Ici reposait, meurtre au monumental (un polar de Robert Vincent)

Chronique littéraire bénévole, signée Pierre Thiry

Ici reposait… Meurtre au Monumental de Robert Vincent est publié aux édition des Falaises

Dans « Ici reposait, meurtre au Monumental »

Vous croiserez une ravageuse Eurasienne

Qui a du chien, puis Flaubert morcelé, létal.

Dans « Ici reposait, meurtre au Monumental »

Vous ferez du tourisme départemental

En Seine-Maritime aux courbes diluviennes.

Dans « Ici reposait, meurtre au Monumental »

Vous croiserez une mystérieuse Eurasienne…

… … …

… Aux charmes ravageurs, donc Faidherbe, Étrela 

Ont le coup de foudre et soudain ça se complique.

Hannibal, Rouen, Duclair, puis les entrelacs

D’un caveau pleins d’horreur et Victor Étrela 

S’enfonce tout au fond du Havre, enquêteur las…

Georges Faidherbe le réveille et tout s’explique.

Ce caveau plein d’horreurs sombres, ces têtes-là…

Énigme et ripoux… fou dingue… et tout se complique…

… … …

Il y a de l’humour de l’horreur, du mystère,

Des méandres de suspens et d’aveuglement.

Georges Faidherbe inviterait maints commentaires…

Il y a de l’humour des amours du mystère,

La Seine-Maritime en devient planétaire.

Ce roman fuse et tourbillonne carrément.

À la foire, à Rouen… Flaubert… au cimetière…

C’est du Robert Vincent, un bougre bon roman… 

Au frais d’un chais d’ouvroir

Hommag[e] d’un scripturophilisant à La Disparition d[e] G[e]orges P[e]r[e]c

L’horizon du bouquin dont tout un chacun va ici causant (en pointant un son bluffant) suscita toujours l’admiration du scripturophilisant lipogrammatisant par son polarisant loisir. Il agit fulgurant pour qui sait ouïr. 

Dans la foison du bouquin nous lisons un fulgurant polar, aromatisant maints maux dûs aux disparus. Lu tout haut, puis tout bas, lu au jour, puis la nuit, puis par biais oscillant, lu dix fois puis dix fois vingt-six fois dix… Toujours il bondit fascinant, scintillant sur l’azur du public scrutant l’art bavard dont G.P. brossa ici un «chais d’ouvroir». Il brossa sans s’aigrir, rigolant aussi…

Il va fonçant, ouvrant, sciant nos gris brouillards jusqu’aux blancs, flous mais scintillants; blizzards qu’un analysant fin sait voir surgir, noir sur blanc, aux flancs du hasard.

Plus qu’un «chais d’ouvroir», il s’agit donc là d’un bouquin moult anoblissant pour l’art du plumitif arguant du frictionnant pour fictions à tiroirs. La structuration, la formalisation, la rumination ont ici (pour un public nanti du goût du polar palpitant) un ton imaginatif aux bonds admiratifs; un son aussi.

Un son dont l’art a l’air si vrai : ni fanfaron ni abrutissant. Un son dont l’art jaillit brillant, signifiant, aux admiratifs (nous nous y comptons). Il suffit d’accourir jusqu’au bout! Tout au long du roman soufflant son ouragan vif aux tissus qu’il trama d’un stylo rugissant au son innovant. Du roman aux traits polis, il alla polissant l’abrupt. Tir au but actif pour qui saura voir, ouïr ou saisir un flot vif aux instants flottants. 

Il bondit sciant, sifflant, chiffrant, scintillant, sanguin aux frais du roman. L’accumulation d’assassinats, la multiplication d’arts appris, l’obscur dissimulant la fin, tout au long du discours, vont (aiguisant la faim) imprimant plus d’un motif baroquisant vont bondissant, claudiquant jusqu’au bout du long polar à l’apport si brillant. Lu dix fois, là il vrombit. Auparavant il va gonflant son jabot dix fois plus, d’un air vain. Lu dix fois, alors il va ronronnant, bondissant film sans bavards, non plus gonflant son jabot, mais courant dans l’air frais, sportif, assoupli, multipliant son son furtif, inactif, jusqu’aux arts actifs.

Airs aux ponts d’un jazz swinguant, ils vont par motifs (nus mais trop vrais) offrant maints tours musicaux (aux frais accords) au bouquinant qui ira fouillant actif. Mais quand il apparaît, bouquin lu dix fois vingt-six fois par goût musard d’un Don Giovanni, gaillard, saisissant tout pour voir, sans tons vains, dix fois vingt six floraisons, plutôt qu’un dos non lu d’obscurs dix par « U » d’un aigri vain niais s’abrutissant, sans voir, idiot par hasard. Alors à la fin, il rugit aux raisons d’oraison sans rayons d’or…

Maints traits sont alors signifiants (pour qui a lu ainsi dix fois vingt six fois dix son bouquin) narrant la raison qui va ourdissant son polar non par poinçon du hasard, mais par un stylo où point l’art du fictif qui sait saisir un saisissant instinct sciant, ouvrant l’infini.. 

Ouvroir aux points tardifs, aux trous du motif, La Disparition franchira nos futurs palabrant. Nous avons ici dans nos mains un infini survol par vaux, par champs, par bris ou par cris, du dit ou du non dit. Son survol va du mot jusqu’aux panoramas, du dix jusqu’au vingt six, du vif jusqu’à l’inscrit languissant, rosissant, rougissant, mots disant maux. Ça va pulsant. Tout va bruissant. Tout va jusqu’à la fin, actif ou jaillissant, jamais tombal, mais toujours florissant. Parfois floral, tissant son action, brossant tout à trac du polar tordu d’où plus d’un bandit surgit, non sans hasard, d’un motif sur un tapis nous aimantant. 

Sans bruit ou dans un galopant brouhaha, ça court, ça va rythmant, bondissant jusqu’aux points finaux pour saisir chacun, sans jamais l’abrutir, mais parfois supprimant pour nous offrir un bond baroquisant.

La squaw aussi y va jouant sa part, causant par bons mots anglais bruissants aux multiplications sur l’infini d’un nadir… Aile aux plumitifs: «arts du riz à Nadir» grains qu’il faut voir blanc sur blanc…

Voilà un roman roboratif dont un stylo dansant, ponctuant a su fourbir plus d’un discours tintinnabulant, lustrant, astral. Il nous fournira un jour pourtant (nuançons nos propos) un futur flambant sans trop d’infinis philosophant pour nos non si vains brouillons jamais noircis.

L’omission d’un d’un rond imparfait muni d’un trait n’a ici qu’un apport fort minimal au plaisir vrai qui jaillit d’un art qui s’offre aussi parfait. Mais il a l’air d’avoir aux goûts du tant d’avant, autant à voir aux pans d’un futur à bâtir aux fruits d’arts clavardant…

Il rugit, furibard cramoisi, multipliant son sang, circulant sous son mugissant trait pur d’horizon bavard. L’art du roman aura-t-il dans un futur lointain un tissu prototypal aussi bruissant qu’ici, dans l’or brillant tantôt inscrit au grinçant humour d’un plus qu’artisan du polar à stylo fulgurant ? 

Fulgurant, il fut, mais trop tôt disparu…

Belles personnes émouvantes et fragiles

invitation à lire « La vie commence par une Majuscule et continue après le point » (nouvelles) par N’zua Enam

Plonger dans l’univers des nouvelles de N’zua Enam est une tourbillonnante aventure de lecture que je vous conseille vivement. N’zua Enam porte sur l’humanité un regard tendre, sensible, espiègle parfois. Nous sommes tous matière de langage et l’être humain (avec son corps et ses humeurs, avec ses mystères et ses sourires, ses sentiments et ses opacités) devrait pouvoir se lire un peu comme un livre. Mais la vie des êtres humains est un peu plus compliquée que cela. Entre les mots et les êtres se tisse une relation complexe, faite de psychologie, de transparence et d’opacité, de sentiments et d’aveuglement, de passions et de raisons. Cet imperceptible qui se joue du sens des mots pourrait-il se nicher dans cet imperceptible souffle de la ponctuation ? Ce titre : « La vie commence par une Majuscule et continue après le point » nous entraîne à nous poser cette question tant il est écrit dans une langue ponctuée… Il nous entraîne aussi (et c’est heureux pour le plaisir de la lecture) à la rencontre de personnages attachants charnels et beaux que la plume de N’zua Enam dessine avec tact et délicatesse. Comme dans ces estampes orientales où l’on économise le trait pour trouver les lignes essentielles, les phrases du livre s’enchaînent et nous étreignent pour nous faire rencontrer de belles personnes, émouvantes et fragiles comme dans la vie. Elle est fugace cette existence et si les présences humaines illuminent le monde elles finissent toujours par s’éteindre fatalement. Mais avant l’extinction, il y a le miracle de cette vie aux détours et obstacles inattendus, aux labyrinthes compliqués, aux horizons limpides. On croisera des amoureuses, des amoureux déboussolés face à la passion, une grand-mère qui vieillit, mais qui trouve le temps de partager avec sa petite fille le récit d’un amour de jeunesse romanesque. Un père qui veut retrouver sa fille, une aveugle qui par coquetterie masque sa cécité, une femme et un homme aimantés l’un par l’autre et qui n’y comprennent rien… Le regard porté sur le monde est ici dans ses nouvelles un regard féminin, sympathique, empathique. Ce livre est celui d’une femme libre au regard sensible, exigeant, attentif à autrui. L’écriture est libératrice et la lecture aussi. Pour toutes ces raisons, je vous conseille la lecture de ce livre. Libérez-vous, lisez-le, vous découvrirez une richesse belle et tendre de sentiments profondément humains. N’zua Enam a la passion des êtres de la psyché humaine aux savants détours baroques. Les personnages se croisent et se rencontrent, s’évitent et se désirent, s’admirent et se sourient, comme dans un ballet, comme dans une danse, comme dans la vie… Il y a un souffle et un style dans l’écriture de N’zua Enam. Elle est ponctuée de toutes les figures et de toutes les épices qui donnent goût à la vie. Peut-être est-ce cela la vraie ponctuation, celle qui donne un rythme aux phrases ? Il y a plusieurs nouvelles dans ce livre, mais il se lit comme un roman. Une lecture où l’on est impatient d’atteindre la fin et où l’on est un peu triste de devoir quitter les personnages. Heureusement, on sait qu’il restera là, ce livre, dressé dans la bibliothèque, toujours prêt à susciter de nouveaux plaisirs de lecture.

Il faut souligner les efforts fait sur l’édition proprement dite qui font de ce livre un bel objet : une couverture et des illustrations signées Emmanuelle Delouhans, un texte soigné dans sa présentation.

