Louis de Lesclache (1620-1671)

Les véritables règles de l’ortografe francèze par Louis de Lesclache Document Gallica BnF

Cet article est né d’une exploration des riches et belles collections numériques de Gallica BnF (Bibliothèque Nationale de France) que je vous invite à consulter (infinis sont les domaines que l’on peut y parcourir).

Parmi les personnages dont on a récemment oublié de fêter le quadricentenaire en 2020, il y en a un que l’on ne saurait passer sous silence, tant il reste actuel par une innovation qu’il a échoué à mettre en place, mais qui semble sans cesse refleurir dans les orthographes approximatives sur les réseaux sociaux… Il s’agit de Louis de L’Esclache (1620-1671). Ce personnage est propre à décrisper tous les débats sur l’orthographe française, ce détonateur à passions dans les débats franco-français… De Louis de Lesclache on ne sait pas grand chose. Il fut un philosophe à la mode. Antoine Furetière et La Bruyère ont parlé de lui, Molière aussi. On a écrit que le personnage de Louis de Lesclache aurait servi à Molière pour son personnage du Maître de Philosophie dans « Le Bourgeois Gentilhomme». Son nom est cependant rarement cité dans l’enceinte de l’Université. Il y a quelques raisons à cela. Précédant de quatre-cents ans Mai 68, Louis de Lesclasche avait tenté une « démocratisation » ou une «simplification» de l’écriture et de la grammaire qui marqua la fin de sa carrière de philosophe à la mode. Les grammairiens et les professeurs de langue française n’aiment pas qu’on les bouscule. Et pourtant, ne peut-on pas apprendre beaucoup en autorisant les audacieux à bousculer nos habitudes ? En l’espèce on peut hasarder que le système de Louis de Lesclache, bien que généreux dans ses objectifs, manquait peut-être un peu cohérence… 

Louis de Lesclache fut en son temps un philosophe, un conférencier en vogue à Paris. La bonne société soucieuse de se munir d’un verni de culture générale courait à ses conférences (en français) sur Aristote. Il fut longtemps lu par les gens pressés pour s’instruire de sa philosophie simplifiée en tableaux.

Antoine Furetière évoque Louis de L’Esclache dans sa Nouvelle allégorique ou, histoire des derniers troubles arrivés au Royaume d’Eloquence.

La Reine Eloquence s’y souvient qu’elle a à sa cour un Officier nommé L’Esclache « qui étoit grand ami d’Aristote. » Dans une note en marge, Furetière précise que ce nommé L’Esclache « est un homme qui enseigne la philosophie en français et qui faisait des discours publics pour expliquer Aristote. » Cliquez ici

Il était suffisamment à la mode pour que La Bruyère évoque son nom dans « Les Caractères » à l’occasion du portrait de Narcisse, dans le Chapitre « De la ville » : «il est homme d’un bon commerce […] il tient le fauteuil quatre heures de suite chez Aricie, où il risque chaque soir cinq pistoles d’or. Il lit exactement la Gazette de Hollande, et le Mercure galant; il a lu Bergerac, Des Marest, Lesclache, les Historiettes de Barbin, et quelques recueils de poésies. Il se promène à la Plaine ou au Cours, et il est d’une ponctualité religieuse sur les visites. Il fera demain ce qu’il fait aujourd’hui et ce qu’il fit hier; et il meurt ainsi après avoir vécu. » (Les Caractères de La Bruyère disponible ici sur Gallica BnF).

En 1894, Ch. Urbain lui a consacré, un article assez fouillé dans la Revue d’Histoire littéraire de la France. On y a puisé pour alimenter la présente synthèse.

Louis de Lesclache s’est d’abord fait connaître du grand public par ses ouvrages de philosophie, teintés de féminisme. Le livre qui fit d’abord son succès s’intitule « Les Avantages que les femmes peuvent recevoir de la philosophie, et principalement de la morale . Ou L’abrégé de cette science . A Paris, chez l’autheur, proche le Pont-neuf, en la ruë neuve de Guenegaud. Et Laurent Rondet, ruë S. Jaques, à la longue Allée, vis-à-vis la ruë de la Parcheminerie. 1667. Avec privilege du roi. »

Disponible ici sur Gallica BnF (cliquez)

Dans cet ouvrage Lesclache « soutient que la philosophie (et par là, il entend la morale et la théologie naturelle) détournera les femmes des romans, de l’alchimie et de l’astrologie judiciaire, il blâme l’usage du doute méthodique dans l’enseignement et il s’élève contre les femmes qui cherchent à se faire valoir dans les conversations, qui critiquent leur prochain ou la religion, et qui «avec neuf ou dix passages de Charron ou de Montaigne prétendent renverser la théologie». (Ch. Urbain). Ce livre fait partie de ceux qui auraient influencé Molière dans la rédaction des Femmes Savantes. Gustave Reynier (dans son Étude et analyse des Femmes Savantes de Molière, Paris 1937) explique en ces termes l’ouvrage de Louis de Lesclache : « Ce qui fait l’intérêt de cet opuscule où il justifie l’oeuvre de toute sa vie, c’est qu’au lieu de s’adresser aux femmes, qu’il savait plus qu’à moitié convaincues, il s’est tourné vers les maris, dont il avait dû constater plus, d’une fois les résistances. Pour piquer la curiosité d’un époux qu’il est censé vouloir convertir, il lui raconte une petite histoire. Il s’agit d’un ménage assez désuni, dont le désaccord s’aggrave tous les jours. La dame est si curieuse de sciences qu’elle se laisse duper par les charlatans. Elle va dans des assemblées où l’on fait des expériences pour chercher du vide dans la nature ». Il lui arrive [comme Philaminte dans « Les Femmes Savantes de Molière] de passer « plus de la moitié de la nuit dans le grenier à regarder la lune avec de grandes lunettes » ; comme elle, elle s’imagine «que la lune est habitée». Elle va aussi chez des chimistes, «plus noirs que des démons», elle cherche avec eux la pierre philosophale et elle vend ses pierreries pour subvenir aux frais des opérations. Enfin elle prétend « faire profession de philosophie ». Philosophie et sciences plus ou moins mystérieuses, le mari condamne en bloc tout cela. La philosophie, dit-il, attache les femmes à des choses inutiles, elle les porte à faire des dépenses qui peuvent ruiner la maison, elle « les incite à contredire toutes choses », elle les rend vaniteuses, elle est « la source du mépris qu’elles font de leurs maris ». C’est cet époux ennemi de la science que Lesclache voudrait convertir: il lui démontre que la vraie philosophie n’a aucun rapport avec les simagrées des charlatans, que, si elle est bien enseignée, dégagée de toute obscurité, de tout problème téméraire, elle enseigne aux femmes la modération des désirs, la douceur, l’attachement aux plus humbles devoirs, la modestie, et non pas l’orgueil. Le malentendu est à la fin dissipé. Le bourgeois paraît convaincu : il enverra sa femme aux cours de Lesclache. »

Ch. Urbain nous apprend également que 

« Lesclache eut l’idée alors toute nouvelle d’ouvrir des cours publics où il enseignerait en langue vulgaire la philosophie aux femmes et aux gens du monde. […] il groupa autour de sa chaire un auditoire nombreux et élégant, dont la fidélité ne se démentit pas, quoique d’autres professeurs eussent essayé de lui faire concurrence »

Il paraît que des membres de la famille d’Ormesson fréquentaient ses cours :

« Le samedi, 21 novembre, dit Olivier d’Ormesson dans son Journal, à l’année 1643, je fus l’après-disnée rue Quinquempoix, chez M. Lesclache, qui faisait trois discours français à l’ouverture de ses cours de philosophie en français. Il y avait grand monde, des jésuites et des personnes d’esprit. Il parla de Dieu selon Aristote, et satisfit toute la compagnie.» 
Ses cours se déroulaient au « Palais précieux » et étaient annoncés en ces termes : 

«  Le mercredi, se fera leçon de la Philosophie par le sieur de l’Esclache qui traitera particulièrement de la morale, en termes fort à la mode, où les femmes aussi bien que les hommes auront grande satisfaction. Ce sera depuis deux heures jusqu’à quatre. » Les femmes savaient gré à Lesclache de leur rendre la philosophie intelligible et de l’avoir débarrassée du jargon de l’École. » (Ch. Urbain)

Un ami de Scarron, un certain Monsieur Rosteau (en 1661 ou 1662) raconte en ces termes les cours dispensés par Louis de Lesclache : « Si le nom de M. de L’Esclache s’étend jusqu’aux pays les plus éloignés, il est bien juste que ses ouvrages y passent. Il a été le premier qui a purgé la philosophie de ses termes barbares, et qui a civilisé cette science si nécessaire à la conduite de la vie des hommes qui veulent s’éloigner du commun. Il y a vingt-cinq ans et plus qu’il en fait une profession publique, mais bien éloignée de la manière ordinaire des écoles. Il l’a rendue si facile que les  dames et les jeunes enfants se sont trouvés capables de l’apprendre, tant il est clair et méthodique en ses discours. »

S’il en était resté à n’être qu’un conférencier mondain, Louis de Lesclache aurait sans doute laissé un souvenir comme un philosophe spécialiste d’Aristote au XVIIe siècle, jusqu’à ce que René Descartes détrône la vieille philosophie aristotélicienne (qu’on me pardonne ce raccourci rapide).

