Olivier de Serres et Clotilde la poète…

En flânant en touriste dans les collections de Gallica BnF en quête de renseignements sur un célèbre agronome ardéchois nous découvrirons une belle et mystérieuse Clotilde aux étonnants talents littéraires… Qui était cet agronome ? Qui était cette mystèrieuse poète ?

Gravure extraite du livre de la Comtesse Drohojoswska, Les grands agriculteurs… un document Gallica BnF

En 1600, un livre imposant venait de paraître. Il s’imposait tellement que le roi Henry IV se le faisait lire à voix haute chaque soir, pendant une demie-heure. Quel était cet ouvrage ? « Le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs d’Olivier de Serres Seigneur du Pradel ». (Un monumental ouvrage de 1050 pages. Disponible sur Gallica BnF ici.)

Qui en était l’auteur ?

Nous commémorons en ce mois de Juillet 2019 le 400e anniversaire de sa disparition

Fac simile d’un portrait d’Olivier de Serres peint par son fils in « Olivier de Serres » par Henry Vaschalde Document Gallica BnF

C’est une occasion d’en apprendre un peu plus à son sujet en explorant la vaste forêt de livres numériques des collections Gallica BnF.

Olivier de Serres est né en 1539 au domaine du Pradel, à Villeneuve-de-Berg, en Vivarais (Ardèche) où il est mort le 2 Juillet 1619.

À la fin du XIXe siècle Léon Védel (artiste peintre qui souhaitait réaliser un tableau représentant Olivier de Serres recevant Henry IV au domaine du Pradel) a donné de ce domaine une description saisissante « Nous gravissons rapidement une pente assez raide, et nous nous trouvons presque immédiatement à l’orée d’un magnifique bois de chênes. Notre regard se perd sous ces hautes futaies, dans ces.profondeurs ombreuses, à travers ces troncs centenaires que des reflets lumineux dorent çà et là. Soudain, les arbres semblent s’écarter comme un rideau qui s’ouvre, et font place à une immense prairie. 
A droite et à gauche, le bois dresse ses plus belles futaies. Tout au fond, dans une perspective admirablement ménagée, une construction aux murs d’un blanc éclatant, arrête le regard. C’est le Pradel. Ce vaste rectangle, sans ornement, produit de loin l’effet grandiose que fait une masse simple et régulière. Cette première manifestation du passé que nous venons évoquer ne laisse pas que de nous émouvoir. Nous sommes en pleine histoire, et l’homme qui vécut là est une des illustrations de la France. »

Dans ce domaine du Pradel, mais aussi en exil en Suisse durant les guerres de religions, Olivier de Serres a travaillé durant près de quarante ans à son œuvre monumentale « Le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs ». La postérité (qui n’a pas attendu l’apparition de l’internet pour aimer les petites phrases) a retenu de lui quelques formules frappantes :

« Ce n’est pas seulement ce qu’on sème qui rapporte, c’est ce qu’on soigne. »

« Rien de plus grand ne se peut présenter aux hommes que ce qui les achemine vers la conservation de la vie… »

« La terre se délecte en la mutation des semences. » ou encore « Le jus de la betterave, en cuisant, devient semblable au sirop, au sucre, est si beau à voir par sa vermeille couleur. »

Il fut le premier à apercevoir le profit que l’on pouvait tirer du jus de la betterave, le premier également à avoir écrit sur la culture des vers à soie (qui allait faire la fortune de l’industrie textile, notamment dans le quart sud-est de la France, à Lyon).

Pour lui, «Nul bien ne s’obtient sans peine. C’est une vérité de tous les temps, acceptée par Columelle et vérifiée par les effet, que pour faire une bonne maison il faut joindre ensemble le savoir, le pouvoir, le vouloir.»

Mais au fait, Olivier de Serres a-t- réellement disparu il y a 400 ans ? N’a-t-il pas survécu grâce au rayonnement de ses écrits ? Il aimait méditer devant les spectacles de la nature et il le faisait en poète.

En 1858 un curieux petit ouvrage ( Clotilde de Surville et Olivier de Serres, écrit par monsieur A-C. T…) relatait une rencontre entre Olivier de Serres et Clotilde de Surville autour de la région du Vivarais (Ardèche) qui serait injustement méconnue. On y découvre le dialogue suivant où se confirme qu’Olivier de Serres est bien le père de l’agronomie.

« OLIVIER DE SERRES

Les lièvres qu’on voit abonder dans nos champs, 
Ont flatté le palais de tous nos rois gourmands. 

CLOTILDE DE SURVILLE

Je suis loin de vouloir ici vous contredire, 
Mais votre modestie a tort de ne rien dire 
Au sujet des bienfaits dont vous et vos écrits 
Avez doté la France et surtout ce pays. 
Ce n’est pas sans motifs que, même en Angleterre, 
De notre agriculture on vous nomme le père. 
L’exemple et la leçon de cultiver nos champs, 
De les rendre en raisins, en moissons abondants, 
De planter le mûrier, d’augmenter son feuillage, 
Émanent de vos soins, sont votre propre ouvrage. »

Ce dialogue surprenant se termine par un appel d’Olivier de Serres à « produire local » et par un hymne au chemin de fer déclamé par Clotilde de Surville :

OLIVIER DE SERRES

Hélas! pour exploiter tous ces riches produits,
On devait faire appel aux efforts du pays;
Mais on nous préféra l’industrie étrangère;
Nous n’eûmes de nos fers que la triste poussière.

CLOTILDE DE SURVILLE
Heureusement les temps sont aujourd’hui changés.
Napoléon trois règne et nous serons vengés;
D’une ligne de fer je vois déjà la trace ;
L’Ardèche, à cet égard, cesse d’être en disgrâce ;
L’Empereur vers ce but dirige ses efforts ;
Nous n’aurons qu’un regret, c’est d’être chez les morts. »

On peut le constater, Olivier de Serres n’est pas seulement le père de l’Agronomie, à en croire ce dialogue à la gloire des chemins de fer, il est aussi celui du Rétrofuturisme.  Clotilde de Surville et Olivier de Serres exprimaient-ils par ces «regrets» un sentiment «effondriste» face au défis écologiques du futur?  Et tant que nous en sommes aux questions qui était le témoin anonyme de cette scène. Qui était le signataire de l’écrit qui rapporte ce dialogue?

Qui se cache derrière ces initiales: A.C.T. est-ce que ce serait un de mes ancêtres disparu: A.-C. Thiry?

L’ oublié, le poétique, l’hypothétique Archibald-Cleophas Thiry dont personne n’a jamais gardé la trace ?

Et qui était cette Clotilde de Surville qui dialoguait avec Olivier de Serres ? Est-elle la mère de la poésie autant qu’il est le père de l’agriculture ?