Vous pouvez acheter « La vie commence par une Majuscule et continue après le point » en cliquant ici

La jubilation d’écriture de Jenny Bestory (Vendredi Lecture)

Le vendredi sur la blogosphère c’est #VendrediLecture… Ce vendredi 6 mai j’ai donc décidé de vous inviter à la lecture de Centelha, tome 1: au-delà des remparts de Jenny Bestory. Plongez-y! Il se lit facilement. On est entraîné dans cette aventure, comme dans ces lectures savoureuses qui vous font passer vos après-midi entières couché à plat ventre en vous délectant de la lumière du soleil sur le papier imprimé. Comme ces lectures qui invitent aux nuits blanches à ne pas dormir pour suivre un récit palpitant, à la lumière douce d’une lampe de chevet. Dans ce roman j’ai d’abord senti une jubilation d’écriture de la part de Jenny Bestory. Il fallait que ce livre paraisse parce qu’il est le résultat d’un long travail. Et il a fallu du temps d’écriture pour imaginer une telle aventure. J’ai envie d’écrire que si ce volume entraîne cette jubilation de lecture…
…« C’est que tout a sa loi, le monde et la fortune : 
« C’est qu’une claire nuit succède aux nuits sans lune : 
« C’est que tout ici-bas a ses reflux constants ;
« C’est qu’il faut l’arbre au vent et la feuille au zéphire ;
« C’est qu’après le malheur m’est venu ton sourire, 
« C’est que c’était l’hiver et que c’est le printemps. » (Victor Hugo, feuilles d’automne). 
L’imaginaire de Bestory Jenny est foisonnant, pétillant, étincelant. L’île imaginaire où se déroule l’histoire « Centelha » signifie d’ailleurs « étincelle ». Centelha, suggère aussi le nom de l’île de Sainte-Hélène, perdue dans l’océan quelque part entre Afrique et Amérique. Et l’île de Centelha se situe en effet quelque part dans l’océan, entre deux continents. L’intrigue procède en rencontres et rebondissements. Des personnages apparaissent mystérieux d’abord, puis familiers, ensuite, quand l’intrigue progresse. Certains personnages sont inquiétants. Il y a du suspense, du frisson (comme au cinéma). Puis de chapitre en chapitre, on s’attache à Améthyste, l’héroïne du livre, on la découvre, on l’aime. Son image prend forme, comme lorsque l’on ébauche un croquis, avant de dessiner un portrait fidèle (avec ses effets d’ombres et de lumière). On l’accompagne, elle nous accompagne. Elle prend du relief et devient une amie imaginaire. Sa vie est faite de détours, d’émerveillements, d’indignations devant l’injustice, d’explorations, de découvertes. Il y a de l’inattendu dans ce roman (il ne faut pas tout dévoiler), il y a aussi beaucoup d’humanité, de sourire. L’intrigue est chaleureuse, aventureuse comme Améthyste, avec des bascules et des rétablissements, des blessures et des reconstructions. Il y a quelque chose d’auroral dans ce roman, quelque chose qui m’inspire ces lignes :
« Il est tant de rêver aux heures du matin. 
« Les grimaces d’hier, déchiffre-les sans rire
« Il est beau leur visage, il est franc leur sourire.
« Il arrive un matin c’est le moment de lire
« Ses dessins compliqués, ses branchages mutins. »
Car l’intrigue imaginée par Jenny Bestory est labyrinthique et passionnante à démêler, comme un bel arbre aux branchages embrouillés et mutins que l’on aime observer pour admirer l’entremêlement du feuillage et des branches aux formes compliquées. Dès que l’on y plonge le regard, on y éprouve un délicieux plaisir de déchiffrements et de découvertes. le coeur palpite dans les chemins qui égarent. L’esprit s’éclaircit sur les routes imprévues qui conduisent à destination. Bravo Jenny Bestory , je souhaite de nombreuses lectrices et lecteurs à ce livre…

Pour acheter ce livre sur le site internet de Jenny Bestory, cliquez ici

Pour une réception communo culturelle de la lecture: Étude d’Atala… par Christine Lara

Cet ouvrage analyse la réception de la lecture du roman Atala de Chateaubriand au sein d’aires culturelles variées. Le postulat est que la réception de la lecture se fait à deux niveaux : un niveau individuel, défini par les théoriciens de la réception (comme Eco, Jauss…), et un niveau communo-culturel. En effet, chaque mot que lit l’élève-lecteur déclenche en lui un phénomène de mémoire collective, issu du patrimoine culturel de sa communauté. Le texte devient alors comme un pont culturel entre les lecteurs.

ISBN 978-2-296-12800-2

Pour une réception communo culturelle de la lecture

Éditeur L’Harmattan

Date de publication10/12/2010

CollectionEspaces Littéraires

Nombre de pages276

J’aime ce livre pour l’écoute à laquelle il invite. Christine Lara y déploie une capacité d’écoute de ses élèves qui invite à entendre la riche personnalité de chacun à travers ce que la lecture d’un classique de la littérature peut faire naître de découvertes sur le monde. Christine Lara a enseigné Atala de Chateaubriand tout autour de la terre, des Antilles à l’Île-de-France, en passant par les îles du pacifique ou de l’océan indien. Elle est la professeur de français que l’on rêverait tous d’avoir eue dans son enfance. De ces lieux multiples, de ses classes où la parole vibre de passion, Christine Lara a fait naître ce livre riche d’enseignements. À qui s’y attarde en lecture active en recherche de méthode éducative ou par une lecture amatrice et détendue au rythme des reflets du soleil sur la page cet ouvrage apporte infiniment. J’aime ce livre que je lis et relis pour y puiser matière à transmettre dans mes ateliers d’écriture, pour y trouver quelques fructueux paragraphes invitant à mieux écouter le vaste monde de formidable complexité. Ce livre, j’aurais envie de rebaptiser « Pour une réception humaine (pédagogique et réflexive) d’Atala de Chateaubriand » fait partie des ouvrages que tout passionné de littérature devait avoir dans sa bibliothèque, que tout professeur de français doit avoir parcouru, au moins une fois dans sa vie. Qu’est-ce qu’un lecteur bricole avec ses lectures d’un texte ? Derrière cette simple question résonnent bien des territoires qui méritent d’être écoutés, bien écoutés, davantage écoutés et entendus (car pour prétendre comprendre, il faut d’abord écouter). Et le silence du livre de Christine Lara dans ma bibliothèque à l’instant mérite assurément d’être entendu il est riche d’enseignements. Ce livre j’en parle volontiers autour de moi à l’occasion de conversations passionnées. Je ne l’avais pas encore fait ici sur mon blog. Je le fais aujourd’hui. Vous savez, un livre est exigeant (on ne peut rien lui refuser, il exige parfois d’être mille fois relu). Cet ouvrage mérite assurément d’être lu et relu en 2022 alors que tant et tant de relecture attendent leurs lecteurs pour inviter à entendre la poésie de notre vaste et belle humanité. La façon dont les élèves reçoivent Atala de Chateaubriand apprend infiniment sur la manière dont chacun d’entre nous réagit à n’importe quel texte écrit. L’écrit nous attrape comme il peut au milieu de nos urgences du moment, où du passé qui nous a modelé, de la brise qui souffle aux rythmes de l’événement. Il n’y a jamais une seule lecture possible. Il y en a plusieurs en fonction des histoires individuelles et collectives. Entendre un texte en se mettant à la place de l’autre et des autres permet d’enrichir la compréhension d’une oeuvre et d’un auteur (ici Chateaubriand). Atala sort grandi de toutes ses significations et implications. La lecture implique ce «vivre avec» qui fait naître la conversation, l’échange des points de vue, l’élargissement de l’horizon, l’ouverture. Merci, Christine Lara pour cette précieuse invitation aux (multiples) (re) lectures. Elles demeurent plus que jamais d’actualité.

8 Juillet 1621 Naissance de Jean de La Fontaine

Le 8 Juillet 1621 Jean de La Fontaine naissait à Château-Thierry. Faut-il encore le répéter? Tout le monde le sait, on n’a pas arrêté de nous le ressasser à l’école. Oui mais le 8 Juillet c’est aujourd’hui! Aujourd’hui Jean de La Fontaine atteint l’âge de trois cent quatre dix neuf ans. On ne peut pas laisser passer ça sans écrire un article de blog, ou de blogue comme écrivent les Québécois;  comme aurait peut-être aussi écrit Jean de La Fontaine s’il avait écrit dans un blog… L’aurait-il écrit ainsi? Vraiment? Une controverse pourrait naître sur cette intéressante question, avec articles en cascades, attaques, répliques, erreurs et rectificatifs, partages sur Twitter avec hashtag rageurs. Blog ou blogue quelle serait la préférence de Jean de La Fontaine? On imagine avec délice l’abondance de tout ce qui pourrait être écrit sur le sujet. Pour un « e » muet précédé d’un « u » on pourrait faire renaître aujourd’hui une querelle fameuse digne de la célèbre bataille entre Furetière et La Fontaine. Faute de temps on me pardonnera de ne pas développer outre-mesure… Du temps je n’en ai guère pour évoquer une guerre et ce d’autant plus que les trois cent quatre vingt dix neuf ans de Jean de La Fontaine valent bien de vagabonder quelques heures dans la jungle des collections numériques de Gallica BnF pour en savoir plus sur le propriétaire de la Ferme de Tueterie près de Château Thierry. C’est qu’il n’était pas seulement propriétaire, il était aussi l’auteur des fables. Celles dont le Vicomte de Broc a écrit: «Les fables, compagnes de nos jeunes années, nous ont suivis sur le chemin de la vie ; elles n’en ont pas ôté les épines, mais elles l’ont semé de fleurs que nous aimons à cueillir et dont nous respirons le parfum. Elles égayent les jours sombres, et voilent de sourires et de badinages les maux et les chagrins de l’humanité.» (extrait de Vicomte de Broc, La Fontaine moraliste, Librairie Plon 1896 document Gallica BnF). Ainsi en 1896 Jean de La Fontaine était en quelque sorte brandi comme un symbole nationaliste servant à venger à la fois la Guerre de cent ans contre les Anglais et la guerre de 1870 contre les Prussiens. Un vicomte se permettait de l’enrôler parmi les partisans de la restauration de la Royauté contre les partisans de la IIIe République balbutiante (qui lisaient plutôt Victor Hugo).

Et pourtant Jean de La Fontaine serait peut-être aujourd’hui un écologiste, un anarchiste, un libertaire. N’avait-il pas publié ses fables en 1668? N’était-il pas une manière de «soixante-huitard» un précurseur? N’était-il pas d’abord un esthète, un artiste, un amoureux de la musique et de la nature? Pour la première édition de ses fables (adaptées d’Ésope) en 1668 il avait choisi de les faire illustrer par un des meilleurs graveurs de son époque, François Chauveau (1613-1676). Il était tellement connu que l’on diffusait son portrait jusqu’en terre de langue allemande (ainsi qu’en témoigne l’estampe ci-dessous).

La première publication des fables en 1668 était donc une édition de luxe. On la trouve dans les collections Gallica BnF. Elle est merveilleuse à feuilleter (cliquez ici).

Très rapidement les fables de La Fontaine devinrent une oeuvre populaire, largement diffusée par les colporteurs. En témoigne cette édition parue sous le 1er Empire en 1812 avec des gravures un peu maladroites et un «portrait d’Ésope» insistant sur son aspect campagnard.