Mais ce qui valu à Louis de Lesclache l’oubli dans lequel il a sombré, est aussi ce qui chez lui m’amuse beaucoup. Il était un singulier soixante-huitard… En 1668, il a eu l’idée saugrenue de publier [sic] Les Véritables règles de l’ortografe francèze, ou l’Art d’aprandre an peu de tams à écrire côrectemant, Disponible ici sur Gallica BnF . Il s’agissait, à ses yeux, de démocratiser l’écriture (difficile à populariser cause des règles complexes de l’orthographe française)…

À l’époque où se créait l’académie française et une fixation d’une orthographe qui est encore en grande partie la nôtre cette audace lui fut funeste. Il dut quitter Paris pour s’installer dans sa ville natale de Lyon et y mourir oublié… Pour Ferdinand Brunot, le grammairien du début de XXe siècle (lui-même inspirateur d’une réforme de l’orthographe), les idées de Louis de Lesclache manquaient d’esprit de système. Brunot écrit à propos de notre homme : « Ce n’est pas un esprit absolu. Il est la fois logique et inconséquent, hardi et timide. Il serait curieux de savoir si L’Esclache fit des disciples parmi ses élèves. Mais ceux-là n’imprimaient pas… » Ferdinand Brunot dans son Histoire de la langue française, des origines à 1900 (tome IV, la langue classique (1660-1715) consacre tout de même deux pages à Louis de Lesclache. (cliquez ici).

Sa tentative d’instaurer de nouvelles règles orthographiques fit un bruit considérable et devint l’occasion d’un champ de bataille où s’opposaient partisan de l’ « étymologie » et partisan du « fonétisme ». L’abbé de Dangeau en fit partie de ses derniers et il était favorable à Louis de L’Esclache. Antoine Furetière avait quant à lui rejoint les partisans de l’ «étymologie». Dans son dictionnaire, il critique vivement les tentatives de réforme de l’orthographe dont Louis de L’Esclache était un des maillons. Dans l’article « orthographe » de son dictionnaire, voici ce qu’écrit Furetière : « Le premier qui a voulu changer l’orthographe fut Jacques Pelletier du Mans, qui soustint qu’il falloit escrire comme on parle, & aprés luy Louïs Maigret, Pierre la Ramée dit Ramus, Jean Anthoine de Baïf, & de nostre temps l’Esclache. Ces opinions ont esté traitées de ridicules. » 

Un certain Monsieur Mauconduit avait pris le temps de répondre en détail à la méthode de Louis de l’Esclache dans son « Traité de l’orthographe, dans lequel on établit par une méthode claire et facile, fondée sur l’usage et sur la raison, les règles certaines d’écrire correctement et où l’on examine par occasion les règles qu’a données M. de Lesclache… »

Disponible ici sur Gallica BnF 

À défaut d’avoir réussi à imposer sa réforme de l’orthographe, notre philosophe à la mode a donc peut-être invité les grammairiens de son temps à faire des efforts de clarté. 

En 1694, l’Académie Française Française, dans la préface de son dictionnaire, se prononça contre le «fonétisme» et pour l’étymologie, s’attachant à l’ancienne orthographe «receuë parmi tous les gens de lettres, parce qu’elle ayde à faire connoistre l’origine des mots». 

De Louis de Lesclache on ne connaît pas de portrait, aucun peintre, ni sculpteur ni graveur ne semble s’être intéressé à lui. Pour garder mémoire de sa figure, il nous reste des vers publiés par l‘abbé Bordelon dans Le Livre à la mode (Paris 1699): 

« Grand économe de la table 
Où l’esprit se nourrit et devient raisonnable, 
Aristote de Cour, esprit incomparable, 
La sagesse après toi n’ira jamais plus haut. 
Par toy le philosophe a l’esprit agréable 


Et tourné comme il faut. 
Il sait discourir juste et parler sans défaut, 
Et la Philosophie, hélas! si misérable, 
Morte sous la poussière et couverte de sable, 
Dont la barbare École injustement l’accable, 
Ravit par la méthode et revit plus aimablee. 
Mais lorsque l’on entend la divine Giraud, 
En elle plus qu’en tout, tu parais admirable, 
Et cette écolière adorable 
Te rend un maître heureux autant qu’inimitable. 

Vous, savants d’Universités, 
Gens d’appareil, Docteurs de Facultés

Grotesques débiteurs d’universalités, 
Dites, dites, pédants crottés. 
Si tous vos collèges ensemble, 
Fût-ce Harcourt, Navarre ou Beauvais, 
Ont fait ou feront jamais 
Un maître es arts qui lui ressemble 
»

Il reste une dernière énigme à résoudre concernant Louis de Lesclache, selon certains, il ne serait pas lui-même l’auteur de ses livres… Ce serait sa femme qui les aurait écrit. Cette thèse est notamment défendue dans l’Année des dames, ou Petite biographie des femmes célèbres pour tous les jours de l’année. Tome 2 / (1820) Par Mme Gabrielle de Paban. On y lit que « très versée dans la philosophie ; [Madame Lesclache] composa plusieurs livres de morale qu’elle publia, par modestie sous le nom de son mari. »

Il y aurait donc sans doute encore beaucoup de choses à dire au sujet de Louis de Lesclache. Derrière le soixante-huitard «fomenteur de troubles orthographiques», bien des sujets mériteraient encore d’être abordés. Gallica BnF donne matière à lire pour en apprendre plus sur Louis de Lesclache, sa pensée, son temps, ses idées…

Bibliographie 

Ouvrage de Louis de Lesclache

Tome 1 La philosophie divisée en cinq parties, par Louis de Lesclache. (1648)

Tome 2 La Seconde partie de La Philosophie ou Science générale , par Louis de Lesclache… (1650)

La Philosophie particulière, combattüe par celle de l’École . Où l’on examine les discours & les tables d’un philosophe de ce temps (1650)

Les Avantages que les femmes peuvent recevoir de la philosophie, et principalement de la morale . Ou L’abrégé de cette science . A Paris, chez l’autheur, proche le Pont-neuf, en la ruë neuve de Guenegaud. Et Laurent Rondet, ruë S. Jaques, à la longue Allée, vis-à-vis la ruë de la Parcheminerie. 1667. Avec privilege du roi. 

Les Véritables règles de l’ortografe francèze, ou l’Art d’aprandre an peu de tams à écrire côrectemant, par Louis de L’esclache, Date d’édition : 1668.

L’art de discourir des passions, des biens et de la charité, ou Une méthode courte et facile pour entendre les tables de la philosophie qui ont été faites . par Louis de Lesclache (1670) 

Abrégé de la philosophie en tables, suivie des tables de la science générale par Louis de Lesclache [sd]

À propos de Louis de Lesclache

Un article signé Ch. Urbain lui est consacré dans la Revue d’Histoire littéraire de la France (1894), on s’en est largement inspiré ici.

Petit de Julleville consacre quelques lignes à Lesclache dans son Histoire de la langue et de la littérature française des origines à 1900 

Ferdinand Brunot dans son Histoire de la langue française, des origines à 1900 (tome IV, la langue classique (1660-1715) consacre deux pages à Louis de Lesclache.

Emile Colombey, Ruelles, salons et cabarets : histoire anecdotique de la littérature française, on trouve deux allusion à Louis de Lesclache dans le chapitre IV L’Académie de la vicomtesse d’Auchy 

Data BnF de la Bibliothèque Nationale de France

Louis de Lesclache sur Data BnF 

Penser, parler, lire, écrire (L’homme libre du 12 Mai 1921)

Le 12 Mai 1921, le secrétaire de Georges Clemenceau, Jean Martet publiait une tribune dans L’homme libre appel à une réforme de l’enseignement de la langue française. Il s’inquiétait du fait que les enfants apprennent trop à écrire et pas assez à parler.

Pour lire la suite sur Gallica BnF (colonne de gauche page 2) cliquez sur l’image ci-dessous

Court de Gébelin (1725-1784)

Antoine Court de Gébelin (né probablement en 1725 à Nîmes- mort à Paris en 1784) a eu son heure de gloire comme polygraphe, grammairien et polyglotte hors-normes. Son nom est aujourd’hui un peu oublié. On le cite parfois lorsqu’il est question de langue, de discours, de parole, d’étymologie. Henri Meschonnic évoque son nom pour l’opposer à Leibniz (page 666 de sa Critique du rythme : anthropologie historique du langage, Verdier 1982). Michel Foucault dans Les mots et les choses (Gallimard, 1966) évoque « sa plus grande gloire et la plus périssable » (chapitre IV Parler p. 118). Honoré-Gabriel-Riquetti Comte de Mirabeau (1749-1791) disait que Gébelin était « Le plus grand grammairien de l’Europe » (cité in notice sur Court de Gébelin dans Lettres à Julie, écrites au donjon de Vincennes par Mirabeau et publiée par Meunier et Leloir en 1903 disponible sur Gallica BnF ici)

Antoine Court de Gébelin (1725-1784), écrivain français, 1784. Gravure de F. Huot. Paris, musée Carnavalet.

Jean-François Laharpe (1739-1803) brosse son portrait dans sa Correspondance littéraire (tome II) 

« M. de Gébelin est un homme sans fortune, vivant dans la retraite uniquement livré à son travail. Il n’est pas même de l’académie des inscriptions, quoiqu’il fût bien fait pour en être sa qualité de protestant l’en exclud. »

On ne connaît pas exactement l’année de naissance d’Antoine de Court de Gébelin. Selon les sources auxquelles on se réfère il aurait pu naître en 1719, 1724, 1725 ou 1728. On suppose qu’il est né à Nîmes, son père, Antoine Court y était pasteur protestant. Sa famille, comme celle de beaucoup réformés, a rapidement émigré en Suisse, une solution pour permettre à leurs enfants de faire des études. Selon La Nouvelle biographie du Docteur Hoefer des temps les plus reculés jusqu’à nos joursGébelin était un surnom inventé qu’il s’était donné lui-même pour mieux échapper aux persécutions religieuses. (cliquez ici ).

Antoine Court de Gébelin suit des études de théologie à Lausanne pour devenir pasteur. Il obtient une thèse de théologie et il enseigne à son tour la philosophie, la morale et la controverse à de futurs ministres du culte. À partir de 1763, il décide de s’installer en France, de renoncer à une carrière de pasteur pour se livrer plus librement à l’étude et à l’enseignement. Jean-Paul Rabaut de Saint-Étienne rapporte, au sujet de son retour en France, une anecdote qui montre que ses parents avaient fait l’objet de persécutions du fait de leur religion et qu’Antoine Court de Gébelin était un être fondamentalement désintéressé : « Il vit à Uzès, patrie de sa mère, les champs et les possessions que, dans sa fuite précipitée, elle avait été forcée d’abandonner, et qui étaient passés dans des mains étrangères ; mais il les vit sans envie : et lorsque depuis on lui indiqua les moyens de se les faire restituer, il ne put se résoudre à déposséder ceux qui étaient accoutumés à en jouir. » (Lettre sur la vie et les écrits de M. Court de Gebelin adressée au Musée de Paris. Paris 1784, disponible sur le portail de l’université de Göttingen ici).