Selon le recueil de ses poésies publié en 1827 par Charles Nodier, Clotilde de Surville est née en 1400 ou 1405 et vécut sous « les règnes de Charles VI, de Charles VII, de Louis XI, de Charles VIII et mourut sous Louis XII, plus que centenaire. Les mémoires du temps n’en font aucune mention ; et cependant elle fut connue et appréciée de plusieurs rois de France, d’une nombreuse classe de femme poëtes, qui semblaient reconnaître son étendard... » (Poésie inédites de Marguerite-Éléonore Clotilde de Surville de Vallon et Chalys, 1827 ouvrage disponible ici dans les collections Gallica BnF). 

Avant l’édition de Charles Nodier, ci-dessus évoquée, un premier recueil de Poésies de Clotilde avait été publié par Charles Vanderbourg. Il avait eu tellement de succès qu’il a été plusieurs fois réédité. On peut juger par quelques lignes du charme médiéval de ce premier recueil:

Les fleurs esclozent soubz ses pas;

Parfum de roze est sur sa bousche;

Tout s’embellist des siens appas;

Les fleurs esclozent soubz ses pas:

Est-il de graces qu’il n’ayt pas,

Ou qu’il ne preste à ce qu’il tousche?

Les fleurs esclozent soubz ses pas;

Parfum de roze est sur sa bousche.

On trouve sur le site internet de la Bibliothéque de Lyon une belle édition numérique de la quatrième édition de ce recueil de poésies, ornés de nombreuses gravures (1825) cliquez ici.

En 1858, Eugène Villard publie une biographie de Clotilde intitulée Clotilde de Vallon-Chalys (Clotilde de Surville) : histoire du temps de Charles VII (disponible dans les collections numériques Gallica BnF).

À la lecture de cet ouvrage on découvre un personnage profondément romanesque.

 

En 1876, Henry Vaschalde a publié une BIBLIOGRAPHIE SURVILIENNEDESCRIPTION DE TOUT CE QUI A ÉTÉ ÉCRIT SUR CLOTILDE DE SURVILLE, DEPUIS L’APPARITION DE SES POÉSIES JUSQU’A NOS JOURS. In 8° chez Auguste Aubry, Libraire de la Société des Bibliophiles Français. Imprimerie Roure. Privas. (extrait du Bulletin de la Société des sciences naturelles et historiques de l’Ardèche) qui montre que cette poétesse inconnue suscitait étonnement et controverses parmi les auteurs qui l’avaient étudiée. Il suffit d’évoquer quatre ouvrages :

Antonin MACÉ. Un procès d’histoire littéraire. Les poésies de Clotilde de Surville. Etudes nouvelles suivies de documents inédits  (Extrait du Bulletin de l’Académie delphinale, 3e série, tome V), Grenoble, 1870 (disponible chez Gallica BnF) 187 pages. [L’auteur tient les poésies pour authentiques ; son ouvrage contient des documents du plus vif intérêt, communiqués par les héritiers de Madame de Surville].

Anatole LOQUIN . Réponse à M. Antonin Macé. Les poésies de Clolilde de Surville. Etude. (Extrait des Actes de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux, année 1873), Bordeaux et Orléans, 1873, 244 pages. [Réfutation facile et peut-être trop copieuse de l’ouvrage
précédent.]

Eugène VILLEDIEU Marguerite de Surville, sa vie, ses œuvres, ses descendants devant la critique moderne. (disponible dans les collections Gallica BnF), Paris et Privas, 1873, 8°, XVI-428 pages, met une éloquence intarissable au service de la cause de Clotilde. Son ouvrage contient de nombreux et utiles renseignements sur la famille de Surville].

En 1888 une étude bibliographique et littéraire signée de l’abbé ** et intitulée Marguerite de Surville et ses poésies publié à la Librairie des bibliophiles (disponible dans les collections Gallica BnF) loue la qualité du travail d’Eugène Villedieu : « Un de nos Écrivains, avantageusement connu dans le monde des Lettres, M. E. de Villedieu, a donné une Étude développée sur Marguerite (Clotilde) de Surville et ses poésies. C’est un livre important, qui a eu l’adhésion chaleureuse d’un bon nombre de nos éminents littérateurs, poètes ou érudits, et celle de connaisseurs très distingués, tels que Germer-Durand, en choses esthétiques du Moyen-âge et des temps modernes […] Son ouvrage est, en résumé, une œuvre considérable, et, de beaucoup, la plus complète de toutes celles qui ont été publiées sur ce sujet. C’est, en même temps, un service signalé rendu aux Lettres et à la vérité historique. »

Léon Védel nous apprend dans sa description du domaine du Pradel que la famille de Surville avait hérité du domaine d’Olivier de Serres : « La famille de Serres posséda le Pradel jusqu’en 1691. Cette année, Marie de Serres, dernière descendante directe de l’illustre agronome, l’apporta en dot à un seigneur de Mirabel. Il resta dans cette maison jusqu’à la mort de Madame Pauline de Mirabel, veuve du marquis de Surville, le héros royaliste de 1798, et l’auteur, un moment présumé des poésies de Clotitde de Surville… » Le même auteur précise dans une note que « Un livre ce M. A. Mazon, fruit de laborieuse» recherche et d’un profond savoir MargueriteChâlis et la légende de Clotilde de Surville, Paris, Lemerre, 1873), prouve, hélas, que ces poésies ne peuvent pas être de la personne qu’on a voulu désigner sous le nom de Clotilde de Surville, et que leur date est de beaucoup postérieure au quinzième siècle. Nous disons : hélas, car nous regrettons vivement, pour notre part cette douce et passionnée figure de poétesse. » Le livre dont il est question est signé Albin Mazon, intitulé Marguerite Châlis et la légende de Clotilde de Surville, il est consultable sur le site internet de l’Université de Toronto (cliquez ici).

En 1873 Jules Guillemin dans son une étude intitulée Clotilde de Surville et ses nouveaux apologistes : une fausse résurrection littéraire (disponible dans les collections Gallica BnF) va dans le même sens que Mazon : « J’espère avoir suffisamment prouvé que Clotilde de Surville n’a jamais existé, et qu’eût-elle existé, elle n’aurait pu écrire les vers donnés sous son nom. Il me reste à faire voir que le seul auteur de ce pastiche, à part une très-minime et très-insignifiante collaboration de M. de Brazais, ne peut-être que le marquis de Surville, puisque M. Macé a péremptoirement démontré que Vanderbourg, contrairement à ce qu’on avait d’abord supposé, n’y était absolument pour rien. »

L’existence de Clotilde de Surville semble donc bien être une supercherie littéraire, une de ces plaisanteries de poètes potaches qui font le plaisir des ri(maill)eurs et qui a dû amuser l’Amateur de livres Charles Nodier.