Jean de La Fontaine était d’abord un esthète, lit-on dans la Notice sur Jean de La Fontaine dans l’Histoire de la littérature française illustrée. Tome I (publiée sous la direction de Joseph Bédier (1864-1938), Paul Hazard (1878-1944). Disponible sur Gallica BnF

« Si l’on veut, à toute force, le classer et marquer sa place dans un tableau du XVIIe siècle, il faut le ranger du côté des « libertins » avec Saint Évremond. Il appartient à la lignée des Gassendistes. C’est un épicurien. La seule prière qu’il fit jamais, il l’adressa un jour à la Volupté (Psyché, Livre II). »[…] « Qu’il ait adoré la musique, c’est encore lui qui nous l’a dit dans son épître à son ami de Nyert, non qu’il se plût au tintamarre de l’Opéra, mais il goûtait une chanson à à danser ou une jolie pièce de clavecin, surtout si les mains de la claveciniste étaient jeunes et blanches. Qu’il ait aimé la campagne, comment en douter quand on retrouve dans Psyché, dans les Contes, dans les Fables, le ressouvenir des des scènes et des paysages qui, sur les bords de la Marne, avaient amusé ses yeux et enchanté son imagination ? »

« Jean-Jacques Rousseau a soutenu que les Fables étaient un danger pour les enfants… »

« Lamartine a été bien plus loin : « Ces histoires d’animaux, dit-il, qui parlent, qui se font des leçons, qui se moquent les uns des autres, qui sont égoïstes, railleurs, avares, sans amitié, sans pitié, plus méchants que nous, me soulevaient le cœur. Les Fables de La Fontaine sont plutôt de la philosophie dure, froide et égoïste d’un vieillard que la philosophie aimante, généreuse, naïve et bonne d’un enfant : c’est du fiel, ce n’est pas du lait pour les lèvres et les cœurs de cet âge. »

[…]

La Fontaine s’était assigné d’autres objectifs :

« Platon…, dit-il, souhaite que les enfants sucent ces fables avec le lait ; il recommande aux nourrices de les leur apprendre ; car on ne saurait s’accoutumer de trop bonne heure à la sagesse et à la vertu. Plutôt que d’être réduit à corriger nos habitudes, il faut travailler à les rendre bonnes pendant qu’elles sont indifférentes au bien ou au mal… »

[…] « Dans la même préface,il déclare qu’aux apologues des Anciens, il a voulu ajouter des « traits qui en relevassent le goût ». C’est, dit-il, ce qu’on demande aujourd’hui : on veut de la nouveauté et de la gaieté. Je n’appelle pas gaieté ce qui excite le rire, mais un certain charme, un air agréable qu’on peut donner aux sujets même les plus sérieux. » Cette fois-ci, croyons-le sur parole. Son principal objet fut non pas d’instruire ou d’édifier les hommes mais de leur plaire. « On ne considère en France, dit-il, que ce qui plaît : c’est la grande règle et pour ainsi dire, la seule. »

« La plupart des personnages ont cependant figure d’animaux. Ne seraient-ils que des hommes costumés en bêtes ? Non. Le fabuliste entend exprimer « les propriétés des animaux et leurs divers caractères » , et il les exprime avec une rare exactitude ; s’il le fait en poète et non en naturaliste, il n’en trouve pas moins des traits d’une criante vérité pour rendre la démarche, l’air, la physionomie des animaux qu’il a observé dans sa basse-cour et dans la campagne champenoise ; mais il remarque tout de suite : « les propriétés des anmaux et leurs divers caractères, par conséquent les nôtres aussi. » Ces êtres singuliers ne sont donc ni hommes, ni bêtes ; ils sont nés de l’imagination d’un poète ; ils forment dans la création un règne à part : ce sont « les animaux de La Fontaine ».

«Ces fables sont une comédie par la vivacité des dialogues, la soudaineté des péripéties, l’imprévu des dénouements, surtout par la variété et le relief des caractères, si bien que les critiques ont pu y découvrir un « un abrégé de la société du XVIIe siècle, de la société française, de la société humaine » (Taine).

« Si La Fontaine n’avait été un prodigieux inventeur de rythmes, il n’eût découvert une forme poétique nouvelle, le vers libre, un vers libre qui, à la différence de celui de Molière dans Amphytrion, mélange toutes les mesures ?»

Le vers libre de La Fontaine lui est infiniment personnel:

« Cette fusion intime de tous les rythmes, dit Théodore de Banville, où le vêtement de la pensée change avec la pensée elle-même, et qu’harmonise la force inouÏe du mouvement, c’est le dernier mot de l’art le plus savant et le plus compliqué, et la seule vue de difficultés pareilles donne le vertige. D’ailleurs comme La Fontaine avait créé son instrument, il l’a emporté avec lui : tous ceux de ses prétendus successeurs qui ont cru se servir du vers libre, nous ont donné un chaos risible et puéril ; non seulement ils en ignoraient l’esprit, l’allure, le mouvement harmonieux et rapide, mais ils n’en ont même pas compris le mécanisme. »

« Le vers libre est la suprême trouvaille de La Fontaine ; par la mystérieuse vertu de ses rythmes infiniment variés, il anime les scènes et nuance les tableaux ; c’est lui qui ravit les imaginations, même enfantines ; c’est lui qui fixe les fables dans la mémoire des hommes. C’est grâce à lui qu’un « bel esprit », conteur malicieux et libertin, est devenu le plus poète des poètes de France. » (citations extraites de  Notice sur Jean de La Fontaine dans l’Histoire de la littérature française illustrée. Tome I (publiée sous la direction de Joseph Bédier (1864-1938), Paul Hazard (1878-1944). Disponible sur Gallica BnF). 

J’ai surtout évoqué dans cet article le fait que Jean de La Fontaine était un esthète, aimant la musique et le rythme de la langue. Aurait-il pour autant préféré blogue à blog? Le mystère reste entier…

Une chose est certaine, Jean de La Fontaine dont nous fêterons le 8 Juillet 2021 le quadricentenaire mérite d’être sans cesse lu et relu, étudié car il apporte dans ses fables une féconde et souriante sagesse alimentée des antiques et des orientaux qui nous apprend infiniment aujourd’hui pour supporter toutes les adversités.

Pour en savoir plus:

À écouter cette émission de France-Culture (cliquez ici)

On trouvera sur le site Gallica BnF un excellent dossier sur Jean de La Fontaine. Une mine où chacun peu puiser sa documentation pour alimenter sa réflexion. (cliquez ici).

Triacleur

Si vous avez lu mon précédent article, vous vous rappelez peut-être que, dans son « Abrégé du parallèle des langues françoise et latine repporté au plus près de leurs propriétez » (1637), Philibert Monet (1569-1643) définissait le verbe « charlater » par ces termes : « faire un train de triacleur… ».

Ce terme de Triacleur n’étant plus guère en usage aujourd’hui, on va essayer dans cet article d’éclairer ce qu’il signifie, en explorant les ressources de Gallica BnF ainsi que quelques dictionnaires…

Dans son incontournable Dictionnaire universel Antoine Furetière (1690) définit le terme de Triacleur (substantif masculin), comme étant un « Saltimbanque, un charlatan qui vend en place publique ou sur un théâtre, de la thériaque, ou autres drogues vicieuses, après avoir amassé le peuple par ses bouffonneries. » Cette définition n’éclaire guère si on ignore ce qu’il faut entendre par Thériaque. Un autre dictionnaire, Le vocabulaire français du XVIe siècle, Deux mille mots peu connus signé Hugues Vaganay (1870-1936) définit le Triacleur comme un «porte-trompette» Le Dictionnaire de la langue romane du vieux français de François Lacombe (1768) le définit comme un «charlatan» ou un «praestigiator» (= illusionniste en italien). Quelle est cette Thériaque et pourquoi justifie-t-elle de jouer de la trompette, où de se livrer à des numéros d’illusionniste?

Le commerce de la thériaque était si mal vu au XVIIIe siècle que pour attaquer les jésuites, une estampe les représente sous le titre Au grand Magasins de Thériaque.

Sous la gravure on peut lire ces vers:

«Les voilà donc surpris, mais cet air patelin

«Trouvera des nigauds qui s’y laisseront prendre

«Ah France si tu les gardes en ton sein,

«Ils te déchireront, oses-tu les défendre?»

Quelle est donc cette Thériaque, si funeste qu’elle serait capable de détruire la France?

Dans son roman « Histoire de Gil Blas de Santillane » Alain-René Lesage (1668-1747) invente, pour se moquer de Voltaire, un auteur de théâtre imaginaire nommé Gabriel Triaquero. Sainte-Beuve, annotateur du roman, dans l’édition Garnier de 1864, explique : « Il n’y a jamais eu de poète espagnol qui s’appelât Triaquero. Ce n’est que pour attaquer Voltaire sous ce nom peu flatteur que Le Sage a conçu l’idée du chapitre qu’on va lire. Triaquero veut dire vendeur de Thériaque, en vieux français, triacleur, et en langage moderne, charlatan. »

Quelle est donc cette incroyable Thériaque si compromettante, qu’elle permet d’attaquer à la fois Voltaire et les Jésuites?

Il s’agit tout simplement d’un ancien médicament. Joseph Bernhard (1860-1935), pharmacien de première classe à Étrepagny dans l’Eure lui a consacré en 1893 un ouvrage entier intitulé «Les médicaments oubliés : La Thériaque, Étude historique et pharmacologique» (disponible ici dans les collections Gallica BnF).

Aux pages 88 et 89 de cet ouvrage Joseph Bernhard explique que dès le Moyen-âge des «les chroniques […] nous montrent les campagnes de France sillonnées par des rebouteux ambulants, charlatans de bas étages, promenant de bourgades en bourgades, leur empirisme effronté, et leurs «boëtes de triacle» [boîte de thériaque]. Ces colporteurs vendaient pour de la thériaque les drogues les plus dégoûtantes, et les mots triaclerie, triacleurs, devinrent d’un usage courant pour désigner une tromperie un falsification, une action malhonnête, digne d’un vendeur de thériaque; un fraudeur, un charlatan, un imposteur. Une farce: Le Pardonneur, le Triacleur et la Tavernière, datée du commencement du XVIe siècle met un en scène un de ces marchands de thériaque vagabonds…» (source Gallica BnF). Depuis le terme de Triacleur est devenu une sorte de quolibet, une injure, un terme suffisamment relevé cependant pour figurer dans Les Remarques de M. de Vaugelas sur la langue françoise, tome 3 (page 22). Claude-Favre de Vaugelas (1585-1681) précise qu’« Il faut dire Triacleur, qui vend de la thériaque, ou passe pour un Charlatan, & et non pas Theriaqueur. »

Mahturin Regnier (1573-1613 dans sa Satyre XIII intitulée « Macette ou l’hypocrisie déconcertée » évoquant l’hypocrisie des grands de la cour écrit :

« Tous ces beaux suffisants dont la cour est semée »

« Ne sont que triacleurs et vendeurs de fumée. »

Au XIXe siècle le terme de Triacleur était encore utilisé dans son sens argotique. Plusieurs paragraphes lui sont consacrés dans La grande bohême, histoire des royaumes d’Argot et de Thunes, du duché d’Égypte… : suivie d’un dictionnaire complet des diverses langues fourbesques et argotiques de l’Europe à toutes les époques (1850) page 211 (cliquez ici pour les lire sur Gallica BnF). On trouve quelques occurrences de ce terme dans la presse quotidienne de la fin du XIXe siècle.

Dans La Dépêche de Toulouse du 6 décembre 1888, Louis Braud affuble le général Boulanger du sobriquet de « triacleur » à l’occasion de son discours de Nevers (décembre 1888) : « comme celle du « triacleur » de la fin du seizième siècle, la drogue de M. Boulanger guérit de tous les maux. Il jure d’opérer les réformes sociales et promet du beurre aux classes laborieuses et surtout aux paysans. » (cliquez ici pour lire l’article sur Gallica BnF).

Voilà ce qu’on pouvait dire de ce vieux mot oublié qui mérite sans doute de réapparaître dans les dictionnaires d’aujourd’hui, surtout à l’heure où les débats médicaux inondent les médias à l’occasion de la pandémie de Covid-19.  Pour ma modeste part, j’ai tenté de le faire revivre en Juillet 2020, dans un rondeau intitulé Le Triacleur.

 

 

Thomas Sonnet (1577-1627)

«C’est icy de Courval le vif et vray pourtraict :
Son nez, son front, ses yeux et sa levre pourprine.
Icy lui voidz le corps figuré par ce trait
Et son esprit paroist en l’art de médecine.»