Illustration Carte du Diocèse d’Uzès / Dressée sur les Lieux par le Sieur. Gautier (1660-1737) Ingénieur. Architecte et Inspecteur des Ponts et Chaussées de France un document Gallica BnF 

En s’installant à Paris, il décide de se consacrer à la littérature et à la science en créant une « société libre de sciences, lettres et beaux-arts » : « Le Musée de Paris » dont il sera nommé président. 

La langue, les langues, la parole humaine ont été un de ses sujets de recherche de prédilection. Antoine Court de Gébelin a voulu construire un système permettant l’étude de toutes les langues à partir d’une langue primitive dont toutes seraient issues. Cette langue a des origines naturelles. Il envisageait donc la parole humaine comme ancrée dans le corps humain et donc d’abord dans ses émotions et sentiments. La comparaison qu’il établit entre l’appareil phonatoire et les instruments de musique (et notamment l’orgue) mérite d’être citée : 

« La connaissance d’un Art dépend toujours des Éléments qui le composent : on ne saurait donc se former une juste idée de l’origine du Langage et du rapport des Langues, sans connaître leurs premières causes, surtout la nature et les effets de l’Instrument vocal, duquel se tirent tous les éléments de la parole, ces sons sans lesquels n’existerait point de peinture des idées.

L’Instrument vocal est l’assemblage des organes au moyen desquels l’Homme manifeste ses idées par la parole, et ses sensations par la voix et par le chant. 

Ces organes sont en très grand nombre ; ils composent un instrument très compliqué, qui réunit tous les avantages des instruments à vent, tels que flûte, des instruments à cordes, tels que le violon ; des instruments à touches, tels que l’orgue, avec lequel il a le plus de rapport ; et qui est de tous les instruments de musique inventés par l’homme, le plus sonore, le plus varié, le plus approchant de la voix humaine. 

Comme l’orgue, l’instrument vocal a des soufflets, une caisse, des tuyaux, des touches. Les soufflets sont ses poumons ; les tuyaux, le gosier et les narines ; la bouche est la caisse ; et ses parois les touches. 

Cet instrument fournit à l’homme des sons simples, tels que la voix et le chant ; et des sons représentatifs, modifications de la voix, tels que les voyelles et les consonnes. » 

Vidéo: Louis Thiry interprète «Dialogues sur les grands jeux» de Nicolas de Grigny à l’orgue de Saint Théodorit à Uzès.

On peut donner un aperçu de son esprit de système dans sa description des éléments de la langue (en 1773) : 

« Les divers Éléments dont est composé le langage ses divisent en trois classes : 

1° Sons, ou Voix.

2° Articulations, ou Intonations simples

3° Passage, ou Articulations doubles. 

Les Voix ou Sons et les Intonations ou Articulations sont immuables, parce qu’ils n’ont jamais pu être inventés. En conséquence ils sont les mêmes chez tous les Peuples ; au lieu que les Passages ou consonnes doubles, effets de leur volonté ou de leurs besoins, varient suivant les Peuples. »

Il divise la langue primitive en trois séries de sept  éléments (sept voyelles, sept consonnes fortes, sept consonnes douces). 

« Les Intonations ou Articulations sont l’effet des touches qui composent l’instrument vocal, et forment deux séries différentes, une de consonnes fortes, l’autre de consonnes faibles, suivant que l’intonation de chaque touche est forte ou faible, légère, ou dure. Chacune de ces séries est composée de sept consonnes, qui correspondent à autant de touches de l’instrument vocal ; et dans ces séries chaque consonne forte répond à une douce : d’où résulte un Alphabet naturel, immuable et universel de vingt-et-une lettres, c’est-à-dire de sept Voyelles, et de quatorze Consonnes auxquelles fut assujetti le premier qui parla. 

« Ainsi dès qu’il y eut deux personnes sur terre, elles purent parler, et elles le firent en effet ; il ne fallut pour cela aucun effort, aucun travail : il en fut comme du physique : on n’attendit pas les Règles du mouvement pour se mouvoir et marcher, on marcha, parce qu’il le fallait et parce qu’on était fait pour marcher. De même, l’Homme entraîné par l’impétuosité du sentiment, ouvrit la bouche et rendit des sons articulés : ces sons articulés peignirent ses sentiments, et sa Compagne l’entendit, elle lui répondit, et il entendit à son tour : et par cette réciprocité de sons, leurs âmes se dévoilèrent l’une à l’autre, d’où naquit entr’eux un attrait qu’ils ne trouvaient nulle part. » (in Le Monde Primitif, analysé et comparé avec le monde moderne, considéré dans son génie allégorique et dans les allégories auxquelles conduisit ce génie précédé du plan général des diverses parties qui composeront ce monde primitif avec des figures en taille-douce. Disponible dans les collections de Gallica BnF ici )

En France, Antoine Court de Gébelin « put profiter de tous les secours que pouvaient lui donner les bibliothèques publiques , ainsi que les collections de livres et d’objets d’art et d’antiquité, formées par des amateurs opulents, pour continuer un travail d’une importance considérable qu’il avait entrepris déjà depuis plusieurs années. Il ne se proposait rien moins que d’ expliquer l’antiquité tout entière, avec ses traditions historiques, ses mythologies, ses cosmogonies. L’incohérence, le vague, l’obscurité de toutes les interprétations essayées jusqu’à ce moment lui semblaient une preuve de leur fausseté, et cependant c’est dans la connaissance de l’antiquité qu’ il faut aller chercher la connaissance de tous les temps postérieurs, puisqu’ elle contient les origines de la plupart des idées, des lois, des coutumes qui sont communes à tous les peuples, et qu’ elle est, comme il s’exprime lui-même, la clé de toutes les institutions modernes. » (Nicolas Michel, Histoire littéraire de Nîmes et des localités voisines, 1854 (page 262), disponible sur Gallica BnF ici). 

Court de Gébelin déploie aussi une formidable énergie à défendre la cause des protestants du Royaume de France.

« C’était un singulier phénomène pour le temps que cette vie d’ érudition et de zèle religieux, que cet empressement d’un infatigable travailleur à poursuivre à la fois les conquêtes de la philologie et celles de la tolérance politique. Ainsi , au même moment que de Gebelin faisait des visites répétées à Versailles pour l’affaire Calas, il encourageait de Beaumont à traiter la question du procès Sirven ; il s’occupait des persécutions de l’église d’ Orange auprès du duc de Choiseul ; il allait conférer avec M. d’Etigny, l’intendant d’ Auch, sur les rigueurs exercées contre les églises du Béarn ; il s’élevait partout contre un arrêt rigoureux du parlement de Grenoble, condamnant à mort des ministres contumaces ; il se mettait en rapport avec les membres du parlement qui se trouvaient à Paris et les disposait à la tolérance ; il conseillait ou déconseillait la convocation des synodes ; il rédigeait de nombreux placets sur les mariages des protestants et sur l’abolition des lois pénales , qu’il présentait au ministre de St-Florentin ; il se constituait l’intermédiaire entre les églises du Nord, qui demandaient des pasteurs , et le séminaire de Lausanne … » (Ch. Coquerel, Histoire des Églises du désert, t. II pages 487 à 491).

Cette activité en faveur du protestantisme (très liée aux affaires Calas et Sirven) a suscité la publication en 1763 des Toulousaines ou lettres historiques et apologétiques en faveur de la religion réformée et de divers protestants condamnés ces derniers temps par le parlement de Toulouse (disponible ici  sur le portail des Bibliothèques Universitaires de Toulouse).

À Paris il est admis à la loge Maçonnique des neuf sœurs où il a notamment pu fréquenter le compositeur de musique Nicolas Dalayrac (1753-1808) et Benjamin Franklin (1706-1790). On sait qu’avant d’être admis dans cette loge il devait déjà connaître ce philosophe puisqu’ils avaient fondé ensemble une revue intitulée Affaires de l’Angleterre et de l’Amérique (à partir de 1776). Cliquez ici

Affaires d’Angleterre et d’Amérique n°1 (1776)

Son oeuvre monumentale du Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne ne fut jamais achevée. Mais ce qui reste de ses écrits est original et passionnant quand on prend le temps de s’y plonger… Son esprit d’analyse en fait l’un des précurseurs de la linguistique.

Le Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne… (page 20) document Gallica BnF

Pour en savoir plus :

Rabaut de Saint Étienne (associé au Musée de Paris), Lettre sur la vie et les écrits de M. Court de Gebelin adressée au Musée de Paris. Paris 1784. Nombre de pages : 28 Disponible ici sur le portail de l’Université de Göttingen.

Article Court de Gébelin, in Nouvelle biographie générale : depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours sous la direction du docteur Hoefer (tome XII), 1855 (page 215 et suivantes). Disponible sur Gallica BnF cliquez ici.

Michel Nicolas, Histoire littéraire de Nîmes et des localités voisines, 1854 (pages 260 et suivantes consacrées à Court de Gébelin). Disponible sur Gallica BnF cliquez ici.

Notice à propos de Court de Gébelin sur le site du Musée protestant cliquez ici.

Court de Gébelin, un aventurier de la parole, article signé Marie Frantz sur le site Internet Le Philosophe Inconnu (Louis- Claude de Saint Martin). Cliquez ici.