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L’amateur de livres par Charles Nodier (Document Gallica BnF)

Charles Des Guerrois dans ses Études sur quelques-uns de nos vieux poètes : Vauquelin de La Fresnaye, Sainte-Marthe, N. Rapin, J. de La Péruse, Clotilde de Surville, etc. (consultable ici chez Gallica BnF) assure que Charles Nodier, éditeur des poèmes de Clotilde de Surville, n’était pas dupe de la supercherie…

Olivier de Serres en revanche a bel et bien existé et je vous invite à le lire. C’était un sage observateur de la nature que Victor Fraitot a dépeint en ces termes : « Indifférent en apparence aux évènements qui se passent autour de lui, il nous semble le voir, « un livre au poing », dans son jardin, parmi ces fleurs dont « les vertus ravissent l’entendement humain ». Il nous a peint lui-même, en des termes d’une simplicité qui captive, cette solitude où « hors du bruit, il jouissait en repos des aises dont elle abonde : la sérénité du ciel, la salubrité de l’air, le plaisant aspect de la contrée ; d’un autre côté, la contemplation des belles tapisseries des fleurs, les beaux ombrages des arbres, la joyeuse musique des oiseaux. » (Victor Fraitot, Olivier de Serres, « Bibiothèque des écoles et des familles », Hachette et Cie, 1882).

On trouve dans les collections numériques de Gallica BnF plusieurs ouvrages consacrés à Olivier de Serres :

« Le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs d’Olivier de Serres Seigneur du Pradel ». 1600 (première édition de ce monumental livre de plus 1050 pages qui mérite d’être lu, relu, parcouru pour le plaisir de la lecture et pour la richesse de ses propos).

Monsieur A.C.T., Clotilde de Surville et Olivier de Serres, Imprimerie de L. Escudiès, Aubenas, 1858 (11 pages, curieux dialogue évidemment fictif entre la poétesse imaginaire Clotilde de Surville et l’agronome Olivier de Serres).

Léon Védel, Le Pradel et Oliver de Serres : à travers le Vivarais, Imprimerie P. Mouillot, Paris, 1881 (31 pages tirées à part de la Revue de France du 15 Juin 1881 récit par un artiste peintre de sa visite au domaine du Pradel en vue de peindre la rencontre entre Olivier de Serres et Henri IV)

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5783265v

Victor Fraitot, Olivier de Serres, Hachette 1882 collection « Bibliothèque des Écoles et des Familles » 34 pages et trois pages non paginées d’illustrations.

Henry Vaschalde, Olivier de Serres Seigneur du Pradel, sa vie et ses travaux illustré de portraits, Gravures et fac-simile, E. Plon, Nourrit et Cie, 1886, (232 pages).

Madame la Comtesse Drohojowska (née Symon de Latreiche), Les Grands Agriculteurs modernes Olivier de Serres — Duhamel du Monceau — Parmentier — Matthieu de Dombasle, Maison Alfred Mame et fils, Tours, 1905, 142 pages (les pages pages 11 à 57 sont consacrées à Olivier de Serres).

Pour en savoir plus sur Olivier de Serres

http://www.olivier-de-serres.org/index.php (site officiel du domaine du Pradel).

D’Hégésippe Simon à Clemenceau en passant par

En explorant la presse d’il y a cent ans, on vagabondera d’Hégésippe Simon à Clemenceau en passant par Bernard l’enchanteur… 

Le 27 Juillet 1919 il y a cent ans, dans Le Petit Jounal Supplément Illustré, sous une illustration représentant un écrivain du XVIIIe siècle absorbé dans sa lecture, on pouvait lire cette invitation à cultiver l’imagination. Une incitation à écrire pour le public émerveillé des enfants :« Aussi un beau jour, brusquement, dans une résolution courageuse, avait-il relu tout d’une traite les œuvres de M. Perrault, mort depuis soixante ans, et dont personne n’avait repris la tradition. Ah ! la jolie manière que celle-là ! La jolie philosophie ! Ne pouvait-il suivre cette voie charmante écrire pour les tous petits des œuvres qui, comme celles du vieux maître resteraient. »Ces lignes terminaient l’épisode d’un feuilleton intitulé « Bernard l’enchanteur » et signé Henry de Forge.

Qui était-il ? Albert, Marie, Paul, Henry Sazerac de Forge est né le 27 novembre 1874 à Nevers dans la Nièvres et il est mort le 7 Mars 1943 à Paris.

Auteur de romans, feuilletons, de livrets d’opéra, d’opérettes, pièces de théâtre, journaliste, Henry de Forge s’est fait un nom pour avoir participé à quelques joyeuses farces artistiques et littéraires (anecdotes relatées par le quotidien Paris-Soir du 20 Février 1925).

Henry de Forge Paris-Soir 20 Février 1925 (Document Gallica BnF)

L’affaire Boronali : « Un tableau fut présenté dans une exposition d’art très moderne. Le jury l’accepta. Quelques jours plus tard, paru un article illustré de photographies documentaires attestant que le tableau avait été peint par un âne à la queue duquel on avait attaché un pinceau trempé dans diverses couleurs. Cette satire provoqua un immense éclat de rire. C’est Henry de Forge qui l’avait inventée et réalisée en collaboration avec Roland Dorgelès. »

L’affaire Hégésippe Simon :« Des parlementaires furent sollicités au sujet de la commémoration de cet orateur probe, de cet homme politique intègre en qui s’alliaient toutes les vertus républicaines. Députés, sénateurs assurèrent le comité, que, pour eux, cette grande figure était inoubliable. Quelques jours après, on apprenait qu’Hégésipe Simon n’avait jamais existé […] Henry de Forge et Birot avaient été les inventeurs de cette mystification. »

Le Birot dont il est ici question est Paul Birault (1874-1918), journaliste au journal L’Éclair et Imprimeur d’art, éditeur, sous le nom de Birot. Cet article de Paris-Soir est la seule source que j’ai trouvée qui fasse référence à Henry de Forge comme ayant pu jouer un rôle dans l’affaire Hégésippe Simon, qui est en général attribué au seul Birault. Sans doute parce-que Henry de Forge demeure un auteur un peu oublié… Il y a sans doute ici une question à creuser.

Henry de Forge dirigeait un journal satirique (Fantasio). Il écrivait beaucoup pour la presse (des contes et des feuilletons).

Deux de ses livres ont été primés par l’Académie Française : « La Créance » a reçu le prix Montyon (1918) et « Soi-même » a reçu le prix de Jouy (1929).