Si vous avez lu mon dernier livre: Sansonnet sait du bouleau (BoD Novembre 2019) vous aurez certainement remarqué que j’y fais référence (pages 13 et 116) à un certain Thomas Sonnet (1577-1627)…

Ce personnage a réellement existé. Je ne l’ai pas inventé, il a même connu une certaine gloire. Une petite promenade dans les riches collections Gallica BnF permet d’en apprendre un peu plus sur ce singulier personnage à la forte personnalité… Le poète Gustave Levavasseur (1819-1896) l’évoquait, en plein milieu du XIXe siècle, en ces termes:

«Connaissez-vous Thomas Sonnet ?
C’était un médecin de Vire.
Il tournait fort bien un sonnet.
Connaissez-vous Thomas Sonnet ?
Aux malades il ordonnait
De ne jamais boire du pire.
Connaissez-vous Thomas Sonnet ?
C’était un médecin de Vire.» (extrait de Au Pays Virois : bulletin mensuel d’histoire locale, Septembre 1920 disponible ici dans les collections Gallica BnF).

Thomas Sonnet, Sieur de Courval est né en 1577 à Vire en Normandie, il est mort en 1627 à Paris.  Il était auteur de satires et médecin, il fut célèbre pour la férocité de sa plume qui l’a contraint à quitter sa Normandie pour Paris… Il s’est d’abord fait connaître par sa Satyre Ménipée ou Discours sur les poignantes traverses ou incommodités du mariage, où les humeurs de femmes sont vivement représentées, 1608 (Disponible ici dans les collections Gallica BnF) 

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Cette oeuvre a connu un certain succès puisqu’elle a été rééditée à plusieurs reprises. Elle a également causé quelques ennuis à son auteur. À la suite de cette publication, Thomas Sonnet a quitté Vire et la Normandie pour s’installer à Paris, s’y marier et y embrasser la profession de médecin. Avait-il dû s’exiler à cause de sa satire sur les femmes? Sa plume aiguisée ne devait guère plaire aux bons bourgeois et surtout aux dames de Vire… Même s’il essaie de se rattraper dans des vers qu’il adresse visiblement à celle qui avait ses faveurs:

«Ma chère âme, mon tout, je me viens excuser
Si j’ay osé blasmer tout le sexe des femmes;
Non, non, mon coeur, ce n’est qu’aux impudiques dames
Que mes cyniques vers se doivent adresser ;
J’ay toujours respecté les chastes demoiselles,
Poussé de ton amour et de la vérité :
Je n’ay donc par ces vers nullement mérité
D’encourir ta disgrâce et des autres pucelles.
Plutost, mon coeur, lu dois m’aimer plus ardemment
D’avoir choisi pour but une telle matière
Qui fait la chasteté briller par son contraire,
Comme en l’obscurité brille le diamant.» (in Satyre ménippée… Edition de Lyon de 1623 page 106)

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Selon M. de Robillard de Beaurepaire, sa biographie ne présenterait aucune aspérité, aucun épisode intéressant: «Sonnet n’a jamais exercé de fonctions publiques ; il n’a pris part à aucun événement notable ; et, sans les ouvrages qu’il nous a laissés, son nom serait aujourd’hui enseveli dans l’oubli le plus profond.» (Les Satires de Sonnet de Courval par M. de Robillard de Beaurepaire in Mémoires de l’Académie royale des sciences, arts et belles-lettres de Caen 1865 disponible ici dans les collections Gallica BnF). «Cette vie sédentaire et sans horizon, qui au premier abord peut paraître défavorable au développement de l’esprit, a fourni en définitive à Sonnet ses meilleures et ses plus saines inspirations. Satirique par instinct et par tempérament, il n’a jamais été mêlé qu’à une société de petite ville ; mais il l’a vue fonctionner sous ses yeux, il a pu l’observer de près et étudier sur le vif les travers, les vices et les scandales qu’il devait plus tard décrire.» (M. de Robillard de Beaurepaire). Le même auteur le qualifie de « Pamphlétaire irrespectueux et grossier, il a toutefois compris le besoin d’une transformation générale; il a compati à la misère des basses classes et a combattu la rapacité des traitants, le ridicule des gentilshommes d’aventure et le luxe insolent des abbés commendataires. Après avoir décrit les raffinements du luxe et la bigarrure des costumes, après avoir pénétré avec une curiosité sensuelle dans les plus mauvais lieux… il a retrouvé tout à coup une honnêteté d’aspirations inattendues; il a rêvé d’un royaume sans division, une organisation équitable des impôts, la suppression de la vénalité des charges, la justice respectée comme un sacerdoce, et la religion recouvrant l’auréole de sainteté, le prestige des anciens jours. » (M. de Robillard de Beaurepaire)

Sonnet Sieur de Courval doit ses premiers succès littéraires dès 1608  à la diffusion de sa Satyre Ménipée «Cette diatribe bizarre est pourtant loin d’être un chef-d’oeuvre; elle n’est pas même, à beaucoup près, la production la plus remarquable de notre poète. Mais, avec ses tendances sceptiques, elle répondait parfaitement au courant d’idées du moment, et aujourd’hui même le nom de Sonnet, malgré ses essais dans des voies plus sérieuses, y est resté irrévocablement attaché , et en a conservé comme une notoriété équivoque et suspecte.» (M. de Robillard de Beaurepaire). Dans la rédaction de sa « Satyre Ménipée » il est assez vraisemblable que Thomas Sonnet, Sieur de Courval ait été fortement influencé par les Stances du Mariages de Philippe Desportes (1546-1606): 

«De toutes les fureurs dont nous sommes pressés,
De tout ce que les cieux ardemment courroucés
Peuvent darder sur nous de tonnerre et d’orage,
D’angoisseuses langueurs, de meurtre ensanglanté,
De soucis, de travaux, de faim, de pauvreté,
Rien n’approche en rigueur la loi de mariage…» (à découvrir ici sur Gallica BnF).

Selon M. de Robillard de Beaurepaire, il est plus que probable que Thomas Sonnet, Sieur de Courval «n’ait fait qu’étendre et paraphraser les strophes» de Philippe Desportes…

Ce serait toutefois une injustice faite à Thomas Sonnet que de prétendre qu’il s’est contenté de paraphraser Desportes… C’est à la singularité de sa plume que l’on doit ce sonnet au très noble et vertueux gentilhomme Gilles de Gouvets, Sieur de Mesnil-Robert et de Clinchamp, gentilhomme normand réputé pour sa bibliothèque paraît-il considérable  :

« Heureux Mesnil-Robert, heureuse influence
»Et l’astre fortuné qui dominoit aux cieux
Lorsque tu vis le jour ! Mars te fit généreux,
»Et Mercure t’offrit sa plus douce éloquence.

»Pallas te fit présent de cette grand’prudence
»Qui en tes actions te rend si vertueux ;
»Minerve te donna le désir curieux
»D’avoir de tous les arts parfaicte intelligence.

»Ô favorable aspect ! O bening ascendant,
»Qui, lorsque tu naissois, alloit comme influant
»Mesmes perfection à ta noble famille !

»Tu vois ton docte fils, ce généreux Clinchamp,
»Lequel à tes valeurs heureux va succédant,
»Faisant renaistre en lui ta doctrine fertile. » 

(extrait des Oeuvres poétiques de Courval-Sonnet publiées par Prosper Blanchemain, disponibles ici sur Gallica BnF).

On attribue également à Thomas Sonnet les « Satyres contre les abus et désordres de la France » « plus est adjoutés Les exercices de ce temps d’une très belle & gentille invention » publié en 1627 à Rouen chez Guillaume de la Haye, tenant boutique en l’Estre nostre Dame, (disponible ici sur Gallica BnF). «Les Exercices de ce temps comprennent douze satires d’étendue inégale, intitulées : Le Bal, La Mortification, La Foire de village, Le Pèlerinage, La Pourmenade, Le Cousinage, Lucine, L’Affligé, Le Débauché, L’Ignorant, Le Gentilhomme, et Le Poète. Cette réunion de poésies libres rappelle à s’y méprendre le ton général du Parnasse, du Cabinet et de l’Espadon satirique. On pourrait, en outre, y signaler des passages nombreux et importants,qui paraissent calqués sur certaines satires de Régnier, ou même du poète rouennais Auvray…» (M. de Robillard de Beaurepaire). 

Sonnet n’était pas seulement poète, il était aussi médecin. C’est la raison pour laquelle il a publié « Les tromperies des charlatans découvertes par le Sieur de Courval » un opuscule de 16 pages publié en 1619, disponible ici sur Gallica BnF)  Il en appelle, dans deux tercets conclusifs à une police bien réglée contre les charlatans et notamment dans le domaine médical :

«Car si aux autres arts, le moindre erreur commis 
Ne doit estre d’aucun tolleré ni permis,
Beaucoup moins le doit-il, en l’art de Médecine

Dont la moindre faute apporte une ruine,
Qu’on ne peut nullement remettre ou réparer,
Et faire que la vie on puisse restaurer. »

En conclusion de ces tromperies, il met en garde contre ces charlatans aux « parolles succrées & affecté jargon, recouvert de belle apparence, tout ainsi que la fausse Monnoye, dont la monstre est fort belle, & l’usage de nulle valeur. » Était-ce un aveu de sa part du peu de valeur qu’il donnait à ses propres écrits? À chacun d’en juger mais il est certain que Thomas Sonnet, Sieur de Courval est à ranger parmi ces auteurs dont les ouvrages dorment plus volontiers dans l’ombre des rayonnages obscurs des bibliothèques que sous les projecteurs médiatiques. Il est sans doute également une illustration du fait que l’humour d’une époque ne peut plus être compris dans les siècles qui suivent car l’échelle des valeurs change et le respect porté à autrui progresse. De ce point de vue son regard peut encore nous apporter pour aujourd’hui…  Fait-il pour autant partie des écrivains oubliés parce-que simples et modestes? Fait-il partie de ceux que le Cardinal de Bernis  évoque dans une célèbre allégorie?

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(in Oeuvres complettes de M. le Cardinal de Bernis, Avignon, 1811, disponible sur Gallica BnF).

Une seule chose est à peu près certaine: si Thomas Sonnet Sieur de Courval peut encore figurer aujourd’hui dans une « Histoire du Sonnet », en tant que genre littéraire, c’est d’abord dans une optique purement décalée et humoristique…

Pour en savoir plus….

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Notice de quatre pages consacrée à Thomas Sonnet dans « Poètes Normands » publié sous la direction de Louis-Henri Baratte (disponible ici sur Gallica BnF)

Edition complète des oeuvres de Sonnet-Courval par Prosper Blanchemain (tome 1 comprenant une notice sur la vie de Thomas Sonnet) Google-Books

Satyre contre les charlatans et pseudomédecins empyriques . En laquelle sont amplement descouvertes les ruses & tromperies de tous thériacleurs, alchimistes, chimistes, paracelsistes, distillateurs, extracteurs de quintescences, fondeurs d’or potable, maistres de l’élixir, etc… Comportant un portrait gravé de Thomas Sonnet. Imprimé A Paris, chez Jean Millot en 1610 (disponible sur Gallica BnF)

Notice de la BnF sur Thomas Sonnet Sieur de Courval (1577-1627).

[Quadricentenaire] 28 Décembre 1619 Naissance d’Antoine Furetière

Antoine Furetière est né, il y a exactement quatre-cents ans le 28 Décembre 1619 de la veuve d’un apothicaire, remariée avec le clerc d’un conseiller.