Oeuvres d’Antoine Court de Gébelin (ressources en ligne)

Les Toulousaines ou lettres historiques et apologétiques en faveur de la religion réformée et de divers protestants condamnés ces derniers temps par le parlement de Toulouse, 1763 (une œuvre suscitée par les affaires Calas et Sirven). (disponible ici sur le site des Bibliothèques Universitaires de Toulouse)

Devoirs du prince et du citoyen, ouvrage posthume de M. Court de Gébelin pour servir de suite à la Déclaration des droits de l’homme. (publié en 1789). Disponible ici sur le site internet de Gallica BnF.

Histoire Naturelle de la Parole ou origine du Langage, de l’Écriture & de la grammaire à l’usage des jeunes gens… (publié en 1772) Disponible ici sur le site internet Gallica BnF.

Le Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne, 9 volumes parus entre 1773 et 1782 la réputation de cet ouvrage vaudra à Court de Gébelin d’être nommé « Censeur royal » à partir de 1773. 

Page de garde du premier volume du Monde Primitif, analysé et comparé avec le monde moderne, document Gallica BnF.

Volume 1: Monde Primitif, analysé et comparé avec le monde moderne, considéré dans son génie allégorique et dans les allégories auxquelles conduisit ce génie précédé du plan général des diverses parties qui composeront ce monde primitif avec des figures en taille-douce, par M. Court de Gebelin de Société Économique de Berne, et de l’Académie Royale de La Rochelle. Paris 1773. Nombre de pages 625. Disponible ici sur Gallica BnF.

Volume 2: Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne, considéré dans l’histoire naturelle de la parole ; ou grammaire universelle et comparative; par M. Court de Gebelin, de la Société Économique de Berne, et l’Académie Royale de La Rochelle. Paris 1774. Nombre de pages 727. Disponible ici sur Gallica BnF.

Volume 3: Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne, considéré dans l’histoire naturelle de la parole ; ou origine du langage et de l’écriture, avec une réponse à une critique anonyme, et des figures en taille-douce. Par M. Court de Gebelin de la Société Économique de Berne, et de l’Académie Royale de La Rochelle. Paris 1775. Nombre de pages : 687. Disponible ici sur Gallica BnF.

Volume 4: Le Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne considéré dans l’histoire du calendrier « Qu’ils servent (le Soleil et la Lune) de Signes, pour les fêtes , pour les jours, & pour les Années. » (tome 4). Paris 1776. Nombre de pages : 675. Disponible ici sur Gallica BnF.

Volume 5: Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne considéré dans les origines françoises ou dictionnaire étymologique de la langue françoise par M. Court de Gebelin de la Société Économique de Berne, des Académies Royales de La Rochelle, Dijon et Rouen. Paris 1778. Nombre de pages 771. Disponible ici sur Gallica BnF.  

Volume 6: Le Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne considéré dans les origines latines ou Dictionnaire Étymologique de la langue Latine avec une carte et des planches : Par M. Court de Gébelin, de Diverses Académies (tome 6). Première Partie. Paris 1779. Nombre de pages 727. Disponible ici sur Gallica BnF.

Volume 7: Monde primitif, analysé et comparé avec le monde moderne, considéré dans ses origines latines ; ou dictionnaire étymologique de la langue latine ; avec une carte et des planches, seconde partie par M. Court de Gebelin, de diverses académies, Paris 1780. Nombre de pages 841. Disponible ici sur Gallica BnF.

Volume 8: Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne, considéré dans les divers Objets concernant l’Histoire, le Blason, les Monnaies, les jeux, les Voyages de Phéniciens autour du Monde, les Langues Américaines, etc. ou Dissertations mêlées (tome 1) remplies de découvertes intéressantes ; avec une carte, des planches, et un Monument d’Amérique. Par M. Court de Gebelin, de diverses Académies, Censeur Royal. Paris 1781. Nombre de pages 731. Disponible ici sur Gallica BnF.

Volume 9: Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne, considéré dans les origines grecques ; ou dictionnaire étymologique de la langue grecque, précédé de recherches et de nouvelles vues sur l’origine des Grecs et de leur langue, par M. Court de Gébelin, De diverses Académies, Censeur Royal à Paris 1782. Nombre de pages 793. Disponible ici sur Gallica BnF.

8 Juillet 1621 Naissance de Jean de La Fontaine

Le 8 Juillet 1621 Jean de La Fontaine naissait à Château-Thierry. Faut-il encore le répéter? Tout le monde le sait, on n’a pas arrêté de nous le ressasser à l’école. Oui mais le 8 Juillet c’est aujourd’hui! Aujourd’hui Jean de La Fontaine atteint l’âge de trois cent quatre dix neuf ans. On ne peut pas laisser passer ça sans écrire un article de blog, ou de blogue comme écrivent les Québécois;  comme aurait peut-être aussi écrit Jean de La Fontaine s’il avait écrit dans un blog… L’aurait-il écrit ainsi? Vraiment? Une controverse pourrait naître sur cette intéressante question, avec articles en cascades, attaques, répliques, erreurs et rectificatifs, partages sur Twitter avec hashtag rageurs. Blog ou blogue quelle serait la préférence de Jean de La Fontaine? On imagine avec délice l’abondance de tout ce qui pourrait être écrit sur le sujet. Pour un « e » muet précédé d’un « u » on pourrait faire renaître aujourd’hui une querelle fameuse digne de la célèbre bataille entre Furetière et La Fontaine. Faute de temps on me pardonnera de ne pas développer outre-mesure… Du temps je n’en ai guère pour évoquer une guerre et ce d’autant plus que les trois cent quatre vingt dix neuf ans de Jean de La Fontaine valent bien de vagabonder quelques heures dans la jungle des collections numériques de Gallica BnF pour en savoir plus sur le propriétaire de la Ferme de Tueterie près de Château Thierry. C’est qu’il n’était pas seulement propriétaire, il était aussi l’auteur des fables. Celles dont le Vicomte de Broc a écrit: «Les fables, compagnes de nos jeunes années, nous ont suivis sur le chemin de la vie ; elles n’en ont pas ôté les épines, mais elles l’ont semé de fleurs que nous aimons à cueillir et dont nous respirons le parfum. Elles égayent les jours sombres, et voilent de sourires et de badinages les maux et les chagrins de l’humanité.» (extrait de Vicomte de Broc, La Fontaine moraliste, Librairie Plon 1896 document Gallica BnF). Ainsi en 1896 Jean de La Fontaine était en quelque sorte brandi comme un symbole nationaliste servant à venger à la fois la Guerre de cent ans contre les Anglais et la guerre de 1870 contre les Prussiens. Un vicomte se permettait de l’enrôler parmi les partisans de la restauration de la Royauté contre les partisans de la IIIe République balbutiante (qui lisaient plutôt Victor Hugo).

Et pourtant Jean de La Fontaine serait peut-être aujourd’hui un écologiste, un anarchiste, un libertaire. N’avait-il pas publié ses fables en 1668? N’était-il pas une manière de «soixante-huitard» un précurseur? N’était-il pas d’abord un esthète, un artiste, un amoureux de la musique et de la nature? Pour la première édition de ses fables (adaptées d’Ésope) en 1668 il avait choisi de les faire illustrer par un des meilleurs graveurs de son époque, François Chauveau (1613-1676). Il était tellement connu que l’on diffusait son portrait jusqu’en terre de langue allemande (ainsi qu’en témoigne l’estampe ci-dessous).

La première publication des fables en 1668 était donc une édition de luxe. On la trouve dans les collections Gallica BnF. Elle est merveilleuse à feuilleter (cliquez ici).

Très rapidement les fables de La Fontaine devinrent une oeuvre populaire, largement diffusée par les colporteurs. En témoigne cette édition parue sous le 1er Empire en 1812 avec des gravures un peu maladroites et un «portrait d’Ésope» insistant sur son aspect campagnard.

Jean de La Fontaine était d’abord un esthète, lit-on dans la Notice sur Jean de La Fontaine dans l’Histoire de la littérature française illustrée. Tome I (publiée sous la direction de Joseph Bédier (1864-1938), Paul Hazard (1878-1944). Disponible sur Gallica BnF

« Si l’on veut, à toute force, le classer et marquer sa place dans un tableau du XVIIe siècle, il faut le ranger du côté des « libertins » avec Saint Évremond. Il appartient à la lignée des Gassendistes. C’est un épicurien. La seule prière qu’il fit jamais, il l’adressa un jour à la Volupté (Psyché, Livre II). »[…] « Qu’il ait adoré la musique, c’est encore lui qui nous l’a dit dans son épître à son ami de Nyert, non qu’il se plût au tintamarre de l’Opéra, mais il goûtait une chanson à à danser ou une jolie pièce de clavecin, surtout si les mains de la claveciniste étaient jeunes et blanches. Qu’il ait aimé la campagne, comment en douter quand on retrouve dans Psyché, dans les Contes, dans les Fables, le ressouvenir des des scènes et des paysages qui, sur les bords de la Marne, avaient amusé ses yeux et enchanté son imagination ? »

« Jean-Jacques Rousseau a soutenu que les Fables étaient un danger pour les enfants… »

« Lamartine a été bien plus loin : « Ces histoires d’animaux, dit-il, qui parlent, qui se font des leçons, qui se moquent les uns des autres, qui sont égoïstes, railleurs, avares, sans amitié, sans pitié, plus méchants que nous, me soulevaient le cœur. Les Fables de La Fontaine sont plutôt de la philosophie dure, froide et égoïste d’un vieillard que la philosophie aimante, généreuse, naïve et bonne d’un enfant : c’est du fiel, ce n’est pas du lait pour les lèvres et les cœurs de cet âge. »

[…]

La Fontaine s’était assigné d’autres objectifs :

« Platon…, dit-il, souhaite que les enfants sucent ces fables avec le lait ; il recommande aux nourrices de les leur apprendre ; car on ne saurait s’accoutumer de trop bonne heure à la sagesse et à la vertu. Plutôt que d’être réduit à corriger nos habitudes, il faut travailler à les rendre bonnes pendant qu’elles sont indifférentes au bien ou au mal… »

[…] « Dans la même préface,il déclare qu’aux apologues des Anciens, il a voulu ajouter des « traits qui en relevassent le goût ». C’est, dit-il, ce qu’on demande aujourd’hui : on veut de la nouveauté et de la gaieté. Je n’appelle pas gaieté ce qui excite le rire, mais un certain charme, un air agréable qu’on peut donner aux sujets même les plus sérieux. » Cette fois-ci, croyons-le sur parole. Son principal objet fut non pas d’instruire ou d’édifier les hommes mais de leur plaire. « On ne considère en France, dit-il, que ce qui plaît : c’est la grande règle et pour ainsi dire, la seule. »

« La plupart des personnages ont cependant figure d’animaux. Ne seraient-ils que des hommes costumés en bêtes ? Non. Le fabuliste entend exprimer « les propriétés des animaux et leurs divers caractères » , et il les exprime avec une rare exactitude ; s’il le fait en poète et non en naturaliste, il n’en trouve pas moins des traits d’une criante vérité pour rendre la démarche, l’air, la physionomie des animaux qu’il a observé dans sa basse-cour et dans la campagne champenoise ; mais il remarque tout de suite : « les propriétés des anmaux et leurs divers caractères, par conséquent les nôtres aussi. » Ces êtres singuliers ne sont donc ni hommes, ni bêtes ; ils sont nés de l’imagination d’un poète ; ils forment dans la création un règne à part : ce sont « les animaux de La Fontaine ».