Durant la guerre il était Caporal dans le 38e régiment d’infanterie territoriale qui était intervenu en Lorraine (région de Baccarat et Lunéville).

En 1916, il publie ses impressions du front sous le titre Ah ! La belle France. En Avril 1917, Laurent Tallhade avait publié dans le quotidien « L’Oeuvre » un article sur ce recueil. Le style du critique laisse augurer du style de l’ouvrage… C’est aussi un bel exemple de ce que la presse pouvait publier au sujet du front, des poilus et des tranchées… Le critique évoque Mérimée, Zola, Mirbeau, Flaubert et Victor Hugo pour aborder le style du Caporal Henry de Forge « Il peint beau le soldat. Ainsi, Rude, Géricault ou David, idéalisant les grognards de l’empire, bien loin de montrer « leurs habits bleus par la victoire usés », leurs barbes squalides, leurs visages hâlés par la fatigue, creusés par la neige ou recuits par le soleil, empruntaient à la sculpture grecque les formes d’Achille, d’Hector ou de Diomède, les montraient pareils aux combattants des bas-reliefs, dans l’auguste et blanche nudité des Achéens homériques, soldats aux belles cnémides, luttant sous les murs d’Ilios, pour la conquête d’Hélène et la gloire de l’Occident. »

Laurent Tallhade ne veut pas méconnaître la laideur cruelle de la guerre de 14-18 : « Jamais le soldat ne fut moins beau —à prendre la signification plastique du terme— que dans la guerre d’aujourd’hui. Ni costumes étincelants, ni gestes magnanimes, ni parades militaires. L’héroïsme ne s’extériorise point […] Avec toute son horreur, laide et prosaïque, la Mort abat, dans leurs caverne de boue, au milieu des rats et de la vermine, un troupeau d’hommes blafards, exténués, imbus par l’averse impitoyable, d’une fangeuse humidité. Leurs abris empestent. Leurs défroques, d’où furent écartés avec soin, jusqu’aux moindres vestiges d’ornement et de couleur, se confondent avec la glaise du terroir, la brume des lointains, grisaille des vieux murs. Aucune beauté n’enguirlande leur sacrifice… »

« M. Henry de Forge n’a pas voulu s’attarder à des constatations visuelles […] Martyrs, en vérité, ces jeunes hommes […] incarnent en eux « la belle France » dont les paysages amicaux, la terre maternelle où dorment les aïeux, la terre qu’au prix de leur sang versé, ils rachètent lentement du déshonneur de la servitude ! Paysans, bourgeois, travailleurs de l’usine, de l’atelier ou de la mine, tous attendent patiemment l’heure des suprêmes revanches, portent sans faiblir un poids, alourdi chaque jour, d’épouvante et de douleur. En un langage sobre, vivant, alerte, d’une concision toute militaire —sermo galeatus— M. Henry de Forge peint en beau ces « poilus » de la grande guerre, enfants, hommes faits, en armes pour défendre leur pays, la liberté et l’univers […] La plupart d’entre eux gardent une gaieté puérile, une bonne humeur que rien n’abat. Grandeur, douceur, gaieté, douleur aussi, l’écrivain rencontre sur sa route les innombrables aspects de ces âmes charmantes […] Ses contes brefs ont gardé assez de vigueur soldatesque pour sauver, alors même qu’il enjolive leurs attitudes et leurs propos, les hommes qu’il dépeint, de la monotonie et de la fadeur. Petit-Louis, le conscrit berrichon, esprit valeureux dans un corps en ruine ; Claude, l’enfant de la zone qui, pour veiller sur son grand-père habite et « fait des commissions devant l’ennemi » ; Mlle Virginie, la pauvresse octogénaire qui de ses mains nouées par le travail passemente des bouquets artificiels pour la tombe des soldats ; cet autre vieillard, Monchably, cabotin hors d’âge, qui se fait tuer pour expier le tort de n’avoir pas servi quarante-cinq ans plus tôt, sont taillés en pleine humanité. » […] Ajoutez quelque chose encore, dont le talent même s’ennoblit : une émotion généreuse, l’accent inimitable que donne à un récit de guerre la présence du narrateur sur les champs de bataille, sa participation aux gestes mémorables dont, avec des paroles éloquentes et dans une prose de choix, il a fixé pour nous le souvenir. »

Le conte Bernard l’enchanteur n’a que peu de rapport avec les « écrits de guerre » sur lesquels nous venons de nous étendre. Le personnage principal, l’époque où est placée l’intrigue (XVIIIe siècle) manifestent une volonté de s’évader des horreurs de la guerre dont Henry de Forge a été témoin. Il ne semble pas avoir été publié que sous autre forme que celle de feuilleton dans plusieurs journaux.  Bernard l’enchanteur est néanmoins mentionné dans la bibliographie de Henry de Forge publiée en 1922 dans L’Annuaire international des lettres et des arts de langue ou culture française publiée par Jean Azaïs...

Malgré le nombre non négligeable de titres cités dans sa bibliographie, on ne trouve dans les collections numériques de Gallica BnF qu’un seul livre signé Henry de Forge. Il s’agit d’un court roman intitulé Le Pépin du Roi et coécrit avec Charles Esquier.

Le Pépin du roi (Document Gallica BnF)

Comme Bernard l’enchanteur (qui se situe à la fin du XVIIIe siècle sous Louis XVI) Le Pépin du Roi est un roman historique (il y est question  du « pépin » du Roi Louis-Philippe)…

En évoquant les dernières pages du Petit-Journal Supplément illustré du 27 Juillet 1919 j’allais oublier de vous signaler que ce numéro est d’abord célèbre pour avoir publié en couverture la carte de la nouvelle Allemagne  (celle résultant du Traité de Versailles encore en discussion à l’Assemblée Nationale) et qu’on trouve également dans ce numéro un article signé Maxime Audouin qui a contribué à entretenir à la popularité de George Clemenceau, Président du Conseil et Ministre de la Guerre : « Le Tigre en pantoufles ».

En cette fin du mois de juillet, Clemenceau n’était certainement pas le seul à enfiler ses pantoufles. Le Caporal Henry de Forge les avait lui aussi chaussées avec succès en publiant son Bernard l’enchanteur pour renouer avec les plaisirs de ses lectures de jeunesse. On peut supposer qu’il renouait ainsi avec sa propre enfance, celle durant laquelle il avait peut-être partagé la découverte de quelques contes merveilleux avec son grand frère (ou cousin?)  Léonide de Sazerac de Forge (pionnier de l’aviation mort en 1914)...

