jamais rencontré jusqu’à présent d’ « autoportrait en costume de lecteur » écrit par un premier ministre.
J’ai lu « Des hommes qui lisent » avec enthousiasme, presque d’une traite, avec cette fébrilité joyeuse que l’on éprouve en découvrant la bibliothèque d’un ami. Edouard Philippe est un homme politique. Depuis plusieurs semaines, plusieurs mois, même, son nom est la une de tous les médias, il est notre nouveau premier ministre… À l’époque où il écrivait ce livre il était maire du Havre, un maire ouvert sur la culture, désireux de développer la lecture par une politique publique intelligente et novatrice comme savent souvent en mener les élus des collectivités territoriales quand ils prennent le temps d’y penser ou d’écouter celles et ceux qui y pensent : nous avons beaucoup de chance en France d’avoir des libraires et des bibliothécaires souvent passionnés par leur travail. En écrivant ce livre, il avait d’abord pensé écrire un livre sur les politiques publiques de la lecture. En cours de rédaction, cet ouvrage s’est transformé en un objet infiniment plus généreux et humain : un autoportrait en costume de lecteur mais aussi un hommage émouvant et magnifique à son père : Patrick Philippe, un enseignant, professeur de français puis principal de collège, passionné de littérature et particulièrement du poète florentin Dante Aligheri. C’est à propos de ce poète qu’Edouard Philippe raconte une scène d’initiation à la lecture particulièrement marquante émouvante et amusante. Un instant de vie qui est comme la première note d’un accord dont les résonances dureront longtemps, bien longtemps après elle. Alors qu’il venait d’apprendre les premiers rudiments de la lecture au cours préparatoire, son papa pour vérifier qu’il savait bien lire, lui met un livre entre les main : « La Divine Comédie » de Dante. Il lui demande de déchiffrer les premières lignes :
« Au milieu du chemin de notre vie,
Je me retrouvai par une forêt obscure… »
Quelques dizaine d’années plus tard, Edouard Philippe raconte à son tour, au milieu du chemin de sa vie son parcours dans la forêt des livres, un parcours qui l’a construit comme homme, homme de culture et de convictions, devenu homme d’action, décideur politique…
Ce récit de voyage dans un monde de livres est un récit généreux car il est un partage, une invitation à lire, à voyager, à penser mais aussi à agir et à écrire. Ce livre est un questionnement : comment peut-on transmettre le plaisir de lire ? Qu’est-ce que cette lecture par laquelle chacun d’entre nous se construit ? Comment se prépare cette ascension dans des montagnes de livres ? Edouard Philippe ne prétend pas que ce voyage dans les mots soit facile, il a la modestie d’avouer qu’avant de devenir lui-même auteur, il a dû franchir des obstacles. Il n’était, paraît-il pas un champion d’orthographe lorsqu’il était enfant. Mais il raconte comment, lorsqu’il était étudiant à Science-Po son professeur d’histoire, africain d’origine Zaïroise (c’est ainsi que l’on appelait alors la République démocratique du Congo) : Elikia M’Bokolo a su le convaincre qu’être soucieux de son orthographe était une politesse adressée au lecteur. Il raconte aussi comment ce même Elikia M’Bokolo lui avait conseillé la lecture passionnante de « L’idée coloniale en France de 1871 à 1962 » de Raoul Girardet. Une lecture qui avait su lui ouvrir l’esprit au fait que l’on est obligé d’envisager le monde et son histoire dans ses complexités qui ne peuvent se résoudre à des simplifications binaires. Aujourd’hui, Raoul Girardet peut remercier Elikia M’Bokolo et Edouard Philippe, après avoir lu « Des hommes qui lisent » j’ai une immense envie de me plonger à mon tour dans « L’idée coloniale en France de 1871 à 1961 ». Ce n’est qu’un titre parmi les nombreux autres livres encore cités par Edouard Philippe pour inviter à les explorer (et cela va de Raymond Aron à Alexandre Dumas en passant par Robert Littell l’auteur de « Requiem pour une révolution ») … N’allez toutefois pas vous imaginer que ce texte ne soit qu’un catalogue bibliographique. Il est infiniment plus que cela : un récit biographique, vivant, rythmé haletant même où l’on découvre que la boxe a des aspects littéraire insoupçonnés. Ce livre se lit comme un roman. Signe que poétique et politique sont parfois plus voisins qu’on ne le pense…
Car la conclusion enthousiasmante de ce livre c’est qu’au milieu du chemin d’une vie où l’on a déjà eu le bonheur de lire de nombreux auteurs, il reste encore de nombreux ouvrages à ouvrir qui deviennent une fois refermés de nouvelles clefs pour en ouvrir d’autres…
Un premier ministre qui partage ses lectures fait preuve de la plus belle générosité car la littérature est une richesse inépuisable, une monnaie d’échange bien supérieure à toutes les autres qui défie les règles de fonctionnement les plus obtuses de la rigueur financière…
Je vous invite vivement à ouvrir « Des hommes qui lisent » et plus vivement encore à multiplier tous les plaisirs de lecture, il n’y pas que les premiers ministre qui écrivent… Edouard Philippe invite d’ailleurs à lire un obscur fonctionnaire des eaux et forêts dénommé Jean de La Fontaine, célèbre auteur de « fables choisies mises en vers » qui sont aussi de délicieux petits pamphlets politiques contre les prétentions des hommes de pouvoir, une invitation à toujours se sentir libre et à ne pas confondre Jupiter et une vieille planche (une simple langue de bois).
« Les Grenouilles, se lassant
De l’état Démocratique,
Par leurs clameurs firent tant
Que Jupin les soumit au pouvoir Monarchique.
Il leur tomba du Ciel un Roi tout pacifique :
Ce Roi fit toutefois un tel bruit en tombant
Que la gent marécageuse, Gent fort sotte et fort peureuse,
S’alla cacher sous les eaux,
Dans les joncs, dans les roseaux,
Dans les trous du marécage,
Sans oser de longtemps regarder au visage
Celui qu’elles croyaient être un géant nouveau ;
Or c’était un Soliveau, » (pour lire la fable intégrale cliquez là)
Pour en savoir plus, écoutez l’interview d’Edouard Philippe sur France-Culture cliquez ici
«Des hommes qui lisent» est disponible chez tous les libraires indépendants, fiche du livre sur leslibraires.fr