«Ces fables sont une comédie par la vivacité des dialogues, la soudaineté des péripéties, l’imprévu des dénouements, surtout par la variété et le relief des caractères, si bien que les critiques ont pu y découvrir un « un abrégé de la société du XVIIe siècle, de la société française, de la société humaine » (Taine).

« Si La Fontaine n’avait été un prodigieux inventeur de rythmes, il n’eût découvert une forme poétique nouvelle, le vers libre, un vers libre qui, à la différence de celui de Molière dans Amphytrion, mélange toutes les mesures ?»

Le vers libre de La Fontaine lui est infiniment personnel:

« Cette fusion intime de tous les rythmes, dit Théodore de Banville, où le vêtement de la pensée change avec la pensée elle-même, et qu’harmonise la force inouÏe du mouvement, c’est le dernier mot de l’art le plus savant et le plus compliqué, et la seule vue de difficultés pareilles donne le vertige. D’ailleurs comme La Fontaine avait créé son instrument, il l’a emporté avec lui : tous ceux de ses prétendus successeurs qui ont cru se servir du vers libre, nous ont donné un chaos risible et puéril ; non seulement ils en ignoraient l’esprit, l’allure, le mouvement harmonieux et rapide, mais ils n’en ont même pas compris le mécanisme. »

« Le vers libre est la suprême trouvaille de La Fontaine ; par la mystérieuse vertu de ses rythmes infiniment variés, il anime les scènes et nuance les tableaux ; c’est lui qui ravit les imaginations, même enfantines ; c’est lui qui fixe les fables dans la mémoire des hommes. C’est grâce à lui qu’un « bel esprit », conteur malicieux et libertin, est devenu le plus poète des poètes de France. » (citations extraites de  Notice sur Jean de La Fontaine dans l’Histoire de la littérature française illustrée. Tome I (publiée sous la direction de Joseph Bédier (1864-1938), Paul Hazard (1878-1944). Disponible sur Gallica BnF). 

J’ai surtout évoqué dans cet article le fait que Jean de La Fontaine était un esthète, aimant la musique et le rythme de la langue. Aurait-il pour autant préféré blogue à blog? Le mystère reste entier…

Une chose est certaine, Jean de La Fontaine dont nous fêterons le 8 Juillet 2021 le quadricentenaire mérite d’être sans cesse lu et relu, étudié car il apporte dans ses fables une féconde et souriante sagesse alimentée des antiques et des orientaux qui nous apprend infiniment aujourd’hui pour supporter toutes les adversités.

Pour en savoir plus:

À écouter cette émission de France-Culture (cliquez ici)

On trouvera sur le site Gallica BnF un excellent dossier sur Jean de La Fontaine. Une mine où chacun peu puiser sa documentation pour alimenter sa réflexion. (cliquez ici).

Triacleur

Si vous avez lu mon précédent article, vous vous rappelez peut-être que, dans son « Abrégé du parallèle des langues françoise et latine repporté au plus près de leurs propriétez » (1637), Philibert Monet (1569-1643) définissait le verbe « charlater » par ces termes : « faire un train de triacleur… ».

Ce terme de Triacleur n’étant plus guère en usage aujourd’hui, on va essayer dans cet article d’éclairer ce qu’il signifie, en explorant les ressources de Gallica BnF ainsi que quelques dictionnaires…

Dans son incontournable Dictionnaire universel Antoine Furetière (1690) définit le terme de Triacleur (substantif masculin), comme étant un « Saltimbanque, un charlatan qui vend en place publique ou sur un théâtre, de la thériaque, ou autres drogues vicieuses, après avoir amassé le peuple par ses bouffonneries. » Cette définition n’éclaire guère si on ignore ce qu’il faut entendre par Thériaque. Un autre dictionnaire, Le vocabulaire français du XVIe siècle, Deux mille mots peu connus signé Hugues Vaganay (1870-1936) définit le Triacleur comme un «porte-trompette» Le Dictionnaire de la langue romane du vieux français de François Lacombe (1768) le définit comme un «charlatan» ou un «praestigiator» (= illusionniste en italien). Quelle est cette Thériaque et pourquoi justifie-t-elle de jouer de la trompette, où de se livrer à des numéros d’illusionniste?

Le commerce de la thériaque était si mal vu au XVIIIe siècle que pour attaquer les jésuites, une estampe les représente sous le titre Au grand Magasins de Thériaque.

Sous la gravure on peut lire ces vers:

«Les voilà donc surpris, mais cet air patelin

«Trouvera des nigauds qui s’y laisseront prendre

«Ah France si tu les gardes en ton sein,

«Ils te déchireront, oses-tu les défendre?»

Quelle est donc cette Thériaque, si funeste qu’elle serait capable de détruire la France?

Dans son roman « Histoire de Gil Blas de Santillane » Alain-René Lesage (1668-1747) invente, pour se moquer de Voltaire, un auteur de théâtre imaginaire nommé Gabriel Triaquero. Sainte-Beuve, annotateur du roman, dans l’édition Garnier de 1864, explique : « Il n’y a jamais eu de poète espagnol qui s’appelât Triaquero. Ce n’est que pour attaquer Voltaire sous ce nom peu flatteur que Le Sage a conçu l’idée du chapitre qu’on va lire. Triaquero veut dire vendeur de Thériaque, en vieux français, triacleur, et en langage moderne, charlatan. »

Quelle est donc cette incroyable Thériaque si compromettante, qu’elle permet d’attaquer à la fois Voltaire et les Jésuites?

Il s’agit tout simplement d’un ancien médicament. Joseph Bernhard (1860-1935), pharmacien de première classe à Étrepagny dans l’Eure lui a consacré en 1893 un ouvrage entier intitulé «Les médicaments oubliés : La Thériaque, Étude historique et pharmacologique» (disponible ici dans les collections Gallica BnF).

Aux pages 88 et 89 de cet ouvrage Joseph Bernhard explique que dès le Moyen-âge des «les chroniques […] nous montrent les campagnes de France sillonnées par des rebouteux ambulants, charlatans de bas étages, promenant de bourgades en bourgades, leur empirisme effronté, et leurs «boëtes de triacle» [boîte de thériaque]. Ces colporteurs vendaient pour de la thériaque les drogues les plus dégoûtantes, et les mots triaclerie, triacleurs, devinrent d’un usage courant pour désigner une tromperie un falsification, une action malhonnête, digne d’un vendeur de thériaque; un fraudeur, un charlatan, un imposteur. Une farce: Le Pardonneur, le Triacleur et la Tavernière, datée du commencement du XVIe siècle met un en scène un de ces marchands de thériaque vagabonds…» (source Gallica BnF). Depuis le terme de Triacleur est devenu une sorte de quolibet, une injure, un terme suffisamment relevé cependant pour figurer dans Les Remarques de M. de Vaugelas sur la langue françoise, tome 3 (page 22). Claude-Favre de Vaugelas (1585-1681) précise qu’« Il faut dire Triacleur, qui vend de la thériaque, ou passe pour un Charlatan, & et non pas Theriaqueur. »

Mahturin Regnier (1573-1613 dans sa Satyre XIII intitulée « Macette ou l’hypocrisie déconcertée » évoquant l’hypocrisie des grands de la cour écrit :

« Tous ces beaux suffisants dont la cour est semée »

« Ne sont que triacleurs et vendeurs de fumée. »

Au XIXe siècle le terme de Triacleur était encore utilisé dans son sens argotique. Plusieurs paragraphes lui sont consacrés dans La grande bohême, histoire des royaumes d’Argot et de Thunes, du duché d’Égypte… : suivie d’un dictionnaire complet des diverses langues fourbesques et argotiques de l’Europe à toutes les époques (1850) page 211 (cliquez ici pour les lire sur Gallica BnF). On trouve quelques occurrences de ce terme dans la presse quotidienne de la fin du XIXe siècle.

Dans La Dépêche de Toulouse du 6 décembre 1888, Louis Braud affuble le général Boulanger du sobriquet de « triacleur » à l’occasion de son discours de Nevers (décembre 1888) : « comme celle du « triacleur » de la fin du seizième siècle, la drogue de M. Boulanger guérit de tous les maux. Il jure d’opérer les réformes sociales et promet du beurre aux classes laborieuses et surtout aux paysans. » (cliquez ici pour lire l’article sur Gallica BnF).

Voilà ce qu’on pouvait dire de ce vieux mot oublié qui mérite sans doute de réapparaître dans les dictionnaires d’aujourd’hui, surtout à l’heure où les débats médicaux inondent les médias à l’occasion de la pandémie de Covid-19.  Pour ma modeste part, j’ai tenté de le faire revivre en Juillet 2020, dans un rondeau intitulé Le Triacleur.