Tallemant-des-Réaux relate une anecdote qui serait à la source de la vocation future d’Antoine Furetière… Ce dernier alors qu’il était un jeune enfant, demandait de l’argent à son père pour s’acheter un livre… Au lieu céder à son désir, son père lui aurait demandé s’il avait déjà appris et s’il connaissait par cœur le dernier livre qu’il lui avait offert. Or ce livre était un dictionnaire… On peut en déduire que ce « clerc de conseiller » n’était donc pas un grand lettré, mais on peut aussi y voir une des raisons du destin de lexicographe auquel s’est voué (jusqu’à risquer la disgrâce) Antoine Furetière…

Il fit preuve très tôt d’une vive curiosité intellectuelle en étudiant le droit et les langues orientales puis il acheta une charge de procureur fiscal qu’il revendit pour devenir ecclésiastique. On connaît mal sa biographie car, souligne Francis Wey in Antoine Furetière, sa vie, ses œuvres, ses démêlés avec l’Académie Française in « Revue contemporaine » de Juin 1852 (disponible sur Gallica BnF): « La vie de ce malheureux écrivain n’a été publiée que par ses adversaires, et lorsqu’il était hors d’état de se défendre ; de sorte qu’il est difficile de réédifier cette biographie à l’aide de documents contradictoires. Bayle est à peu près muet lui-même sur ce qui concerne ce sujet obscur. Quoiqu’il en soit, Furetière fut pourvu de l’abbaye de Chalivoy, au diocèse de Bourges. Dès lors il se consacra presque exclusivement aux lettres»

Tallemant-des-Réaux le dépeint comme un être modeste : « Il ne louait jamais les autres ; mais aussi ne paraissait pas entêté de ses ouvrages. Ses manières n’étaient ni douces, ni arrogantes. » et Francis Wey qui cite ce portrait en conclut : « Ce n’est point là le portrait d’un homme d’intrigues ni un courtisan ; mais plutôt un philosophe bourru, se résignant à se suffire. »

Comme de nombreux lettrés de son époque, il a commencé à écrire à partir du latin. On peut trouver sous sa plume une Aeneide travestie, d’après Virgile publiée en 1649 (disponible ici sur Gallica BnF).

Furetière a d’abord été poète (son premier recueil de poésie a été publié en 1655). Francis Wey décrit dans les termes suivant son activité de poète « Ainsi que la plupart des auteurs de son temps, Furetière eut la prétention de joûter à toutes les armes ; en d’autres termes, de se signaler dans tous les genres de poésie […] Satire, épigrammes, stances, madrigaux, épitaphes, chansons, énigmes, épitres, sonnets, élégies, Furetière a subi toutes les épreuves, et il a honnêtement réussi dans divers exercices. »

On sait par ses vers qu’il avait été amoureux d’une femme qui avait épousé quelqu’un d’autre :

« Si vous m’aimez encor ce m’est assez de gloire,

« De pouvoir quelquefois vivre en votre mémoire :

« Si dans quelque moment de votre heureux loisir

« Vous prononcez mon nom en jetant un soupir ;

« Et je suis heureux, si dans votre retraite

« Quelque reste d’amour me plaint et me regrette. »

Ses poésies ont eu un certain succès puisqu’elles ont fait l’objet de quatre éditions, mais elles ont été ensuite bien oubliées. On peut trouver une édition de ces Poésies diverses du Sieur Furetière imprimées en 1659 (disponible sur Gallica BnF).

Il a ensuite publié « La Nouvelle allégorique » (disponible sur Gallica BnF),

Furetière décrit dans cet ouvrage une amusante bataille de rhétorique autour de la «Forteresse Académie»: « La Sérenissime Princesse R H E T O RIQ V E regnoit pacifiquemnt depuis plusieurs siecles ,& son gouvernement étoit sï doux qu’on luy obeissoit sans contrainte… »

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Académie « Conseil Souverain de la Sérénissime Princesse Rhétorique » (extrait de la Nouvelle Allégorique par Antoine Furetière (document Gallica BnF).

Un poème satirique : «Le Voyage de Mercure »

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(disponible sur Gallica BnF) .

Antoine Furetière a également publié un recueil de « Fables morales » (disponible sur Gallica BnF) dans lequel, précise Francis Wey, il se livre à un éloge de Jean de La Fontaine : « Certes, il n’y a personne qui ait fait, aux Fables des anciens, tant d’honneur que monsieur de La Fontaine, par la nouvelle et excellente traduction qu’il en a faite : dont le style naïf et marotique est tout à fait inimitable, et joute de grandes beautés aux originaux. La France lui doit encore cette obligation, d’avoir non-seulement choisi les meilleures fables d’OEsope et de Phèdre, mais encore d’avoir recueilli celles qui étaient éparses.» (Les épisodes ultérieurs de la vie de Furetière et notamment sa querelle avec l’Académie à la suite de son projet de dictionnaire feront qu’il finira par se fâcher avec Jean de La Fontaine).

Dans ses fables Furetière prend notamment la défense des pauvres infortunés contre les riches et les puissants :

Les Mouches et le Cheval. 

Cent mouches s’étoient attachées 

Sur un bidet infortuné, 

Qui maigre, sec et décharné 

N’avait point de côtes cachées. 

Il s’en plaignait fort dolemment, 

Et leur disoit : — Mesdemoiselles, 

Pourquoi m’ètes-vous si cruelles, 

De me sucer incessamment? 

Loin de vivre aux dépens d’une méchante rosse, 

Vous auriez mieux dîné si vous aviez mordu 

Ces chevaux potelés qui parent un carrosse, 

Et qui souvent meurent de gras-fondu. 

— Ah! répond une fine mouche, 

Ces harnois de toutes façons, 

Ces grands crins, ces caparaçons, 

Ne permettent pas qu’on les touche. 

Pour vivre donc en sûreté,

Il faut, lorsque la faim nous presse, 

Nous ruer sur la pauvreté, 

Et lui sucer le peu qu’elle a de graisse. 

Ainsi par les sergens est le peuple mangé, 

Tandis qu’en sa maison ils trouvent de quoi prendre: 

Mais le riche en est déchargé 

Parce qu’il sait bien s’en défendre. »

Il a enfin publié en 1666 un « Roman bourgeois » (disponible sur Gallica BnF) dont Francis Wey écrit :

« Pour résumer, le Roman bourgeois n’est, à proprement parler, ni une histoire suivie, ni un récit d’étranges aventures, ni la peinture d’une passion. […] Mais ce livre est un fort curieux monument des usages, des coutumes, des habitudes, du langage et du genre de vie des bourgeois de Paris au milieu du XVIIe siècle. Pour l’écrivain, pour l’auteur comique et le philologue, c’est un document des plus rares et des plus complets. »

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En 1662 Antoine Furetière est élu à l’Académie Française et il se passionne pour le travail de lexicographe à un tel point qu’il décide de publier son propre dictionnaire. Il publie en 1684 un premier fragment du dictionnaire qui allait causer le début d’un long conflit (porté devant les tribunaux) entre l’Académie Française et lui. Le titre de ce dictionnaire est à lui seul le programme d’un formidable labeur à venir :

« ESSAIS D’UN DICTIONNAIRE UNIVERSEL, CONTENANT GÉNÉRALEMENT TOUS LES MOTS FRANÇOIS, TANT VIEUX QUE MODERNES, et les termes de toutes les sciences et des arts, SÇAVOIR :

« La philosophie, logique et physique;

» La médecine ou anatomie, pathologie, thérapeutique, chirurgie,
» pharmacopée, chimie, botanique, ou l’histoire naturelle des plan-
» tes, et celle des animaux, minéraux, métaux et pierreries, et les
» noms des drogues artificielles;

» La jurisprudence civile et canonique, féodale et municipale, et
» surtout celle des ordonnances;

» Les mathématiques, la géométrie, l’arithmétique et l’algèbre;

» La trigonométrie, géodésie, ou l’arpentage, et les sections coniques;

» L’astronomie, l’astrologie, la gnomonique, la géographie;

» La musique, tant en théorie qu’en pratique, les instruments à vent et à cordes;

» L’optique, catoptrique, dioptrique et perspective ;
» L’architecture civile et militaire, la pyrotechnie, tactique et statique ;

» Les arts, la rhétorique, la poésie, la grammaire, la peinture, la sculpture, etc.

» La marine, le manège, l’art de faire des armes, le blason, la vénerie, fauconnerie, pesche, l’agriculture ou maison rustique, et la plupart des arts méchaniques ;

» Plusieurs termes de relations d’Orient :et d’Occident, la qualité
» des poids, mesures et monnoyes;

» Les étimologies des mots, l’invention des choses, et l’origine de
» plusieurs proverbes, et leurs relations avec ceux des autres langues;

» Et enfin, les noms des auteurs qui ont traité des matières qui re-
» gardent les mots, expliqués avec quelques histoires, curiosités naturelles, et sentences morales qui seront rapportées pour donner des
» exemples de phrases et de constructions.

» Le tout extrait des plus excellents auteurs anciens et modernes.

» RECUEILLI ET COMPILÉ

» Par Messire ANTOINE FURETIÈRE, abbé de Chalivoy, de l’Académie françoise. »

L’Académie Française mise en face de ce projet décide (par la voix de ses treize plus virulents défenseurs) d’interdire à Furetière de publier son dictionnaire en prétextant que cette compagnie était la seule à avoir le privilège de publier un tel dictionnaire.

« A quoi l’abbé [Furetière] répond qu’il lui a été impossible de faire prévaloir ses doctrines, et d’amener ses confrères à adopter le plan conçu par lui. Ces messieurs, restreignant la liste des mots aux termes usités dans les poemes, les tragédies et la haute éloquence, avaient systématiquement écarté les mots trop vieux et les mots trop jeunes, les termes relatifs aux arts, aux sciences, aux divers métiers ; en outre, ils n’admettaient ni citations d’auteurs, ni étymologies. Vainement, avait-il essayé de glisser quelques mots essentiels ou de présenter certaines acceptions peu connues des vocables admis : sa voix avait été couverte par de bruyantes imprécations, il avait eu une foule de querelles et avait été accablé d’injures pour les moindres corrections proposées. » (Francis Wey).

La confection de ce dictionnaire dut occasionner à Antoine Furetière un travail considérable et inlassable. Un signe qui ne trompe pas invite à le penser. À l’occasion de la définition du mot «Monstrueux» il évoque précisément ce travail de fabrication d’un dictionnaire:

«MONSTRUEUX, se dit figurément en Morale. C’est un travail monstrueux de vouloir entreprendre d’achever un Dictionnaire. Cet homme a une vivacité d’esprit, une memoire monstrueuse, prodigieuse.»

La tentative d’Antoine Furetière eut toutefois un certain succès car elle avait permis de passer outre à la lenteur que l’Académie mettait à constituer son dictionnaire. Antoine Furetière en agissant ainsi répondait aux critiques que les contemporains adressaient au dictionnaire de l’Académie à l’instar de Gilles Ménage qui écrivait :

« Or, nos chers maîtres du langage,

» Vous savez qu’on ne fixe point 

» Les langues en un même point 

……………………………………….

» Nous joignons à cette raison

» Que toujours vostre critique 

» Décriant quelque mot antique 

» Et des meilleurs et des plus beaux, 

» Sans qu’elle en fasse de nouveaux, 

» On seroit, ô malheur insigne! 

» Réduit à se parler par signes »

Antoine Furetière raconte qu’ « après avoir, pendant trois vacations, fait la définition du mot oreille, on en employa deux autres à la corriger, et l’on trouva à la fin que l’oreille est l’organe de l’ouïe. Cette définition coûte deux cents francs au roi. Richelet et Monet l’avaient fournie à meilleur marché dans les mêmes termes. Quelque temps auparavant, on avait discuté cinq semaines pour savoir si la lettre A était une voyelle ou un substantif; si bien que l’une des lumières de l’Académie, Patru, scandalisé d’une telle perte de temps, s’absenta dès lors des séances. »

Face aux lentes délibérations de l’Académie Française, Furetière s’est donc efforcé de faire sentir cette vérité, qu’un seul homme érudit est plus apte à faire un dictionnaire qu’une compagnie se rangeant à l’avis d’une majorité de gens dénués d’érudition » (Francis Wey).

