8 Juillet 1621 Naissance de Jean de La Fontaine

Le 8 Juillet 1621 Jean de La Fontaine naissait à Château-Thierry. Faut-il encore le répéter? Tout le monde le sait, on n’a pas arrêté de nous le ressasser à l’école. Oui mais le 8 Juillet c’est aujourd’hui! Aujourd’hui Jean de La Fontaine atteint l’âge de trois cent quatre dix neuf ans. On ne peut pas laisser passer ça sans écrire un article de blog, ou de blogue comme écrivent les Québécois;  comme aurait peut-être aussi écrit Jean de La Fontaine s’il avait écrit dans un blog… L’aurait-il écrit ainsi? Vraiment? Une controverse pourrait naître sur cette intéressante question, avec articles en cascades, attaques, répliques, erreurs et rectificatifs, partages sur Twitter avec hashtag rageurs. Blog ou blogue quelle serait la préférence de Jean de La Fontaine? On imagine avec délice l’abondance de tout ce qui pourrait être écrit sur le sujet. Pour un « e » muet précédé d’un « u » on pourrait faire renaître aujourd’hui une querelle fameuse digne de la célèbre bataille entre Furetière et La Fontaine. Faute de temps on me pardonnera de ne pas développer outre-mesure… Du temps je n’en ai guère pour évoquer une guerre et ce d’autant plus que les trois cent quatre vingt dix neuf ans de Jean de La Fontaine valent bien de vagabonder quelques heures dans la jungle des collections numériques de Gallica BnF pour en savoir plus sur le propriétaire de la Ferme de Tueterie près de Château Thierry. C’est qu’il n’était pas seulement propriétaire, il était aussi l’auteur des fables. Celles dont le Vicomte de Broc a écrit: «Les fables, compagnes de nos jeunes années, nous ont suivis sur le chemin de la vie ; elles n’en ont pas ôté les épines, mais elles l’ont semé de fleurs que nous aimons à cueillir et dont nous respirons le parfum. Elles égayent les jours sombres, et voilent de sourires et de badinages les maux et les chagrins de l’humanité.» (extrait de Vicomte de Broc, La Fontaine moraliste, Librairie Plon 1896 document Gallica BnF). Ainsi en 1896 Jean de La Fontaine était en quelque sorte brandi comme un symbole nationaliste servant à venger à la fois la Guerre de cent ans contre les Anglais et la guerre de 1870 contre les Prussiens. Un vicomte se permettait de l’enrôler parmi les partisans de la restauration de la Royauté contre les partisans de la IIIe République balbutiante (qui lisaient plutôt Victor Hugo).

Et pourtant Jean de La Fontaine serait peut-être aujourd’hui un écologiste, un anarchiste, un libertaire. N’avait-il pas publié ses fables en 1668? N’était-il pas une manière de «soixante-huitard» un précurseur? N’était-il pas d’abord un esthète, un artiste, un amoureux de la musique et de la nature? Pour la première édition de ses fables (adaptées d’Ésope) en 1668 il avait choisi de les faire illustrer par un des meilleurs graveurs de son époque, François Chauveau (1613-1676). Il était tellement connu que l’on diffusait son portrait jusqu’en terre de langue allemande (ainsi qu’en témoigne l’estampe ci-dessous).

La première publication des fables en 1668 était donc une édition de luxe. On la trouve dans les collections Gallica BnF. Elle est merveilleuse à feuilleter (cliquez ici).

Très rapidement les fables de La Fontaine devinrent une oeuvre populaire, largement diffusée par les colporteurs. En témoigne cette édition parue sous le 1er Empire en 1812 avec des gravures un peu maladroites et un «portrait d’Ésope» insistant sur son aspect campagnard.