Il y a cent ans: Oui!… mais…

En explorant Le Grand Écho du Nord du 25 Juillet 1919 on découvrira un article signé Léon Bocquet. On pourra aussi imaginer qu’après avoir été démobilisés quelques villageois du 43e régiment d’infanterie de Lille ont peut-être découvert Le Chariot d’or d’Albert Samain et qu’ils ont pu apprendre à danser le jazz dans un livre… 

Annonce parue dans Le Grand Échos du Nord du 25 Juillet 1919 (un document Gallica BnF).

« Oui !… mais… je cire mieux Pâte française à l’Américaine » Cette publicité est parue il y a cent ans dans le numéro du 25 Juillet 1919 du Grand Écho du Nord (disponible dans les collections numérique de Gallica BnF). L’illustration joue sur plusieurs registres qui pouvaient atteindre les esprits de plusieurs façons dans cette immédiate après-guerre qui avait tué, blessé et mutilé tant de combattants : 1million 383000 morts dans l’armée française et 389000 mutilés, amputés ou invalides à vie (chiffres d’Alfred Sauvy)… Comment l’audace de cette publicité était-elle perçue dans ce contexte ? Cherchait-elle à rire du désastre ? Ne visait-elle qu’à rappeler les privations d’après-guerre (on songe à l’expression « j’ai l’estomac dans les chaussettes ») ? Moqueuse ne souhaitait-elle qu’insister sur le fait que ce moustachu était bête comme ses pieds ? Cruelle insistait-elle sur le fait que, les « dégonflés » doivent cirer les chaussures des autres ? Ce dégonflé blotti dans ses chaussures à guêtres pouvait aussi évoquer les « planqués » de l’arrière. Il y a dans cette image quelque chose d’essentiellement absurde : l’absurde du mouvement Dada ou du Surréalisme, mouvements nés en réponse à l’horreur absolue qu’avait représenté cette guerre. Dans l’absurde, il y a de l’humour mais pas seulement… L’absurde est souvent richement chargé de significations foisonnantes. En contemplant cette image vous y trouverez peut-être infiniment plus d’idées que ce que j’y ai puisé. « On a beau dire ce qu’on voit, ce qu’on voit ne loge jamais dans ce qu’on dit » disait Michel Foucault (Les mots, les choses).

Quoiqu’en dise cette pâte française à l’américaine, il n’en demeure pas moins qu’en Juillet 1919, la France est lessivée. Et la presse qui se fait l’écho de protestations et des mécontentements est à cette date encore soumise à la censure. La guerre de 14-18 s’achève tout juste.. L’armée commence seulement à démobiliser durant l’été. Le Traité de Versailles signé le 28 Juin 1919, ne sera promulgué que le 10 Janvier 1920 (après sa ratification par les assemblées parlementaires de l’ensemble des pays signataires excepté les U.S.A). En France il a été ratifié le 2 Octobre par la Chambre des députés, 11 Octobre par le Sénat. Il ne sera  pas promulgué par les Etats-Unis (le Sénat Américain ayant refusé de le signer, s’opposant ainsi au président Wilson qui en avait été l’artisan). La pâte américaine et française n’avaient pas réussi à se mélanger autant que l’opinion publique (très favorable en Europe au président Wilson) l’auraient souhaité.

À Paris en Juillet 1919, les travaux parlementaires autour du traité ont débuté depuis le 3 Juillet (commission Viviani) et l’opinion publique fête la victoire (plusieurs défilés militaires de la Victoire ont eu lieu : le 14 Juillet à Paris, le 19 Juillet à Londres, le 21 Juillet à Bruxelles. À Lille c’est le 27 Juillet que le 43e régiment d’infanterie avait effectué son « défilé de la victoire », son retour triomphal avant démobilisation… Le Grand Écho du Nord l’annonce en page 2 de son édition du 25 Juillet (un document Gallica BnF).

En page 2 du Grand Écho du Nord, annonce du défilé du 43e régiment d’infanterie de Lille (document Gallica BnF).

Le Nord-Pas-de-Calais avait été durement touché par les destructions liées aux opérations du guerre. Le Grand Écho du Nord évoque en « une » les « États généraux des régions dévastées » à propos d’une déclaration énergique de Charles Jonnart Sénateur du Pas-de-Calais depuis 1914 (qui avait été Gouverneur Général d’Algérie de 1903 à 1911).

Le Grand Écho du Nord 25 Juillet 1919 (document Gallica BnF).

À gauche de cet article le lecteur du Grand Écho pouvait lire un fervent appel à la découverte littéraire. L’éditorial « Des livres au village » signé Léon Bocquet.

Qui était Léon Bocquet ? Il est notamment célèbre  pour avoir écrit une biographie du poète Albert Samain et pour avoir traduit « Voyage avec un âne dans les Cévennes » de Robert-Louis Stevenson ainsi que plus d’une trentaine d’autres livres anglophones. Dans Le livre au village, Léon Bocquet invite à continuer en temps de paix le travail philanthropique fait autour des Bibliothèques ambulantes destinées aux armées. La Bibliothèque Nationale à consacré un article au sujet de ces bibliothèques de campagne (cliquez ici). Léon Bocquet espérait sans doute convaincre quelques soldats du 43e régiment d’infanterie à profiter du temps de paix pour lire le poète Albert Samain, on peut découvrir plusieurs de ses livres dans les collections Gallica BnF (notamment Le Chariot d’or)

Le Chariot d’or d’Albert Samain (un document Gallica BnF).

Mais ces soldats avaient peut-être d’autres envies…

L’arrivée, avec l’armée américaine, d’un étonnant  Jazz-Band constitués de mobilisés Noirs Américains, avait été l’occasion pour les Français de découvrir de nouveaux rythmes plein d’entrain. Le chef de cet orchestre était le lieutenant  James Reese Europe et son orchestre s’appelait Les Harlem Hellfighters. Voir l‘Histoire du Jazz en France de 1917 à 1950 par Alain Fauconnier in Société des amis des arts et des science de Tournus (un document Gallica BnF).

Comment ne pas avoir envie d’apprendre à danser sur ces nouveaux rythmes? En 1919 était donc fort opportunément publié ce « Vade-Mecum du Parfait Danseur Théorie illustrée par les meilleurs Professeurs de Paris pour apprendre seul » (un livre disponible chez Gallica BnF).