Le 22 Janvier 1685, les treize académiciens les plus hostiles à Antoine Furetière prononcèrent son exclusion de l’académie. À la suite de cette exclusion, les esprits se divisèrent en satires virulentes, et nombreux furent les partisans de Furetière. En témoigne par exemple cette satire s’adressant à Racine :

« L’Académie ayant frustré Ménage
» De l’espoir d’ètre de son corps
» Parce que son savoir lui donnait de l’ombrage,
» A fait ensuite ses efforts
» Pour en chasser l’auteur d’un beau Dictionnaire :
» Racine, prenez garde à vous !
» Vous haranguez si bien, au jugement de tous,
» Qu’on ne vous y verra plus guère…
»

Antoine Furetière se défendit par la diffusion de trois « factum » d’une argumentation virulente et féroce contre l’académie. Il alla sans doute trop loin dans son attaque et commis une faute. On les trouve édité en deux tomes dans les collections Gallica BnF)

Antoine Furetière Factum Tome I (document Gallica BnF)

Antoine Furetière Factum Tome 2 (document Gallica BnF) 

« Cette faute emporta sa peine : bien que l’abbé eût raison, bien qu’on l’eût calomnié, Louis XIV, doué d’un excellent esprit, le laissa mourir (1688) sans lui rendre justice, car Furetière avait amené les choses à un tel point, qu’il avait placé ce prince dans le dilemme fâcheux de sacrifier complètement, ou l’Académie dont il était le protecteur, ou Furetière. Le roi se contenta de ne point permettre que le banni fut remplacé de son vivant; mais il ne condescendit point, en rendant à Furetière son privilège, à autoriser de son nom les diatribes de cet écrivain. C’est ainsi qu’il fut puni à son tour. » (Francis Wey).

La postérité donna toutefois raison à Antoine Furetière et son Dictionnaire fut un succès de librairie lors de son édition de 1690.

Antoine Furetière Dictionnaire Universel  (édition 1690)Tome 1 (document Gallica BnF) 

Antoine Furetière Dictionnaire Universel (édition 1690) Tome 2 (document Gallica BnF) 

 

Antoine Furetière eut également un autre succès posthume important avec un ouvrage publié anonymement mais qu’on lui attribue généralement. Il s’agit des «Essais de lettres familières sur toutes sortes de sujets, avec un discours sur l’art épistolaire et quelques remarques nouvelles sur la langue françoise, oeuvre posthume de Monsieur l’abé***, de l’Académie françoise» (disponible sur Gallica BnF).

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Document Gallica BnF

Cet article a été rédigé en grande partie grâce à l’article de Francis Wey, Antoine Furetière, sa vie, ses œuvres, ses démêlés avec l’Académie Française in « Revue contemporaine » de Juin 1852 (disponible sur Gallica BnF).

Liens à consulter pour en savoir plus:

Notice sur Antoine Furetière sur Data.BnF.fr (cliquez ici)

Vous trouverez sur le site internet de la Bibliothèque Nationale de France (BnF) une bibliographie très complète consacrée à Antoine Furetière (cliquez ici).

Notice présentant Antoine Furetière sur le site de l’Académie Française (cliquez ici).

Site internet « Furetière.eu » consacré entièrement au Dictionnaire Universel de Furetière (édition de 1690), très pratique pour son moteur de recherche (cliquez ici).

Développement consacrés à Furetière dans  Histoire de la littérature française illustrée. Tome 1 / publiée sous la direction de MM. Joseph Bédier,… et Paul Hazard, (document Gallica BnF cliquez ici).

Si vous avez pris plaisir à la lecture de ces lignes, peut-être serez-vous également intéressés par mes livres (cliquez ici) ou par les ateliers d’écriture que j’anime (cliquez là).

2 Octobre 1619 Naissance de Tallemant-des-Réaux

 

Illustration; © Sylvain Sauvage (1924) extraite  de »Les Belles Dames de Paris »

Gédéon Tallemant des Réaux (1619-1692) est un nom que l’on voit souvent apparaître lorsqu’on s’intéresse au XVIIe siècle. Il devient familier sans que l’on ne sache exactement expliquer pourquoi, ni qui se cache derrière ce nom vaguement évocateur d’une certaine atmosphère, d’un milieu, d’un climat… Évocateur de quoi au juste ? Nous allons tenter d’évoquer cette question en vagabondant dans les riches et passionnantes collections numériques de Gallica BnF mais aussi dans celles de Numelyo, de la Bibliothèque Municipale de Lyon…

Ainsi, par exemple, on constate que le nom de Tallemant des Réaux  et sa prose, sont abondamment cités dans presque toutes les notes en bas de pages des œuvres complètes de Vincent Voiture (1597-1648)… Notamment dans cette belle édition publiée en 1853, en deux volumes chez Charpentier Libraire Éditeur

Tome 1 des Oeuvres de Vincent Voiture, disponible ici chez Gallica BnF

Tome 2 des Oeuvres de Vincent Voiture disponible ici chez Gallica BnF 

Pourquoi cette présence de Gédéon Tallemant des Réaux sous les œuvres de Vincent Voiture ? Serait-ce parce-qu’il aurait écrit un livre consacré à ce singulier personnage ? Non. À sa mort (le 10 novembre 1692) Gédéon n’était l’auteur d’aucun livre publié…

Il est né le 2 Octobre 1619 à La Rochelle.

Hôtel de Ville de La Rochelle (1606) par Rochebrune (document Gallica BnF)

En ce mois d’Octobre 2019 nous fêtons donc son quatre-centième anniversaire, une occasion rêvée pour évoquer sa vie et son œuvre. Car même s’il n’avait rien publié de son vivant, ses contemporains le connaissaient et appréciaient ses poésies pour la plupart aujourd’hui perdues. Certaines ont toutefois survécues (par exemple « Le Lys » dans le recueil « La Guirlande de Julie » disponible sur Gallica BnF ici).

Gédéon Tallemant des Réaux n’avait jamais eu besoin de travailler pour gagner sa vie. Né dans un milieu privilégié, Gédéon est le fils d’un banquier protestant de la Rochelle: Pierre Tallemant. Celui-ci s’était installé à Paris en 1634, dans un Hôtel particulier de la rue des Petits Champs, avec toute sa famille. Gédéon eut donc une jeunesse dorée de fils de bonne famille, ambitieux et artiste.. Avant même d’être officiellement anobli, il avait adjoint à son patronyme le nom de Des Réaux (qui était celui d’une terre située en Bourbonnais, non loin de Montluçon), une propriété que Gédéon a vendu en 1653 après avoir acheté un Château près de Chinon auquel il avait donné le nom de Château des Réaux..

Sa famille avait fait fortune dans la banque et le commerce mais Gédéon Tallemant Des Réaux se passionnait d’abord pour la littérature. Il se plongeait avec plaisir dans la lecture des romans à la mode : L’Amadis des Gaules, L’Astrée

À l’âge de dix-huit ans, on offre la possibilité à ce grand lecteur de s’évader de ses livres pour faire du tourisme en compagnie d’un de ses cousins et de l’abbé de Retz. Ils visitent Avignon, Aix en Provence, Marseille, Florence, Venise, puis Rome. C’est à Rome qu’il fit connaissance de Vincent Voiture qui allait devenir l’un de ses meilleurs amis… Tallemant des Réaux aurait sans doute aimé écrire un commentaire, un ouvrage à son sujet. Il n’a pas été jusqu’au bout de son envie. Certes il écrivait… Son travail n’a cependant pas été inutile puisque des commentaires signés par Gédéon Tallemant des Réaux enrichissent désormais les éditions des oeuvres de son ami Vincent Voiture…

Après son voyage en Italie, Gédéon Tallemant des Réaux fait des études de droit, puis en janvier 1646, il épouse sa cousine Elisabeth de Rambouillet (qui était alors âgée de treize ans)… Grâce à ce mariage Gédéon acquiert une fortune qui lui permettra de ne plus jamais avoir à travailler pour vivre.

Ce mariage l’introduit également dans le cercle du Salon de l’Hôtel de Rambouillet, il y rencontrera de nombreuses personnalités qui comptent à l’époque intellectuels, écrivains, philosophes… Il y croise notamment Malherbe, Rotrou, Corneille, Conrart… et à nouveau Vincent Voiture, et bien d’autres encore… Cette fréquentation de l’Hôtel de Rambouillet est également l’occasion pour Gédéon Tallemant des Réaux de prendre une foule de notes, dans ses carnets, sur les personnages qu’il rencontrait, sur les conversations auxquelles il a participé… Il a travaillé sur ce manuscrit jusqu’en 1659… Ses notes écrites ont ensuite dormi, ignorées, inconnues, dans diverses bibliothèques…

Retrouvé dans les années 1830, ce manuscrit fut publié en 1834 par quelques érudits: messieurs Monmerqué, de Châteaugiron et Taschereau, sous le titre « Historiettes pour servir à l’histoire du XVIIe siècle publiées sur le manuscrit inédit et autographe ».

Un article (paru le 18 décembre 1833, au sujet de cette édition), dans Le Figaro, nous renseigne sur la façon dont elle a été reçue. C’est d’abord le parfum de scandale de ces « indiscrétions » parfois irrévérencieuses sur les grands de ce monde qui a frappé les premiers lecteurs de ces écrits. « Ces révélations sont piquantes; les Historiettes de Tallemant des Réaux en fourmillent, et son livre n’est qu’un inépuisable recueil d’historiettes. Combien ce livre arrive à propos et de quels noms il se recommande près de cinq cents pages à lire au coin du feu, dans le fauteuil ou au lit. Deux siècles éparpillés comme les images d’un album images de reines et de leurs amours, de chevaliers et de leurs duels, de poètes et de leur misère et tout cela vivant, bien plus vivant que dans l’histoire avec ses réflexions et ses systèmes, plus vivant encore que dans les mémoires purement dits, ces confessions si égoïstes et si pleines de réticences. » intégralité de l’article disponible ici sur Gallica BnF).
Cent ans plus tard, le 22 Décembre 1933 dans L’Européen, Pierre Audiat reprend des termes voisins pour annoncer une nouvelle édition des Historiettes par les Editions Garnier (1933) : « Les anecdotes ont été cueillis sinon à la source, du moins aux alentours immédiats de cette source. Le père de Tallemant était un banquier, et un banquier puissant puisqu’en association avec le financier Rambouillet, il avait le bail des cinq grosses fermes. De plus, il gérait la fortune du Cardinal de Richelieu. Au 17e siècle, les banquiers ressemblaient davantage à des notaires qu’aux directeurs de banque contemporains; ils étaient les confidents, les familiers tout au moins, de leurs clients; c est ainsi que le jeune Tallemant a pu saisir à la volée bien des détails pittoresques qu’aucun historien n’aurait été capable d’attraper. Par sa famille, il pénétrait donc dans le milieu de la riche oourgeoisie parisienne dont quelques types ont été dessinés par lui d’une façon magistrale. Mais par ses goûts, il s’était orienté vers le bel esprit et les belles-lettres. […] Certes, il ne faut pas oublier que les Parisiens ont été de tout temps malicieux et même  — risquons cet anachronisme — « rosses » dans leurs conversations. Pour le plaisir de faire un bon mot, ou de se mettre en valeur, on égratignait le voisin, on colportait des on-dit amusants mais fâcheux sur son compte. Tallemant a tout recueilli et avec d’autant plus d’empressement que le trait était plus piquant. II est donc difficile et même impossible de mesurer la part exacte de réalité que contiennent les anecdotes qu’il se plaît à rassembler, tantôt beaucoup, tantôt un- peu, quelquefois pas du tout. Mais, grâce à lui, nous avons une image fidèle de « ce qui se disait à Paris », vers 1650, et vues sous cet. angle, les Historiettes de Tallemant des Réaux forment un document incomparable, et peut-être unique […] Il prétend s’amuser de tout, plutôt que s’en indigner. II ne manie point le fouet de la satire, comme on disait de son temps; à peine une badine si mince et si légère qu’elle caresse au lieu de cingler. » Et pour conclure son article Pierre Audiat s’amuse et cite le portrait que Tallemant des Réaux dresse de Jean de La Fontaine le célèbre auteur des fables :
«
Un garçon de belles-lettres et qui fait des vers, nommé La Fontaine, est encore un grand rêveur. Son père qui est maître des eaux et forets de Château-Thierry en Champagne, étant à Paris pour un procès, lui dit : « Tiens! Va faire telle chose, cela presse. » La Fontaine sort et n’est pas plus tôt hors du logis qu’il oublie ce que son père lui avait dit. Il rencontre de ses camarades qui lui ayant demandé s’il n’avait point d’affaires : « Non » leur dit-il. et il alla à la Comédie avec eux… » (article intégral à découvrir ici sur le site Gallica BnF)