Jean de La Fontaine était d’abord un esthète, lit-on dans la Notice sur Jean de La Fontaine dans l’Histoire de la littérature française illustrée. Tome I (publiée sous la direction de Joseph Bédier (1864-1938), Paul Hazard (1878-1944). Disponible sur Gallica BnF

« Si l’on veut, à toute force, le classer et marquer sa place dans un tableau du XVIIe siècle, il faut le ranger du côté des « libertins » avec Saint Évremond. Il appartient à la lignée des Gassendistes. C’est un épicurien. La seule prière qu’il fit jamais, il l’adressa un jour à la Volupté (Psyché, Livre II). »[…] « Qu’il ait adoré la musique, c’est encore lui qui nous l’a dit dans son épître à son ami de Nyert, non qu’il se plût au tintamarre de l’Opéra, mais il goûtait une chanson à à danser ou une jolie pièce de clavecin, surtout si les mains de la claveciniste étaient jeunes et blanches. Qu’il ait aimé la campagne, comment en douter quand on retrouve dans Psyché, dans les Contes, dans les Fables, le ressouvenir des des scènes et des paysages qui, sur les bords de la Marne, avaient amusé ses yeux et enchanté son imagination ? »

« Jean-Jacques Rousseau a soutenu que les Fables étaient un danger pour les enfants… »

« Lamartine a été bien plus loin : « Ces histoires d’animaux, dit-il, qui parlent, qui se font des leçons, qui se moquent les uns des autres, qui sont égoïstes, railleurs, avares, sans amitié, sans pitié, plus méchants que nous, me soulevaient le cœur. Les Fables de La Fontaine sont plutôt de la philosophie dure, froide et égoïste d’un vieillard que la philosophie aimante, généreuse, naïve et bonne d’un enfant : c’est du fiel, ce n’est pas du lait pour les lèvres et les cœurs de cet âge. »

[…]

La Fontaine s’était assigné d’autres objectifs :

« Platon…, dit-il, souhaite que les enfants sucent ces fables avec le lait ; il recommande aux nourrices de les leur apprendre ; car on ne saurait s’accoutumer de trop bonne heure à la sagesse et à la vertu. Plutôt que d’être réduit à corriger nos habitudes, il faut travailler à les rendre bonnes pendant qu’elles sont indifférentes au bien ou au mal… »

[…] « Dans la même préface,il déclare qu’aux apologues des Anciens, il a voulu ajouter des « traits qui en relevassent le goût ». C’est, dit-il, ce qu’on demande aujourd’hui : on veut de la nouveauté et de la gaieté. Je n’appelle pas gaieté ce qui excite le rire, mais un certain charme, un air agréable qu’on peut donner aux sujets même les plus sérieux. » Cette fois-ci, croyons-le sur parole. Son principal objet fut non pas d’instruire ou d’édifier les hommes mais de leur plaire. « On ne considère en France, dit-il, que ce qui plaît : c’est la grande règle et pour ainsi dire, la seule. »

« La plupart des personnages ont cependant figure d’animaux. Ne seraient-ils que des hommes costumés en bêtes ? Non. Le fabuliste entend exprimer « les propriétés des animaux et leurs divers caractères » , et il les exprime avec une rare exactitude ; s’il le fait en poète et non en naturaliste, il n’en trouve pas moins des traits d’une criante vérité pour rendre la démarche, l’air, la physionomie des animaux qu’il a observé dans sa basse-cour et dans la campagne champenoise ; mais il remarque tout de suite : « les propriétés des anmaux et leurs divers caractères, par conséquent les nôtres aussi. » Ces êtres singuliers ne sont donc ni hommes, ni bêtes ; ils sont nés de l’imagination d’un poète ; ils forment dans la création un règne à part : ce sont « les animaux de La Fontaine ».

«Ces fables sont une comédie par la vivacité des dialogues, la soudaineté des péripéties, l’imprévu des dénouements, surtout par la variété et le relief des caractères, si bien que les critiques ont pu y découvrir un « un abrégé de la société du XVIIe siècle, de la société française, de la société humaine » (Taine).

« Si La Fontaine n’avait été un prodigieux inventeur de rythmes, il n’eût découvert une forme poétique nouvelle, le vers libre, un vers libre qui, à la différence de celui de Molière dans Amphytrion, mélange toutes les mesures ?»