 

 

Du verbe « Charlater »

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En France on aime polémiquer sur les questions d’orthographe. Chacun adore démontrer à autrui qu’il parle une langue incorrecte, chacun cherche à prouver qu’il sait mieux que quiconque arpenter les ténébreux labyrinthes de la grammaire française, qu’il sait mieux qu’autrui pratiquer la correction du beau langage. Écrire et parler en bon français est devenu un sport national. Désigner à la moquerie des foules celui qui s’est égaré dans la faute d’orthographe ou de grammaire est presque devenue une discipline olympique, un jeu, un combat. Chaque génération aime à prouver à la suivante que la pratique de la langue décline dans la jeunesse et qu’elle s’emmêle dans une grammaire approximative. Quand un journal publie une coquille, il n’est pas rare que cela devienne l’objet d’un débat vif et acharné permettant aux preux chevaliers de la belle raison, du beau langage et de la juste science d’abattre à coups de Bescherelle le chevalier félon du camp adverse.

L’occasion d’une telle polémique inflammable aurait sans doute pu naître aujourd’hui à partir d’un article du Figaro consacré au Docteur Raoult de l’I.H.U. de Marseille auditionné par une commission parlementaire ce Mercredi 24 Juin. Voici ce qu’on peut lire dans cet article: Figaro 24 Juin 2020)

Vous avez bien lu. Il est écrit « Charlatant » au lieu du « Charlatan » habituel que votre dictionnaire annonce comme étant l’orthographe correcte, celle qui vous a peut-être permis un jour d’avoir un 10 sur 10 en dictée. Ce surprenant « T » vilainement ajouté serait-il une horrible faute de grammaire qui mériterait de susciter un tapage symphonique sur les réseaux sociaux, une de ces discussions âpres fondées sur le fait que Le Figaro emploierait comme correcteurs des stagiaires dysorthographiques pour écorner l’image du docteur Raoult? Cet épouvantable « T » écorchant le regard des amoureux de l’orthographe n’est-il pas l’occasion offerte de se mobiliser en masse pour défendre la belle langue de Molière traitreusement agressée?

Il est parfois bon de ne pas être trop sanguin et de ne pas s’enflammer trop rapidement. Ce « charlatant » d’apparence douteuse pourrait bien s’avérer ne pas être du tout une faute mais bien au contraire le signe d’une connaissance fine de tous les méandres subtils d’une langue qui pour être celle de Molière est aussi celle de Ronsard et de bien d’autres: de vous, de moi et de bien d’autres bavards oubliés. « Charlatant » n’est que le participe présent du verbe « Charlater« , un vieux verbe oublié mais pas complètement par tout le monde. Une simple exploration des riches ressources des collections numériques de Gallica BnF va nous en apporter quelques illustrations. Ce verbe, bien que peu courant, est d’un usage ancien.

Ferdinand Brunot le mentionne dans sa fameuse Histoire de la langue française des origines à 1900 dans le volume consacré à la formation de la langue classique (1600 – 1660). Charlater est cité par ce grand historien de la langue, dans une liste de « mots qui vieillissent et sortent de l’usage sans être condamnés par aucun théoricien à ma connaissance. »Histoire_de_la_langue_française_[...]Brunot_Ferdinand_bpt6k58392786_170

On trouve la définition de ce verbe dans le Dictionnaire historique de l’ancien françois, ou Glossaire de l’ancien langage françois, ou Glossaire de la langue françoise depuis son origine jusqu’au siècle de Louis XIV » par Léopold Favre (1817-1891).

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Pierre Borel (1620-1671) ne cite qu’en passant, le verbe « charlater » dans son « Trésor et antiquitez gauloises et françoises réduites par ordre alphabétique… » (1655). Il le fait à propos du verbe « Abriconer » :

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Philibert Monet (1569-1643) dans son « Abrégé du parallèle des langues françoise et latine repporté au plus près de leurs propriétez » (1637) consacre un article au verbe « charlater » Abrégé_du_parallèle_des_langues_[...]Monet_Philibert_bpt6k58494874_208

Ce même Phillbert Monet citait le verbe « charlater » dans son « invantaire des deus langues françoise et latine, assorti de plus utiles curiositez de l’un et de l’autre idiome » (1635)Invantaire_des_deus_langues_françoise_[...]Monet_Philibert_bpt6k5851099r_215

 

Enfin pour ne pas qu’on nous accuse de ne citer que des amateurs de curiosités, citons un amateur d’élégances lexicale: François-Antoine Pomey (1618-1673) consacre un article au verbe « charlater » dans « Le Dictionnaire royal augmenté de nouveau, et enrichi d’un grand nombre d’expression élégantes… Dernière édition, nouvellement augmentée de la plus grande partie des termes de tous les arts. » (1716). Il le donne comme synonyme d’enjôler.Le_Dictionnaire_royal_augmenté_de_[...]Pomey_François-Antoine_bpt6k96365651_181

Ce verbe est toutefois, nous devons l’admettre, d’un usage fort peu courant dans les ouvrages imprimés. En sondant les collections numériques de Gallica BnF je n’ai trouvé son usage que dans un texte extrait du volume 6 des « Variétés historiques et littéraires : recueil de pièces volantes rares et curieuses en prose et en vers » revue et annotées par Édouard Fournier (1819-1880). Il s’agit d’un conte intitulé « Le Pont-Breton des Procureurs dédié aux clercs du Palais » celui que Ferdinand Brunot citait (voir plus haut). Ce conte débute par ces mots : « Déjà les ténèbres descendaient le grand galop des montagnes, et déjà ma plume s’alentissait si fort que le cageoleur babil d’un procureur, dictant à un sien copiste, m’était très ennuyeux… » Il y est question d’un « demeurant rue de La Harpe qui sait si bien charlater que souvent il fait croire à de jeunes barbes qu’il a bien rencontré ». Edouard Fournier explique en note qu’il ne connaît pas d’autre usage de ce mot charlater. Il pense que son étymologie est italienne:

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En ce qui concerne l’usage du verbe charlater au participe présent en tant que substantif, j’en ai trouvé un usage intéressant dans un article du 24 Décembre 1882 du journal L’avenir d’Arcachon : organe des intérêts politiques, industriels et maritime de la contrée. L’article est consacré à l’invention de la marionnette par l’inventeur nommé Marion. L’auteur explique d’abord qu’en 1868, un charlatan, fort expert en son art, montra à Paris les premiers pantins en bois que l’on eut vus en France. L’article se termine par ces mots.

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À noter toutefois qu’Antoine Furetière ignore l’usage du verbe « charlater » et donc du participe présent charlatant… Il connaît en revanche le substantif Charlatan et le verbe charlataner.

L’article très bien fait du CNRTL (Centre National de Ressouces Textuelles et Lexicales), permet de faire le point sur le substantif Charlatan. On apprend notamment dans cet article que Marcel Proust avait utilisé le substantif féminin « charlatante », dérivé du verbe charlater, dans son roman « La Prisonnière » (page 365 de l’édition de 1922). Bien qu’opposée à Antoine Furetière, l’Académie Française n’a pas retenu ce verbe devenu désormais désuet ou rare. Grâce au « Dictionnaire royal augmenté de nouveau, et enrichi d’un grand nombre d’expression élégantes… Dernière édition, nouvellement augmentée de la plus grande partie des termes de tous les arts. » de 1710, il a continué à vivre dans notre langue vivante, La Prisonnière de Marcel Proust en témoigne pour 1922, Le Figaro dans son édition numérique du 24 Juin 2020  en témoigne pour aujourd’hui...

Afin de prouver que ce vocable est bel et bien vivant en 2020 et qu’il est même poétique, j’ai écrit le Jeudi 25 Juin 2020, un rondeau intitulé IL CHARLATE.

À propos de Charlatans… …je ne saurais que trop vous conseiller de lire l’article que j’ai consacré à Thomas Sonnet (cliquez ici). Je vous rappelle que cet auteur a écrit une Satyre contre les charlatans et pseudomédecins empyriques publiée en 1610  et il écrivait ce mot sans mettre un « T » à la fin du mot. Une langue qui vit est une langue qui accepte de se diversifier.

Thomas Sonnet (1577-1627)

«C’est icy de Courval le vif et vray pourtraict :
Son nez, son front, ses yeux et sa levre pourprine.
Icy lui voidz le corps figuré par ce trait
Et son esprit paroist en l’art de médecine.»

Si vous avez lu mon dernier livre: Sansonnet sait du bouleau (BoD Novembre 2019) vous aurez certainement remarqué que j’y fais référence (pages 13 et 116) à un certain Thomas Sonnet (1577-1627)…

Ce personnage a réellement existé. Je ne l’ai pas inventé, il a même connu une certaine gloire. Une petite promenade dans les riches collections Gallica BnF permet d’en apprendre un peu plus sur ce singulier personnage à la forte personnalité… Le poète Gustave Levavasseur (1819-1896) l’évoquait, en plein milieu du XIXe siècle, en ces termes:

«Connaissez-vous Thomas Sonnet ?
C’était un médecin de Vire.
Il tournait fort bien un sonnet.
Connaissez-vous Thomas Sonnet ?
Aux malades il ordonnait
De ne jamais boire du pire.
Connaissez-vous Thomas Sonnet ?
C’était un médecin de Vire.» (extrait de Au Pays Virois : bulletin mensuel d’histoire locale, Septembre 1920 disponible ici dans les collections Gallica BnF).