La guerre avait fait tellement de victimes parmi les jeunes hommes, qu’au début des années vingt il devait en effet arriver bien souvent que les jeunes femmes dansent seules en imaginant le cavalier de leurs rêves… En juillet 1919 dans le Nord-Pas-de-Calais il n’est pas douteux qu’après avoir défilé les soldats du 43e régiment d’infanterie de Lille aient entraîné quelques spectatrices dans des danses effrénées avant de plonger dans Le Chariot d’or d’Albert Samain… Si les lecteurs de juillet 1919 avaient le moral dans les chaussettes ils allaient bientôt le retrouver grâce à la danse, au jazz et à la poésie… Oui!… mais… à la pâte française ou américaine?… Suite au prochain épisode… 

[Anniversaire] Le Rappel et Le Siècle il y a cent ans

Que pouvait-on découvrir dans la presse quotidienne il y a cent ans le 21 Juillet 1919? Prenons au hasard deux journaux: « Le Siècle » et « Le Rappel » (je n’ai sans doute pas pris ce titre au hasard. Il me rappelle fort opportunément que c’est aujourd’hui mon anniversaire…). Dans « Le Siècle » d’il y a cent ans (page 3) on pouvait découvrir cette publicité pour « À la jeune France tous les vêtements de sports & de ville les mieux assortis » 13, Avenue des Ternes (Paris). Des messieurs fumant, discutant, portant chapeau, casquette vêtements de ville, de campagne ou de sports… Mais peu importe ce qu’ils portaient. Ils discutaient. Ils parlaient certainement de l’actualité: des défilés militaires (14 Juillet à Paris, 19 Juillet à Londres), de la grève  prévue le 21 Juillet qui n’aurait pas lieu, de Georges Clemenceau… Ils commentaient sans doute de la « une du siècle » (sans se douter que cinquante ans plus tard les « unes » titreraient « On a marché sur la Lune »). En attendant, il fallait rester dans « Le Siècle » entre deux batailles, entre deux danseurs…

Entre deux batailles: On a pu lire dans le précédent article de blog que Victor Boret (Ministre du ravitaillement et de l’agriculture) avait démissionné, abandonné de ses collègues. On découvre aujourd’hui qu’il est remplacé par Joseph Noulens, député du Gard (entre deux « batailles » parlementaires. Sous la IIIe République les parlementaires aimaient renverser les gouvernements).

Entre deux danseurs: Il s’agit de l’Anglais et de l’Allemand entre lesquels le Français de 1919 doit choisir explique Maurice de Waleffe.

Dans Le Rappel (journal fondé en 1869 par Auguste Vacquerie, un proche de de Victor Hugo), le ton est plus incisif, plus opposé encore au Gouvernement Clemenceau: « On ne gouverne pas par la force »

L’éditorial signé Edmond Du Mesnil (le directeur) et titré « L’intérêt français » attaque Clemenceau avec véhémence. Qu’on en juge:

Georges Clemenceau allait toutefois résister à l’opinion publique et aux attaques des journalistes jusqu’au 18 Janvier 1920… Il n’était d’ailleurs certainement pas le « démolisseur » peint par Edmond Du Mesnil. Georges Clemenceau n’est pas seulement le vainqueur de la guerre de 14-18. Il restera dans les mémoires comme l’auteur de L’Iniquité, un gros livre de cinq-cent pages consacré à l’Affaire Dreyfus et disponible dans les collections numériques de Gallica BnF.  Clemenceau fut aussi un humaniste, un adversaire du colonialisme dans une controverse célèbre qui l’opposa à Jules Ferry. Un débat retracé dans La Politique coloniale Clemenceau contre Ferry, Editions Magellan&Cie, 2012.

Il y a cent ans 19 Juillet 1919: Le Secret de la Fortune par

Évoquer le 19 Juillet 1919 va nous conduire à découvrir un livre pour faire fortune et nous en apprendra un peu plus sur la publicité, sur l’influence de la culture française à New-York. Dans la foulée nous croiserons aussi Maurice Leblanc, l’auteur d’Arsène Lupin…

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Le Cachet de Paris Juillet 1919. Document Gallica BnF.

Le 14 Juillet 1919 avait été marqué, à Paris, par le « Défilé de la Victoire » sur les Champs-Élysée. Le 19 Juillet 1919 c’était au tour des Britanniques d’organiser leur Défilé de la Victoire à Londres. Deux jours après, à Paris (le 21 juillet) on redoutait une grève de la C.G.T…  En juillet 1919, la rue retrouvait avec difficulté ses couleurs joyeuses, celles des chapeaux aux formes baroques proposés à ses lectrices par Le Cachet de Paris  (on a vu dans le précédent billet avec la Semaine Élégante de l’Excelsior que la tendance était au retour des couleurs claires). La Mode n’est pas une science exacte. Cette tendance du retour aux couleurs lumineuses est contredite par le numéro de Juillet du Cachet de Paris: «Les courses continuent une carrière féconde pour la Mode; elles nous apportent des renseignements précieux sur le goût de nos mondaines, renseignements dont on peut faire état dans un journal qui se pique… de fuir l’excentricité, car il semble que, depuis la guerre surtout, les toilettes —et c’est le cas pour celles des courses— soient revenues à la note sobre, sévère, pourrai-je dire, à cause du noir et des tons foncés qui paraissent s’installer dans la mode et ne plus vouloir quitter la place revendiquée par le blanc à cette époque de l’année…» (éditorial à lire en intégralité chez Gallica BnF ici).

Le Cachet de Paris Juillet 1919 (document Gallica BnF)

On le constate à la lecture de cet article, les arbitres des modes étaient d’abord les dames de la haute société. Les plus modestes devaient trouver d’autres moyens pour s’habiller avec goût. Dans le quotidien Le Journal du 19 Juillet 1919, la Mode n’est pas absente. Elle est évoquée par cette publicité associée à l’image rassurante d’un facteur distributeur de colis postaux «Achetez au prix de gros les beaux tissus pour vos toilettes élégantes...» Il y a cent ans les fashion addict faisaient elles-mêmes leurs vêtements, on constate également que la publicité et la vente par correspondance existaient et qu’elles se diffusaient notamment par voie de presse…

Le Journal 19 Juillet 1919 (page 4) document Gallica BnF

Dans ce même numéro (en bas de la deuxième page) les amateurs de récits palpitants pouvaient découvrir l’épisode n°44 d’un feuilleton signé Maurice Leblanc L’île au trente Cercueils.

Le Journal 19 Juillet 1919 (document Gallica BnF).

Il y a cent ans les journaux étaient de belles invitations à la lecture, on passait moins de temps devant les écrans mais on pouvait laisser les yeux vagabonder dans Le Journal de rebondissements en rebondissements à la recherche d’un entrefilet palpitant invitant à la découverte inattendue, en éveillant sans cesse  l’attention du lecteur… Chaque paragraphe semble être un nouvel épisode de feuilleton. Juste à côté d’une publicité pour OUF la Revue la plus gaie de Paris, le lecteur d’il y a cent ans pouvait découvrir les dernières nouveautés: des livres emplis de promesses qu’il s’empresserait d’acheter en librairie:

Le Journal 19 Juillet 1919 (document Gallica BnF).