Le vers libre de La Fontaine lui est infiniment personnel:

« Cette fusion intime de tous les rythmes, dit Théodore de Banville, où le vêtement de la pensée change avec la pensée elle-même, et qu’harmonise la force inouÏe du mouvement, c’est le dernier mot de l’art le plus savant et le plus compliqué, et la seule vue de difficultés pareilles donne le vertige. D’ailleurs comme La Fontaine avait créé son instrument, il l’a emporté avec lui : tous ceux de ses prétendus successeurs qui ont cru se servir du vers libre, nous ont donné un chaos risible et puéril ; non seulement ils en ignoraient l’esprit, l’allure, le mouvement harmonieux et rapide, mais ils n’en ont même pas compris le mécanisme. »

« Le vers libre est la suprême trouvaille de La Fontaine ; par la mystérieuse vertu de ses rythmes infiniment variés, il anime les scènes et nuance les tableaux ; c’est lui qui ravit les imaginations, même enfantines ; c’est lui qui fixe les fables dans la mémoire des hommes. C’est grâce à lui qu’un « bel esprit », conteur malicieux et libertin, est devenu le plus poète des poètes de France. » (citations extraites de  Notice sur Jean de La Fontaine dans l’Histoire de la littérature française illustrée. Tome I (publiée sous la direction de Joseph Bédier (1864-1938), Paul Hazard (1878-1944). Disponible sur Gallica BnF). 

J’ai surtout évoqué dans cet article le fait que Jean de La Fontaine était un esthète, aimant la musique et le rythme de la langue. Aurait-il pour autant préféré blogue à blog? Le mystère reste entier…

Une chose est certaine, Jean de La Fontaine dont nous fêterons le 8 Juillet 2021 le quadricentenaire mérite d’être sans cesse lu et relu, étudié car il apporte dans ses fables une féconde et souriante sagesse alimentée des antiques et des orientaux qui nous apprend infiniment aujourd’hui pour supporter toutes les adversités.

Pour en savoir plus:

À écouter cette émission de France-Culture (cliquez ici)

On trouvera sur le site Gallica BnF un excellent dossier sur Jean de La Fontaine. Une mine où chacun peu puiser sa documentation pour alimenter sa réflexion. (cliquez ici).

Triacleur

Si vous avez lu mon précédent article, vous vous rappelez peut-être que, dans son « Abrégé du parallèle des langues françoise et latine repporté au plus près de leurs propriétez » (1637), Philibert Monet (1569-1643) définissait le verbe « charlater » par ces termes : « faire un train de triacleur… ».

Ce terme de Triacleur n’étant plus guère en usage aujourd’hui, on va essayer dans cet article d’éclairer ce qu’il signifie, en explorant les ressources de Gallica BnF ainsi que quelques dictionnaires…

Dans son incontournable Dictionnaire universel Antoine Furetière (1690) définit le terme de Triacleur (substantif masculin), comme étant un « Saltimbanque, un charlatan qui vend en place publique ou sur un théâtre, de la thériaque, ou autres drogues vicieuses, après avoir amassé le peuple par ses bouffonneries. » Cette définition n’éclaire guère si on ignore ce qu’il faut entendre par Thériaque. Un autre dictionnaire, Le vocabulaire français du XVIe siècle, Deux mille mots peu connus signé Hugues Vaganay (1870-1936) définit le Triacleur comme un «porte-trompette» Le Dictionnaire de la langue romane du vieux français de François Lacombe (1768) le définit comme un «charlatan» ou un «praestigiator» (= illusionniste en italien). Quelle est cette Thériaque et pourquoi justifie-t-elle de jouer de la trompette, où de se livrer à des numéros d’illusionniste?

Le commerce de la thériaque était si mal vu au XVIIIe siècle que pour attaquer les jésuites, une estampe les représente sous le titre Au grand Magasins de Thériaque.

Sous la gravure on peut lire ces vers:

«Les voilà donc surpris, mais cet air patelin

«Trouvera des nigauds qui s’y laisseront prendre

«Ah France si tu les gardes en ton sein,

«Ils te déchireront, oses-tu les défendre?»

Quelle est donc cette Thériaque, si funeste qu’elle serait capable de détruire la France?