Thomas Sonnet, Sieur de Courval est né en 1577 à Vire en Normandie, il est mort en 1627 à Paris.  Il était auteur de satires et médecin, il fut célèbre pour la férocité de sa plume qui l’a contraint à quitter sa Normandie pour Paris… Il s’est d’abord fait connaître par sa Satyre Ménipée ou Discours sur les poignantes traverses ou incommodités du mariage, où les humeurs de femmes sont vivement représentées, 1608 (Disponible ici dans les collections Gallica BnF) 

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Cette oeuvre a connu un certain succès puisqu’elle a été rééditée à plusieurs reprises. Elle a également causé quelques ennuis à son auteur. À la suite de cette publication, Thomas Sonnet a quitté Vire et la Normandie pour s’installer à Paris, s’y marier et y embrasser la profession de médecin. Avait-il dû s’exiler à cause de sa satire sur les femmes? Sa plume aiguisée ne devait guère plaire aux bons bourgeois et surtout aux dames de Vire… Même s’il essaie de se rattraper dans des vers qu’il adresse visiblement à celle qui avait ses faveurs:

«Ma chère âme, mon tout, je me viens excuser
Si j’ay osé blasmer tout le sexe des femmes;
Non, non, mon coeur, ce n’est qu’aux impudiques dames
Que mes cyniques vers se doivent adresser ;
J’ay toujours respecté les chastes demoiselles,
Poussé de ton amour et de la vérité :
Je n’ay donc par ces vers nullement mérité
D’encourir ta disgrâce et des autres pucelles.
Plutost, mon coeur, lu dois m’aimer plus ardemment
D’avoir choisi pour but une telle matière
Qui fait la chasteté briller par son contraire,
Comme en l’obscurité brille le diamant.» (in Satyre ménippée… Edition de Lyon de 1623 page 106)

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Selon M. de Robillard de Beaurepaire, sa biographie ne présenterait aucune aspérité, aucun épisode intéressant: «Sonnet n’a jamais exercé de fonctions publiques ; il n’a pris part à aucun événement notable ; et, sans les ouvrages qu’il nous a laissés, son nom serait aujourd’hui enseveli dans l’oubli le plus profond.» (Les Satires de Sonnet de Courval par M. de Robillard de Beaurepaire in Mémoires de l’Académie royale des sciences, arts et belles-lettres de Caen 1865 disponible ici dans les collections Gallica BnF). «Cette vie sédentaire et sans horizon, qui au premier abord peut paraître défavorable au développement de l’esprit, a fourni en définitive à Sonnet ses meilleures et ses plus saines inspirations. Satirique par instinct et par tempérament, il n’a jamais été mêlé qu’à une société de petite ville ; mais il l’a vue fonctionner sous ses yeux, il a pu l’observer de près et étudier sur le vif les travers, les vices et les scandales qu’il devait plus tard décrire.» (M. de Robillard de Beaurepaire). Le même auteur le qualifie de « Pamphlétaire irrespectueux et grossier, il a toutefois compris le besoin d’une transformation générale; il a compati à la misère des basses classes et a combattu la rapacité des traitants, le ridicule des gentilshommes d’aventure et le luxe insolent des abbés commendataires. Après avoir décrit les raffinements du luxe et la bigarrure des costumes, après avoir pénétré avec une curiosité sensuelle dans les plus mauvais lieux… il a retrouvé tout à coup une honnêteté d’aspirations inattendues; il a rêvé d’un royaume sans division, une organisation équitable des impôts, la suppression de la vénalité des charges, la justice respectée comme un sacerdoce, et la religion recouvrant l’auréole de sainteté, le prestige des anciens jours. » (M. de Robillard de Beaurepaire)

Sonnet Sieur de Courval doit ses premiers succès littéraires dès 1608  à la diffusion de sa Satyre Ménipée «Cette diatribe bizarre est pourtant loin d’être un chef-d’oeuvre; elle n’est pas même, à beaucoup près, la production la plus remarquable de notre poète. Mais, avec ses tendances sceptiques, elle répondait parfaitement au courant d’idées du moment, et aujourd’hui même le nom de Sonnet, malgré ses essais dans des voies plus sérieuses, y est resté irrévocablement attaché , et en a conservé comme une notoriété équivoque et suspecte.» (M. de Robillard de Beaurepaire). Dans la rédaction de sa « Satyre Ménipée » il est assez vraisemblable que Thomas Sonnet, Sieur de Courval ait été fortement influencé par les Stances du Mariages de Philippe Desportes (1546-1606): 

«De toutes les fureurs dont nous sommes pressés,
De tout ce que les cieux ardemment courroucés
Peuvent darder sur nous de tonnerre et d’orage,
D’angoisseuses langueurs, de meurtre ensanglanté,
De soucis, de travaux, de faim, de pauvreté,
Rien n’approche en rigueur la loi de mariage…» (à découvrir ici sur Gallica BnF).

Selon M. de Robillard de Beaurepaire, il est plus que probable que Thomas Sonnet, Sieur de Courval «n’ait fait qu’étendre et paraphraser les strophes» de Philippe Desportes…

Ce serait toutefois une injustice faite à Thomas Sonnet que de prétendre qu’il s’est contenté de paraphraser Desportes… C’est à la singularité de sa plume que l’on doit ce sonnet au très noble et vertueux gentilhomme Gilles de Gouvets, Sieur de Mesnil-Robert et de Clinchamp, gentilhomme normand réputé pour sa bibliothèque paraît-il considérable  :

« Heureux Mesnil-Robert, heureuse influence
»Et l’astre fortuné qui dominoit aux cieux
Lorsque tu vis le jour ! Mars te fit généreux,
»Et Mercure t’offrit sa plus douce éloquence.

»Pallas te fit présent de cette grand’prudence
»Qui en tes actions te rend si vertueux ;
»Minerve te donna le désir curieux
»D’avoir de tous les arts parfaicte intelligence.

»Ô favorable aspect ! O bening ascendant,
»Qui, lorsque tu naissois, alloit comme influant
»Mesmes perfection à ta noble famille !

»Tu vois ton docte fils, ce généreux Clinchamp,
»Lequel à tes valeurs heureux va succédant,
»Faisant renaistre en lui ta doctrine fertile. » 

(extrait des Oeuvres poétiques de Courval-Sonnet publiées par Prosper Blanchemain, disponibles ici sur Gallica BnF).

On attribue également à Thomas Sonnet les « Satyres contre les abus et désordres de la France » « plus est adjoutés Les exercices de ce temps d’une très belle & gentille invention » publié en 1627 à Rouen chez Guillaume de la Haye, tenant boutique en l’Estre nostre Dame, (disponible ici sur Gallica BnF). «Les Exercices de ce temps comprennent douze satires d’étendue inégale, intitulées : Le Bal, La Mortification, La Foire de village, Le Pèlerinage, La Pourmenade, Le Cousinage, Lucine, L’Affligé, Le Débauché, L’Ignorant, Le Gentilhomme, et Le Poète. Cette réunion de poésies libres rappelle à s’y méprendre le ton général du Parnasse, du Cabinet et de l’Espadon satirique. On pourrait, en outre, y signaler des passages nombreux et importants,qui paraissent calqués sur certaines satires de Régnier, ou même du poète rouennais Auvray…» (M. de Robillard de Beaurepaire). 

Sonnet n’était pas seulement poète, il était aussi médecin. C’est la raison pour laquelle il a publié « Les tromperies des charlatans découvertes par le Sieur de Courval » un opuscule de 16 pages publié en 1619, disponible ici sur Gallica BnF)  Il en appelle, dans deux tercets conclusifs à une police bien réglée contre les charlatans et notamment dans le domaine médical :

«Car si aux autres arts, le moindre erreur commis 
Ne doit estre d’aucun tolleré ni permis,
Beaucoup moins le doit-il, en l’art de Médecine

Dont la moindre faute apporte une ruine,
Qu’on ne peut nullement remettre ou réparer,
Et faire que la vie on puisse restaurer. »

En conclusion de ces tromperies, il met en garde contre ces charlatans aux « parolles succrées & affecté jargon, recouvert de belle apparence, tout ainsi que la fausse Monnoye, dont la monstre est fort belle, & l’usage de nulle valeur. » Était-ce un aveu de sa part du peu de valeur qu’il donnait à ses propres écrits? À chacun d’en juger mais il est certain que Thomas Sonnet, Sieur de Courval est à ranger parmi ces auteurs dont les ouvrages dorment plus volontiers dans l’ombre des rayonnages obscurs des bibliothèques que sous les projecteurs médiatiques. Il est sans doute également une illustration du fait que l’humour d’une époque ne peut plus être compris dans les siècles qui suivent car l’échelle des valeurs change et le respect porté à autrui progresse. De ce point de vue son regard peut encore nous apporter pour aujourd’hui…  Fait-il pour autant partie des écrivains oubliés parce-que simples et modestes? Fait-il partie de ceux que le Cardinal de Bernis  évoque dans une célèbre allégorie?

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(in Oeuvres complettes de M. le Cardinal de Bernis, Avignon, 1811, disponible sur Gallica BnF).

Une seule chose est à peu près certaine: si Thomas Sonnet Sieur de Courval peut encore figurer aujourd’hui dans une « Histoire du Sonnet », en tant que genre littéraire, c’est d’abord dans une optique purement décalée et humoristique…

Pour en savoir plus….

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Notice de quatre pages consacrée à Thomas Sonnet dans « Poètes Normands » publié sous la direction de Louis-Henri Baratte (disponible ici sur Gallica BnF)

Edition complète des oeuvres de Sonnet-Courval par Prosper Blanchemain (tome 1 comprenant une notice sur la vie de Thomas Sonnet) Google-Books

Satyre contre les charlatans et pseudomédecins empyriques . En laquelle sont amplement descouvertes les ruses & tromperies de tous thériacleurs, alchimistes, chimistes, paracelsistes, distillateurs, extracteurs de quintescences, fondeurs d’or potable, maistres de l’élixir, etc… Comportant un portrait gravé de Thomas Sonnet. Imprimé A Paris, chez Jean Millot en 1610 (disponible sur Gallica BnF)

Notice de la BnF sur Thomas Sonnet Sieur de Courval (1577-1627).

[Quadricentenaire] 28 Décembre 1619 Naissance d’Antoine Furetière

Antoine Furetière est né, il y a exactement quatre-cents ans le 28 Décembre 1619 de la veuve d’un apothicaire, remariée avec le clerc d’un conseiller.