On notera qu’après les privations de la guerre, le premier ouvrage proposé par ce Bulletin du 19 Juillet 1919 est une splendide invitation à la prospérité: La Fortune par la publicité de Paul Pottier. Né en 1870 il était journaliste à la Dépêche de Toulouse et auteur de plusieurs livres et pièces de théâtre. Le titre alléchant de sa dernière oeuvre était Le Secret de la Fortune par la Publicité (vendue à l’époque 7fr50 et disponible aujourd’hui à la lecture dans les collections numériques de Gallica BnF).

Secret de la Fortune par la Publicité (document Gallica BnF).

Ce livre est dédié par Paul Pottier «Aux industriels, aux Négociants, aux Voyageurs, aux Représentants de Commerce, à tous ceux qui, en portant à l’étranger notre pavillon commercial et le produit de nos industries, deviennent en même temps les pionniers de la pensée française…»  Après les violences et les horreurs sombres de la guerre de tranchées, Paul Pottier invitait à l’activité et à l’optimisme: «Des peuples se sont transformés, des nations se sont éveillées au labeur et à l’activité. Le vieil équilibre des mondes s’est rompu et il a semblé qu’un autre soleil fécondait la terre. Une force nouvelle est née, en effet qui a changé la face de l’Univers, bousculant les idées et les méthodes anciennes. Cette force, c’est la Publicité. Sur les champs de batailles économiques, elle a donné la victoire à ceux qui ont su la conduire. Elle est l’arme moderne des peuples qui marchent progrès et à la gloire. Pour nous, Français, elle apparaît encore entourée de ténèbres redoutables. C’est un mystère que nous allons percer, c’est ce voile que nous allons déchirer pour vous montrer la route lumineuse du succès qui s’ouvre devant vous….» Dès les premières lignes de son Chapitre premier Pottier invite ses compatriotes à s’emparer de cette nouvelle arme: «La publicité n’est ni américaine, ni anglaise, ni française, elle est universelle et, bien comprise, elle est à la portée de tous…» Elle s’adresse également à toutes et à tous, et particulièrement aux lectrices élégantes du Cachet de Paris que l’on évoquait plus haut, mais aussi aux lectrices du Journal, ces couturières qui attendent avec impatience le facteur et ses colis de tissus en gros. Paul Pottier invite les rédacteurs d’annonces à penser particulièrement à elles (page 22): «Pour une machine à coudre que nous appellerons Rapid, l’appel est: Plus de robes moins de dépenses. Rappelons que cette machine a comme particularité d’avoir été faite pour les petites bourgeoises qui veulent confectionner leurs robes à la maison, de façon à être élégantes, sans beaucoup dépenser…» Bref, ce petit manuel de deux-cent pages, vieux d’il y a cent ans aujourd’hui possède une table des matières riche dont chacun saura tirer profit...

Néanmoins si Le Secret de la Fortune par la Publicité est riche de conseils, il ne faut pas s’attendre à y trouver une vision critique ou philosophique de la publicité et de ses dangers et dérives… Paul Pottier a souhaité la décrire en technicien dans ce qui peut s’apparenter à un simple manuel de technique publicitaire (on pourra y puiser quelques conseils efficaces de rédaction pour « communiquer »).

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Paul Pottier ne s’avère pas visionnaire et ne semble pas apercevoir les dangers possibles de la « propagande » (un terme qui a été dévalorisé parce-que précisément les régimes génocidaires, autoritaires et totalitaires du vingtième siècle en ont largement abusé). Pottier ne s’est pas seulement intéressé à la pratique du commerce et de la propagande, il était avant tout « homme de lettres ». En 1901, il avait participé en tant que co-auteur à un livre intitulé Les Prolétaires intellectuels en France ouvrage dans lequel il avait écrit notamment le Chapitre 6 intitulé « Le Prolétariat des Élus » (enquête parlementaire sur les causes et les remèdes du mal)... Il y a cent ans, argent et politique étaient déjà l’occasion d’un mélange détonnant. Le Journal en témoignait par sa « une » du 19 Juillet 1919. On y apprenait la démission de Monsieur Boret Ministre de l’Agriculture et du Ravitaillement (une répercussion de la « vie chère »):  «On se rend compte que le ministre du ravitaillement perd pied et se noie… Et nul de ses collègues n’est là pour lui tendre une main secourable… On le laisse sombrer…»

Le Journal 19 Juillet 1919 (un document Gallica BnF)

La page de « une » insiste également sur l’appel au secours des régions libérées: «Ce que nous voulons, ce qui est indispensable pour nous sortir de l’affreuse misère où nous sommes, le voici dans ses grandes lignes: Suppression des échelons et des lenteurs irritantes qui paralysent toutes les bonnes volontés…» Deux dessins humoristiques illustrent ces paralysies administratives: «C’est triste de les avoir libéré de l’ennemi… …pour les laisser envahir par la paperasse…»

La France envahie par la paperasse parvient toutefois à exporter sa culture, on apprend, dans le même quotidien de ce 19 Juillet 1919 que la comédienne Yvette Guilbert s’apprête à fonder une École française de Théâtre à New-York…

Yvette Guilbert à New-York dans Le Journal du 19 Juillet 1919. Un document Gallica BnF

«Jadis un feuilleton palpitant suffisait à garder le lecteur jusqu’au dénouement du drame, mais on a abusé du frisson. Si le plus extraordinaire des romans a encore le pouvoir d’élever le tirage d’un journal déjà connu, il est incapable à lui-seul de lancer une feuille nouvelle […] Au demeurant le roman-feuilleton a été détrôné par le roman-cinéma» écrivait Paul Pottier dans Le Secret de la Fortune par la Publicité… Bientôt le roman cinéma serait détrôné à son tour par la comédie musicale américaine porté par des actrices et des acteurs des athlètes complets de la puissance de persuasion (et peut-être formés par Yvette Guilbert)…

Yvette Guilbert avait-elle lu l’ouvrage de Paul Pottier pour mieux faire connaître son École New-Yorkaise?

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Ou bien au contraire doit-on penser que Paul Pottier s’était inspiré dans son livre de la réflexion d’artistes aussi talentueux que Yvette Guilbert? Le Journal insiste sur l’à propos de la création par Yvette Guilbert de son École de théâtre. fullsizeoutput_14a

Quelle a été la réelle influence de l’École de théâtre d’Yvette Guilbert à New-York sur la culture américaine?