Dans son roman « Histoire de Gil Blas de Santillane » Alain-René Lesage (1668-1747) invente, pour se moquer de Voltaire, un auteur de théâtre imaginaire nommé Gabriel Triaquero. Sainte-Beuve, annotateur du roman, dans l’édition Garnier de 1864, explique : « Il n’y a jamais eu de poète espagnol qui s’appelât Triaquero. Ce n’est que pour attaquer Voltaire sous ce nom peu flatteur que Le Sage a conçu l’idée du chapitre qu’on va lire. Triaquero veut dire vendeur de Thériaque, en vieux français, triacleur, et en langage moderne, charlatan. »

Quelle est donc cette incroyable Thériaque si compromettante, qu’elle permet d’attaquer à la fois Voltaire et les Jésuites?

Il s’agit tout simplement d’un ancien médicament. Joseph Bernhard (1860-1935), pharmacien de première classe à Étrepagny dans l’Eure lui a consacré en 1893 un ouvrage entier intitulé «Les médicaments oubliés : La Thériaque, Étude historique et pharmacologique» (disponible ici dans les collections Gallica BnF).

Aux pages 88 et 89 de cet ouvrage Joseph Bernhard explique que dès le Moyen-âge des «les chroniques […] nous montrent les campagnes de France sillonnées par des rebouteux ambulants, charlatans de bas étages, promenant de bourgades en bourgades, leur empirisme effronté, et leurs «boëtes de triacle» [boîte de thériaque]. Ces colporteurs vendaient pour de la thériaque les drogues les plus dégoûtantes, et les mots triaclerie, triacleurs, devinrent d’un usage courant pour désigner une tromperie un falsification, une action malhonnête, digne d’un vendeur de thériaque; un fraudeur, un charlatan, un imposteur. Une farce: Le Pardonneur, le Triacleur et la Tavernière, datée du commencement du XVIe siècle met un en scène un de ces marchands de thériaque vagabonds…» (source Gallica BnF). Depuis le terme de Triacleur est devenu une sorte de quolibet, une injure, un terme suffisamment relevé cependant pour figurer dans Les Remarques de M. de Vaugelas sur la langue françoise, tome 3 (page 22). Claude-Favre de Vaugelas (1585-1681) précise qu’« Il faut dire Triacleur, qui vend de la thériaque, ou passe pour un Charlatan, & et non pas Theriaqueur. »

Mahturin Regnier (1573-1613 dans sa Satyre XIII intitulée « Macette ou l’hypocrisie déconcertée » évoquant l’hypocrisie des grands de la cour écrit :

« Tous ces beaux suffisants dont la cour est semée »

« Ne sont que triacleurs et vendeurs de fumée. »

Au XIXe siècle le terme de Triacleur était encore utilisé dans son sens argotique. Plusieurs paragraphes lui sont consacrés dans La grande bohême, histoire des royaumes d’Argot et de Thunes, du duché d’Égypte… : suivie d’un dictionnaire complet des diverses langues fourbesques et argotiques de l’Europe à toutes les époques (1850) page 211 (cliquez ici pour les lire sur Gallica BnF). On trouve quelques occurrences de ce terme dans la presse quotidienne de la fin du XIXe siècle.

Dans La Dépêche de Toulouse du 6 décembre 1888, Louis Braud affuble le général Boulanger du sobriquet de « triacleur » à l’occasion de son discours de Nevers (décembre 1888) : « comme celle du « triacleur » de la fin du seizième siècle, la drogue de M. Boulanger guérit de tous les maux. Il jure d’opérer les réformes sociales et promet du beurre aux classes laborieuses et surtout aux paysans. » (cliquez ici pour lire l’article sur Gallica BnF).

Voilà ce qu’on pouvait dire de ce vieux mot oublié qui mérite sans doute de réapparaître dans les dictionnaires d’aujourd’hui, surtout à l’heure où les débats médicaux inondent les médias à l’occasion de la pandémie de Covid-19.  Pour ma modeste part, j’ai tenté de le faire revivre en Juillet 2020, dans un rondeau intitulé Le Triacleur.