Une trentaine d’années plus tard, Antoine Adam, en préfaçant, dans les années 1960, Les Historiettes publiées  dans la collection de La Pléiade (en une version comprenant de nombreux passages censurés dans les édition précédentes) corrige l’image de Gédéon Tallemant des Réaux. Il n’est pas l’écrivain à scandale qu’une certaine tradition a fait de lui. Il cherche d’abord à faire œuvre de moraliste utilement, en notant les « travers » des grands dont il parle : « …il veut être utile. Et ce mot suffit à le distinguer des chroniqueurs à scandale. Ce n’est jamais le pittoresque seul qui l’occupe, qu’il soit innocent ou grossier. Il cherche le trait qui révèle les secrets d’un personnage historique. S’il parle de la passion de Richelieu pour la reine Anne et de ses rencontres amoureuses avec Marion, ce n’est pas qu’il trouve drôle de voir un grand homme dans une position ridicule. C’est parce-que Richelieu n’était pas cette figure olympienne que les historiens voulaient faire croire mais un être nerveux et passionné jusqu’au déséquilibre. » Tallemant des Réaux, a fait un véritable travail d’histoirien, en croisant plusieurs sources (orales, manuscrites et publiées, souvenirs et témoignages) explique Antoine Adam. Celui-ci invite à lire « les Historiettes sous un jour nouveau. Renonçons décidément à la vieille image que nous en avons eu jusqu’ici. Ne disons plus que Tallemant les a écrites en recueillant les propos de quelques personnages plus ou moins bien renseignés. La vérité, c’est qu’il a conçu son entreprise en véritable historien, et qu’il a réuni, à la fois, les témoignages verbaux, les textes imprimés et les mémoires manuscrits, sans négliger aucun des moyens d’informations dont il pouvait disposer. »

On peut parcourir les « Historiettes » en suivant plusieurs fils de lecture. La galerie de personnages présentés est riche, foisonnante. L’abondance des événements relatés l’est aussi. La chronologie s’étend du règne de Henri IV (qui s’est terminé neuf ans avant la naissance de Gédéon Tallemant-des-Réaux) jusqu’aux débuts du règne de Louis XIV. Le regard de Gédéon Tallemant-des-Réaux est singulier, libre, incisif, indiscret parfois, irrespectueux par moments. Mais ce qui est précieux dans ces écrits c’est l’impression qu’ils donnent d’être presque des témoignage oraux sur la société aristocratique de cette époque. Une société où règne un état d’esprit de liberté de ton, d’intérêt pour la littérature et la poésie, les relations de séduction où se mêlent urbanité et trivialité. La société qui est peinte est celle d’un milieu privilégié de parisiens, intellectuels, aristocrates, hauts-fonctionnaires, souverains mêmes.


On peut y suivre l’existence de femmes aux charmes troublants, de la Reine Margot à Marion de Lorme en passant par Marie de Médicis et Anne d’Autriche

On peut aussi y découvrir dans les méandres de l’histoire politiques des personnages obscurs et oubliés. En traversant ces textes animés comme une conversation de salon, on les voit vivre, séduire, pleurer ou rire, se battre, danser, dormir, manger, gagner ou perdre…

Tallemant des Réaux consacre plusieurs pages au Maréchal Louis de Marillac dont la fin fut tragique à la suite de la « journée des dupes » (11 novembre 1630). Il en parle en évoquant le Cardinal Richelieu et il lui consacre (sous le titre « Le Maréchal Marillac« ) une de ses Historiettes (cliquez ici) . Le procès intenté au Maréchal Louis de Marillac fait l’objet de développements remplis de suspense et de rebondissements. Avec le talent d’un Alexandre Dumas il n’est pas douteux que l’on pourrait tirer de cette affaire un épisode supplémentaire des aventures de d’Artagnan, Athos, Porthos et Aramis… Il est à noter que l’on trouve dans Tallemant des Réaux quelques notations qui ont contribué à faire naître les trois mousquetaires (par exemple dans cette anecdote. Le roi avait écrit une musique et voulait que le poète Boisrobert écrive des paroles sur cet air… À la lecture d’une première rédaction des paroles, Louis XIII était insatisfait car le poète avait mis le mot « désir ». Le roi n’en voulait pas. Boisrobert consulte alors Richelieu. Ce denier lui réplique: «O! devinez ce qu’il faut faire: ayons la liste des mousquetaires.» Il y avait des noms béarnais du pays de Tréville qui estoient des noms à tuer les chiens; Boisrobert en fit une chansons; Le Roy la trouva admirable…»).

À défaut d’écrire un roman de cape et d’épée, rempli de « noms à tuer les chiens », essayons d’exposer, en la simplifiant, cette affaire du Maréchal Louis de Marillac … Tallemant des Réaux nous y fait découvrir (par une brève allusion) l’ascension sociale d’un magistrat de province (un homme de l’ombre énigmatique sur lequel je me permets dans cet article de braquer les projecteurs). En 1630, Louis XIII (fils d’Henri IV et Marie de Médicis) est âgé d’une trentaine d’années. Il est marié à Anne d’Autriche, fille du Roi d’Espagne, depuis une quinzaine d’années. Richelieu est alors le personnage le plus influent du royaume depuis 1624 et dans les faits c’est lui qui gouverne la France et qui mène sa diplomatie. Mais sa politique ne plaisait pas à tout le monde. À la suite des guerres d’Italie, (pendant lesquelles le Maréchal Marillac s’était distingué par une singulière vaillance), la diplomatie du Cardinal de Richelieu aboutit à un rapprochement avec les princes protestants d’Allemagne et par le risque d’une guerre contre l’Espagne (patrie de la reine d’Autriche). Marie de Médicis et Anne d’Autriche essaient alors de manigancer des intrigues parmi les grands du royaume pour faire tomber le Cardinal Richelieu (avec l’aide de Mazarin, du Chancelier Marillac et de son frère le vaillant Mareschal Louis de Marillac). Tout le monde s’imagine que le Roi Louis XIII va céder aux pressions des deux reines et renvoyer le Cardinal.

La disgrâce du Cardinal Richelieu semble certaine. Mais le 11 Novembre 1630, coup de théâtre, à la suite d’une habile négociation menée par le Marquis de Rambouillet, Louis XIII change d’avis, confirme le pouvoir du Cardinal Richelieu et lui renouvelle toute sa confiance. L’Histoire a retenu cette journée comme étant la « journée des dupes ». Le Chancelier Marillac et son frère sont arrêtés. On intente un « procès pour l’exemple » contre le Mareschal Marillac emprisonné d’abord à Verdun, puis (nous précise Tallemant des Réaux) à Rueil « dans la maison même du Cardinal ». On réunit de manière expéditive plusieurs Conseillers de Parlement (magistrats de l’époque) pour condamner ce brillant militaire, soutien de Marie de Médicis. Cela n’allait pas être facile car le Maréchal de Marillac savait manier ses pions pour se rendre indispensable. Il s’était marié avec une Médicis cousine de Marie de Médicis. Il avait en outre le soutien d’Anne d’Autriche. C’était un homme redoutable qui avait tout d’un héros de roman « Il était grand, bien fait, robuste et adroit à toutes sortes d’exercices. » Il avait une réputation d’être invincible […] On disoit qu’à Rouen, ayant pris querelle à la paume [au jeu de paume], avec un nommé Caboche, et ayant été séparés, il le rencontra après, et le tua avant que l’autre ait pu mettre l’épée à la main. » Le Cardinal de Richelieu le redoutait et l’appelait « Marillac l’épée ».

C’est alors qu’intervient notre magistrat de province et habile juriste qui allait faire basculer toute l’affaire…

Le conseiller Antoine Bretagne du Parlement de Dijon (c’est de lui dont il s’agit) avait été chargé de mener l’instruction contre Marillac et il allait parvenir à ses fins après moult péripéties d’un procès hautement politique. Ce conseiller du Parlement de Dijon était un juge redoutable. Les charges que l’on était parvenu à réunir contre Marillac ne méritaient sans doute pas plus qu’une peine de prison. On parvint néanmoins à le condamner à mort explique Tallemant-des-Réaux « sur des ordres de tirer tant et tant de certains villages du Verdunois pour les exempter de gens de guerre, et l’on disoit qu’il avoit employé cet argent à bastir la citadelle de Verdun ». Autrement dit on accusait le Maréchal Louis de Marillac de s’être enrichi sur le dos des villageois des environs de Verdun pour construire une citadelle (un ouvrage de commandement militaire qui n’était pourtant pas un bien somptuaire érigé à son seul profit, on est loin des « villas avec piscine » des « huiles corrompues » d’aujourd’hui). Le 10 Mai 1632 en montant sur l’échafaud, le Maréchal de Marillac ne parvenait pas à comprendre ce qui lui arrivait : « C’est une chose étrange qu’on m’ait poursuivi comme on l’a fait. Il ne s’agit dans mon procès que de foin, de paille, de bois, de pierre et de chaux. » Le Cardinal Richelieu de son côté félicitait les juges qui étaient parvenu à mener une procédure aussi répressive : «Messieurs, il faut avouer que Dieu donne des connaissances aux juges qu’il ne donne pas aux autres hommes ; je ne croyais pas qu’il méritât le mort. » Antoine Bretagne auteur de ce succès
juridico-politique se voyait quant à lui récompensé par Louis XIII qui le nomma Premier Président du Parlement de Metz, nouvellement créé en janvier 1633.

Ce fut le début d’une belle ascension sociale pour cette famille de magistrats (c’est Le Dictionnaire des familles françaises anciennes ou notables à la fin du XIXe siècle. qui nous l’apprend). Antoine Bretagne devint en 1637 Premier Président du Parlement de Dijon et Baron de Loisy, tandis que son fils Claude lui succédait comme Premier Président du Parlement de Metz…

Le sévère Premier Président du Parlement de Dijon allait-il poursuivre son ascension vers des fonctions plus brillantes encore ? Par exemple irait-il siéger au prestigieux Parlement de Paris ? Parviendrait-il à accéder au prestigieux Salon de Rambouillet ? Allait-il accéder aux plus prestigieuses charges de la Chancellerie ? Aurait-il l’occasion de fréquenter Vincent Voiture, Gilles Ménage, Racan ou d’autres beaux esprits parisiens? Aurait-il l’audace de soutenir de son bras la pétillante Mademoiselle Des Jardins pour se voir offrir de la part de cette jeune poétesse un madrigal tourné avec grâce et esprit?