Suite au prochain épisode…

Le 17 Juillet 1919 dans L’Excelsior

Il y a cent ans, en juillet 1919, nos ancêtres vivaient leur premier été après la cruelle guerre de 1914-1918. Après quatre années rudes,  juillet recommençait à sourire. En page 5 du journal L’Excelsior, on pouvait découvrir les dernières tendances de la mode sous la rubrique, « La Semaine Élégante » on assiste (article colonne de droite) au retour du « taffetas » et des « dentelles« : «Jusqu’à ces derniers temps, le jersey de soie et le satin faisant presque exclusivement les frais des toilettes les plus élégantes, et les effilés étaient légions; j’avoue même que l’on commençait à s’en fatiguer. Il est vrai que le temps n’était pas toujours clément, et que bien des claires toilettes ne purent sortir ni pour les Drags ni pour les Grand Prix. Depuis toutes ces jolies choses nous ont été révélées à l’occasion des grandes réunions mondaines. Il y a encore beaucoup de noir et de noir et blanc, qui font des toilettes d’une grande distinction et d’un goût parfait; mais le plus grand des succès va au taffetas blanc…» Le retour des robes claires est également signalé (colonne de gauche: «À la campagne, dans les villes d’eau ou au bord de la mer, sweater et golf sont l’indispensable complément de la toilette simple. Sur la jupe blanche de toile ou de serge qu’on porte pour le tennis, pour la promenade matinale ou pour aller prendre son verre d’eau, le chandail de soie ou de laine met une note d’une agréable fantaisie. Le chandail n’est plus la veste de laine grattée que nous avons portée si longtemps. Non seulement les maisons spéciales, mais aussi les couturiers et les modistes vous proposent des golfs, des jumper, des casaques d’une agréable fantaisie…» Sur une gravure au centre: plusieurs robes sont mises en valeur par cinq jeunes femmes (dont on notera, notamment pour celles qui ne portent pas de chapeaux qu’elles ont les cheveux courts). De gauche à droite: 1° « une robe de gros shantung citron garnie d’effilés bleu marine » Jenny, 2° Robe de crêpe Georgette gris simplement drapé en paniers. Redfern 3° Robe d’organdi brodée de coton cerise, ceinture de ruban Premet, 4° Robe de crépon briséa brodée de noir et rouge Doeuillet, 5° Robe de voile de coton brodée jaune et frangée Cheruit. Évoluant sur un carrelage à grands carreaux noir et blanc, ces cinq élégantes semblent être cinq reines d’un jeu d’échec (dont le roi est peut-être le spectateur fasciné par l’image?). La guerre de 14-18, grande victoire des femmes fut un bel échec des hommes… La une de L’Excelsior du 17 Juillet 1919 semble d’ailleurs mettre en exergue cet amour des femmes en citant un apophtegme de Plaute: « Il y a quelque chose de plus fort que l’intérêt: c’est le dévouement« . Cette une annonce également une interview du Général Gouraud (qui avait perdu le bras droit (après avoir été blessé par un obus à la bataille des Dardanelles) et qui venait de participer au « Défilé de la victoire » en passant sous l’Arc de Triomphe le 14 Juillet 1919. 

Le Général Henri Gouraud (1867-1946) avait été, à partir de 1894 officier dans l’armée coloniale en Afrique, au Soudan où l’un de ses faits d’arme les plus connus a été l’arrestation (difficile) du chef mandingue Samory Touré. Le Général Gouraud a publié ses souvenirs en trois tomes intitulés « Souvenirs d’un Africain ». Ils sont disponibles dans les collections de Gallica BnF:

Souvenirs d’un Africain (tome 1) Au Soudan, 1939 (cliquez ici pour le lire sur Gallica), Souvenirs d’un Africain (tome2) Zinder Tchad, 1944 (cliquez ici pour le lire sur Gallica), Souvenirs d’un Africain (tome 3) Mauritanie Adrar 1945 (cliquez ici pour le lire sur Gallica).

Les collections numériques de Gallica BnF disposent également de plusieurs photographies de presse le représentant, deux exemples:

En 1915 en train de fumer une cigarette (cliquez ici)

En 1923 aux obsèques de Maurice Barrès (cliquez ici)

 

12 Juillet 1817 naissance de…

Portrait de Henry David Thoreau extrait de La Revue blanche de Juillet 1896 (un document Gallica BnF).

Le 12 Juillet 1817 naissait Henry David Thoreau à Concord, dans le Massachusetts aux Etats-Unis. Poète, écrivain, philosophe, disciple d’Emerson, on peut le considérer comme l’un des pionniers de la lutte pour l’abolition de l’esclavage et contre la ségrégation raciale en Amérique, on peut aussi le considérer comme l’un des premiers écologistes. Son père était d’origine française et il exerçait une profession qui le destinait à donner le jour à un poète: il était fabricant de crayons. Sa mère, Cinthya Dunbar était d’origine écossaise et fille de pasteur. Henry D. Thoreau fit ses études à l’Université de Harvard et il vécut ensuite quasiment toute sa vie à Concord dans le Massachusetts (à l’exception des moments où il voyageait). C’est dans cette commune du Massachusetts qu’il est mort le 6 mai 1862. Il avait exercé diverses professions dont celle de géomètre arpenteur mais il abandonna fréquemment ses occupations professionnelles pour voyager et étudier la nature. D’un voyage effectué en 1839, il a écrit un livre publié dix ans plus tard intitulé « A week on the Concord and Merrimak rivers » (disponible en anglais sur le site de la Boston public Library). Son livre le plus connu est intitulé « Walden ou la vie dans les bois » (disponible de la traduction française de L. Fabulet sur le site Gallica BnF).

Extrait de préface de L. Fabulet au Walden de Henry David Thoreau (collection Gallica BnF

Walden de Henry David Thoreau (document des collections Gallica BnF).

Dans les collections de Gallica BnF on trouve, outre son roman Walden, de nombreux documents concernant Henry David Thoreau. La Revue blanche de Juillet 1896 publie sous le titre « Désobéir aux lois » un extrait de Anti Slavery and reform papiers » (à consulter ici sur la plateforme Gallica BnF). Sur cette même plateforme on retrouve un texte Thoreau sur l’Amour publié dans la revue La Phalange du 20 Mars 1913 (à consulter ici).

Le dictionnaire universel d’histoire et de géographie de Bouillet (3e édition 1908) consacre un article à Thoreau (à consulter ici toujours chez Gallica BnF), enfin le journal L‘Excelsior du 21 Juillet 1917 consacre un entrefilet sous le titre Pont des arts au centenaire de la naissance de Henry D. Thoreau aux Etats-Unis. À consulter ici chez Gallica BnF.

Entrefilet consacré par L’Excelsior au centenaire de la naissance de Henry D. Thoreau en pleine première guerre mondiale.

La pensée de Henry David Thoreau a sans doute encore beaucoup à nous apporter aujourd’hui. L’anniversaire de sa naissance est une bonne occasion de le rappeler.