"Quoy! Tircis, bien loin de m'abattre
Vous m'empêchez de succomber! 
Quoy! Vous me relevez lorsque je veux tomber, 
Et vous restez des bras pour vous combattre!
Après cette belle action, 
On verra votre nom au Temple de la Mémoire
Et l'on vous nommera le héros de ma gloire, 
Mais aussy le bourreau de vostre passion."

Non. Le destin du Premier Président Antoine Bretagne Baron de Loisy fut brutalement interrompu en 1638 : « On le trouva bruslé ; car un jour estant demeuré seul, il estoit tombé dans le feu, et comme il estoit foible, il ne s’en put tirer » explique Tallemant des Réaux. Hasard ou vengeance Florentine ? L’histoire ne le dit pas, mais le romancier, s’il est lecteur des Trois Mousquetaires, peut tout imaginer…

Les Historiettes on le voit à l’évocation de l’épisode que nous venons d’évoquer, sont une mine inépuisable d’inspiration romanesque et de feuilletons infinis à imaginer encore et encore pour les faire rebondir à nouveau sur de nouveaux rythmes… Gédéon Tallemant des Réaux consacre de nombreuses lignes à son ami Vincent Voiture que nous avons déjà évoqué et qui était un des piliers du salon de Rambouillet et un homme d’esprit. Les Historiettes fourmillent d’anecdotes à ce sujet. Citons-en deux: « Monsieur de Blairancourt disoit à Madame de Rambouillet que voyant qu’on ne parloit que de ce livre [de Vincent Voiture] qu’il l’avoit lu et trouvoit que Voiture avoit de l’esprit. « Mais Monsieur, » lui respondit Madame de Rambouillet, « pensiez-vous que c’étoit pour sa noblesse ou pour sa belle taille qu’on le recevoit partout comme avez veu? » Ce dialogue traduit admirablement cet « esprit de finesse » qui régnait alors dans les conversations…

On trouve aussi dans ces « Historiettes » quelques remarques propres à alimenter l’esprit sur l’activité du poète. Ces réflexions sur l’écriture et le style apparaissent à plusieurs reprises à propos de nombreux portraits (ceux de ,Gilles Ménage ou l’évocation d’un poète oublié Neuf-Germain). On en trouve évidemment dans le portrait vivant qu’il dresse de l’aristocrate et poète François de Malherbe…

Lorsqu’il évoque Malherbe, Tallemant des Réaux évoque bien sûr sa personne : « Il estoit grand et bien fait, et d’une constitution si excellente qu’on a dit de lui, aussi bien que d’Alexandre, que ses sueurs avoient une odeur agréable. Sa conversation étoit brusque, il parloit peu mais il ne disoit mot qui ne portast. Quelquefois mesme, il étoit rustre, incivil… »

Mais dans l’historiette qu’il lui consacre il est abondamment question d’écriture, de style, de critique littéraire, de goût, d’esthétique, de manies verbales aussi. Malherbe n’était pas quelqu’un de commode. Certains dialogues ne manquent pas de vivacité et de mordant. Par exemple cet échange avec Vaucquelin Des Yvetaux. Celui-ci était originaire de Caen comme Malherbe et il avait été engagé comme précepteur du Prince de Vendôme. Leur différend portait sur la présence de sonorités plus ou moins gênantes et laides (ou belles et amusantes à chacun d’en juger).

« Des Yvetaux lui disoit que c’estoit une chose désagrable à l’oreille que ces trois syllabes :malapla toutes de suite dans un vers :

« Enfin cette beauté m’a la place rendüe »

« Et vous, lui respondit-t-il, vous avez bien mis : parablalafla

  • Moi ? Reprit des Yveteaux, vous ne sçauriez me le montrer
  • N’avez-vous pas mis, répliqua Malherbe

« Comparable à la flammme » ?

Tallemant des Réaux rapporte par ailleurs plusieurs remarques assez catégoriques de Malherbe sur l’art de composer les sonnets : « Les italiens ne lui revenoient point ; il disoit que les sonnets de Pétrarque estoit à la grecque, aussi bien que les épigrammes de Madame de Gournay. »

Ou encore:

« Il s’opiniastra fort longtemps à faire des sonnets irréguliers. Colomby n’en voulut jamais faire, et ne les pouvoit approuver. Racan en fit un ou deux mais il s’en ennuya bientost ; et comme il disoit à Malherbe que ce n’estoit pas un sonnet si n’observoit pas les règles du Sonnet : « Eh bien, » lui dit Malherbe, « si ce n’est pas un sonnet, c’est une sonnette. »

Bibliographie

Éditions des Historiettes disponibles chez Gallica BnF.

On y trouve la précieuse édition de 1834 (la première) des Historiettes : « Historiettes pour servir à l’histoire du XVIIe siècle » publiées sur le manuscrit inédit et autographe ; par messieurs Monmerqué, de Châteaugiron et Taschereau Editeur : Alphonse Levavasseur Libraire, 1834.

Tome 1 (cliquez ici pour le lire sur Gallica BnF)

Tome 2 (cliquez ici pour le lire sur Gallica BnF)

Tome 3 (cliquez ici pour le lire sur Gallica BnF)

Tome 4 (cliquez ici pour le lire sur Gallica BnF)

Tome 5 (cliquez ici pour le lire sur Gallica BnF)

Tome 6 (cliquez ici pour le lire sur Gallica BnF)

On peut également lire en ligne les neuf volumes de l’édition des « Historiettes» publiées en 1850 chez J. Techener Libraire grâce aux collections numériques de la Bibliothèque Municipale de Lyon:

Tome 1 (Tallemant des Réaux, Historiettes, J. Techener, 1850 Libraire B.M.Lyon)

Tome 2 (Tallemant des Réaux, Historiettes, J. Techener, 1850 Libraire B.M.Lyon)

Tome 3 (Tallemant des Réaux, Historiettes, J. Techener, 1850 Libraire B.M.Lyon)

Tome 4 (Tallemant des Réaux, Historiettes, J. Techener, 1850 Libraire B.M.Lyon)

Tome 5 (Tallemant des Réaux, Historiettes, J. Techener, 1850 Libraire B.M.Lyon)

Tome 6 (Tallemant des Réaux, Historiettes, J. Techener, 1850 Libraire B.M.Lyon)

Tome 7 (Tallemant des Réaux, Historiettes, J. Techener, 1850 Libraire B.M.Lyon)

Tome 8 (Tallemant des Réaux, Historiettes, J. Techener, 1850 Libraire B.M.Lyon)

Tome 9 (Tallemant des Réaux, Historiettes, J. Techener, 1850 Libraire B.M.Lyon)

Edition la plus complète pour le texte et l’appareil critique:

Tallemant des Réaux, Historiettes, Gallimard, La Pléiade, 1960, deux tomes, Préfacés et annotés par Antoine Adam. C’est cette édiont que j’ai le plus consulté pour rédiger cet article de blog (lien vers la notice du Catalogue général de la BnF)

Edition abrégée intéressante pour ses illustrations

Les Belles Dames de Paris, Historiettes de Tallemant des Réaux avec une préface de Gérard Bauer et des illustrations de Sylvain Sauvage, Editeur : « Le Livre » 1924 (notice sur le Catalogue général de le BnF). C’est de ce livre et à Sylvain Sauvage qu’est emprunté le portrait de Tallemant des Réaux illustrant cet article de blog).

Si vous êtes des lecteurs pressés vous trouverez aussi dans les collections Gallica BnF une version raccourcie des « Historiettes » sous le titre « Rois et grandes dames d’autrefois d’après Tallemant des Réaux, avec appendice et notes »par M. Meyrac Rédacteur en chef du Petit Ardennais, publié en 1911 chez Albin Michel. Cette édition a le mérite d’être illustrée par des gravures, j’en ai utilisé quelques-unes pour cet article (cliquez ici)

Notice biographique sur le site internet du Musée Protestant:

https://www.museeprotestant.org/notice/gedeon-tallemant-des-reaux-1619-1692/

Bibliographie sur Tallemant des Réaux établie par la BnF (Bibliothèque Nationale de France) cliquez ici.

Pour une approche universitaire des Historiettes

Karine Abiven, L’anecdote ou la fabrique du petit fait vrai. De Tallemant des Réaux à Voltaire (1650-1750) Paris, Classiques Garnier, série « Lire le XVIIe siècle », 2015 (483 pages). Présentation sur « Open édition ».

Marie-Thérèse Ballin, Les Historiettes de Tallemant des Réaux. Manuscrit privé ou écrit clandestin, in Revue d’histoire littéraire de la France (2013) disponible sur cairn info (cliquez ici)

Marie-Thérèse Ballin, Hybridité génériques et discursives dans les historiettes de Tallemant des Réaux, thèse de doctorat de l’Université de Toronto (disponible en ligne cliquez ici)

Lilia Coste, « Entre l’ana et l’anecdote : note sur les historiettes bigarrées de Tallemant des Réaux », Écrire l’histoire [En ligne], 17 | 2017, mis en ligne le 28 septembre 2020, consulté le 28 septembre 2019. Lilia Coste est doctorante en Langue, littérature et image au sein du CERILAC de l’université Paris-Diderot. Sa thèse a pour objet « L’écriture au féminin dans les Historiettes de Tallemant des Réaux : entre Histoire et Fiction », (cliquez ici)

Biographie de Tallemant des Réaux en deux volumes par Emile Magne (1877-1953):

Emile Magne, Bourgeois et financiers du XVIIe siècle. La joyeuse jeunesse de Tallemant des Réaux (1921)

Emile Magne La fin troublée de Tallemant des Réaux (1922)

André Billy, « L’oeuvre littéraire du 20 Septembre 1922, André Billy article consacré à la parution de ces deux livres qu’Emile Magne consacre à la biographie de Tallemant des Réaux (cliquez ici)

Vincenette Maigne, Le manuscrit 673 [Texte imprimé] / Tallemant Des Réaux ; édition critique par Vincenette Maigne, Klincksieck, 1994

Bernard Gineste, « Gédéon Tallemant des Réaux, La reine Marguerite (vers 1659) in Corpus Étampois (cliquez ici)

Vinaigrette, Gédéon Tallemant des Réaux, papa des Historiettes, dans son château Tourangeau (cliquez ici)

Le Château des Réaux en zone inondable in Val de Loire Patrimoine mondial (13 avril 2017 mis à jour 13 novembre 2018) cliquez ici.

Gédéon Tallemant des Réaux à Paris et Réaux in Terres d’écrivains, Annuaire des lieux littéraires (cliquez ici)

Davide Caviglioli,  in L’Obs sélectionnait Les Historiettes de Tallemant des Réaux parmi les dix chef-d’oeuvres en poches pour les vacances 9 août 2013 (cliquez ici).

Article du 8 mai 2017 signé JB sur le blog Club de lectures à propos des « Historiettes de Tallemant des Réaux chez Folio (cliquez ici)

Caroline Lewandowski, La poétique des historiettes de Tallemant des Réaux, thèse de doctorat en préparation en Lettres langues et linguistique à l’Université de Lyon depuis le 23 novembre 2000 (cliquez ici)

Page Wikipedia consacrée à Sylvain Sauvage (auteur du portrait de Tallemant des Réaux illustrant cet article) cliquez ici

Si cet article vous a plu, vous aurez peut-être envie de découvrir mes livres Sansonnets aux sirènes s’arriment (cliquez ici) ou Sansonnets un cygne à l’envers (cliquez ici) ou de participer aux ateliers d’écriture que j’anime (cliquez ici).