Tallemant-des-Réaux relate une anecdote qui serait à la source de la vocation future d’Antoine Furetière… Ce dernier alors qu’il était un jeune enfant, demandait de l’argent à son père pour s’acheter un livre… Au lieu céder à son désir, son père lui aurait demandé s’il avait déjà appris et s’il connaissait par cœur le dernier livre qu’il lui avait offert. Or ce livre était un dictionnaire… On peut en déduire que ce « clerc de conseiller » n’était donc pas un grand lettré, mais on peut aussi y voir une des raisons du destin de lexicographe auquel s’est voué (jusqu’à risquer la disgrâce) Antoine Furetière…

Il fit preuve très tôt d’une vive curiosité intellectuelle en étudiant le droit et les langues orientales puis il acheta une charge de procureur fiscal qu’il revendit pour devenir ecclésiastique. On connaît mal sa biographie car, souligne Francis Wey in Antoine Furetière, sa vie, ses œuvres, ses démêlés avec l’Académie Française in « Revue contemporaine » de Juin 1852 (disponible sur Gallica BnF): « La vie de ce malheureux écrivain n’a été publiée que par ses adversaires, et lorsqu’il était hors d’état de se défendre ; de sorte qu’il est difficile de réédifier cette biographie à l’aide de documents contradictoires. Bayle est à peu près muet lui-même sur ce qui concerne ce sujet obscur. Quoiqu’il en soit, Furetière fut pourvu de l’abbaye de Chalivoy, au diocèse de Bourges. Dès lors il se consacra presque exclusivement aux lettres»

Tallemant-des-Réaux le dépeint comme un être modeste : « Il ne louait jamais les autres ; mais aussi ne paraissait pas entêté de ses ouvrages. Ses manières n’étaient ni douces, ni arrogantes. » et Francis Wey qui cite ce portrait en conclut : « Ce n’est point là le portrait d’un homme d’intrigues ni un courtisan ; mais plutôt un philosophe bourru, se résignant à se suffire. »

Comme de nombreux lettrés de son époque, il a commencé à écrire à partir du latin. On peut trouver sous sa plume une Aeneide travestie, d’après Virgile publiée en 1649 (disponible ici sur Gallica BnF).

Furetière a d’abord été poète (son premier recueil de poésie a été publié en 1655). Francis Wey décrit dans les termes suivant son activité de poète « Ainsi que la plupart des auteurs de son temps, Furetière eut la prétention de joûter à toutes les armes ; en d’autres termes, de se signaler dans tous les genres de poésie […] Satire, épigrammes, stances, madrigaux, épitaphes, chansons, énigmes, épitres, sonnets, élégies, Furetière a subi toutes les épreuves, et il a honnêtement réussi dans divers exercices. »

On sait par ses vers qu’il avait été amoureux d’une femme qui avait épousé quelqu’un d’autre :

« Si vous m’aimez encor ce m’est assez de gloire,

« De pouvoir quelquefois vivre en votre mémoire :

« Si dans quelque moment de votre heureux loisir

« Vous prononcez mon nom en jetant un soupir ;

« Et je suis heureux, si dans votre retraite

« Quelque reste d’amour me plaint et me regrette. »

Ses poésies ont eu un certain succès puisqu’elles ont fait l’objet de quatre éditions, mais elles ont été ensuite bien oubliées. On peut trouver une édition de ces Poésies diverses du Sieur Furetière imprimées en 1659 (disponible sur Gallica BnF).

Il a ensuite publié « La Nouvelle allégorique » (disponible sur Gallica BnF),

Furetière décrit dans cet ouvrage une amusante bataille de rhétorique autour de la «Forteresse Académie»: « La Sérenissime Princesse R H E T O RIQ V E regnoit pacifiquemnt depuis plusieurs siecles ,& son gouvernement étoit sï doux qu’on luy obeissoit sans contrainte… »

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Académie « Conseil Souverain de la Sérénissime Princesse Rhétorique » (extrait de la Nouvelle Allégorique par Antoine Furetière (document Gallica BnF).

Un poème satirique : «Le Voyage de Mercure »

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(disponible sur Gallica BnF) .

Antoine Furetière a également publié un recueil de « Fables morales » (disponible sur Gallica BnF) dans lequel, précise Francis Wey, il se livre à un éloge de Jean de La Fontaine : « Certes, il n’y a personne qui ait fait, aux Fables des anciens, tant d’honneur que monsieur de La Fontaine, par la nouvelle et excellente traduction qu’il en a faite : dont le style naïf et marotique est tout à fait inimitable, et joute de grandes beautés aux originaux. La France lui doit encore cette obligation, d’avoir non-seulement choisi les meilleures fables d’OEsope et de Phèdre, mais encore d’avoir recueilli celles qui étaient éparses.» (Les épisodes ultérieurs de la vie de Furetière et notamment sa querelle avec l’Académie à la suite de son projet de dictionnaire feront qu’il finira par se fâcher avec Jean de La Fontaine).

Dans ses fables Furetière prend notamment la défense des pauvres infortunés contre les riches et les puissants :

Les Mouches et le Cheval. 

Cent mouches s’étoient attachées 

Sur un bidet infortuné, 

Qui maigre, sec et décharné 

N’avait point de côtes cachées. 

Il s’en plaignait fort dolemment, 

Et leur disoit : — Mesdemoiselles, 

Pourquoi m’ètes-vous si cruelles, 

De me sucer incessamment? 

Loin de vivre aux dépens d’une méchante rosse, 

Vous auriez mieux dîné si vous aviez mordu 

Ces chevaux potelés qui parent un carrosse, 

Et qui souvent meurent de gras-fondu. 

— Ah! répond une fine mouche, 

Ces harnois de toutes façons, 

Ces grands crins, ces caparaçons, 

Ne permettent pas qu’on les touche. 

Pour vivre donc en sûreté,

Il faut, lorsque la faim nous presse, 

Nous ruer sur la pauvreté, 

Et lui sucer le peu qu’elle a de graisse. 

Ainsi par les sergens est le peuple mangé, 

Tandis qu’en sa maison ils trouvent de quoi prendre: 

Mais le riche en est déchargé 

Parce qu’il sait bien s’en défendre. »

Il a enfin publié en 1666 un « Roman bourgeois » (disponible sur Gallica BnF) dont Francis Wey écrit :

« Pour résumer, le Roman bourgeois n’est, à proprement parler, ni une histoire suivie, ni un récit d’étranges aventures, ni la peinture d’une passion. […] Mais ce livre est un fort curieux monument des usages, des coutumes, des habitudes, du langage et du genre de vie des bourgeois de Paris au milieu du XVIIe siècle. Pour l’écrivain, pour l’auteur comique et le philologue, c’est un document des plus rares et des plus complets. »

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En 1662 Antoine Furetière est élu à l’Académie Française et il se passionne pour le travail de lexicographe à un tel point qu’il décide de publier son propre dictionnaire. Il publie en 1684 un premier fragment du dictionnaire qui allait causer le début d’un long conflit (porté devant les tribunaux) entre l’Académie Française et lui. Le titre de ce dictionnaire est à lui seul le programme d’un formidable labeur à venir :

« ESSAIS D’UN DICTIONNAIRE UNIVERSEL, CONTENANT GÉNÉRALEMENT TOUS LES MOTS FRANÇOIS, TANT VIEUX QUE MODERNES, et les termes de toutes les sciences et des arts, SÇAVOIR :

« La philosophie, logique et physique;

» La médecine ou anatomie, pathologie, thérapeutique, chirurgie,
» pharmacopée, chimie, botanique, ou l’histoire naturelle des plan-
» tes, et celle des animaux, minéraux, métaux et pierreries, et les
» noms des drogues artificielles;

» La jurisprudence civile et canonique, féodale et municipale, et
» surtout celle des ordonnances;

» Les mathématiques, la géométrie, l’arithmétique et l’algèbre;

» La trigonométrie, géodésie, ou l’arpentage, et les sections coniques;

» L’astronomie, l’astrologie, la gnomonique, la géographie;

» La musique, tant en théorie qu’en pratique, les instruments à vent et à cordes;

» L’optique, catoptrique, dioptrique et perspective ;
» L’architecture civile et militaire, la pyrotechnie, tactique et statique ;

» Les arts, la rhétorique, la poésie, la grammaire, la peinture, la sculpture, etc.

» La marine, le manège, l’art de faire des armes, le blason, la vénerie, fauconnerie, pesche, l’agriculture ou maison rustique, et la plupart des arts méchaniques ;

» Plusieurs termes de relations d’Orient :et d’Occident, la qualité
» des poids, mesures et monnoyes;

» Les étimologies des mots, l’invention des choses, et l’origine de
» plusieurs proverbes, et leurs relations avec ceux des autres langues;

» Et enfin, les noms des auteurs qui ont traité des matières qui re-
» gardent les mots, expliqués avec quelques histoires, curiosités naturelles, et sentences morales qui seront rapportées pour donner des
» exemples de phrases et de constructions.

» Le tout extrait des plus excellents auteurs anciens et modernes.

» RECUEILLI ET COMPILÉ

» Par Messire ANTOINE FURETIÈRE, abbé de Chalivoy, de l’Académie françoise. »

L’Académie Française mise en face de ce projet décide (par la voix de ses treize plus virulents défenseurs) d’interdire à Furetière de publier son dictionnaire en prétextant que cette compagnie était la seule à avoir le privilège de publier un tel dictionnaire.

« A quoi l’abbé [Furetière] répond qu’il lui a été impossible de faire prévaloir ses doctrines, et d’amener ses confrères à adopter le plan conçu par lui. Ces messieurs, restreignant la liste des mots aux termes usités dans les poemes, les tragédies et la haute éloquence, avaient systématiquement écarté les mots trop vieux et les mots trop jeunes, les termes relatifs aux arts, aux sciences, aux divers métiers ; en outre, ils n’admettaient ni citations d’auteurs, ni étymologies. Vainement, avait-il essayé de glisser quelques mots essentiels ou de présenter certaines acceptions peu connues des vocables admis : sa voix avait été couverte par de bruyantes imprécations, il avait eu une foule de querelles et avait été accablé d’injures pour les moindres corrections proposées. » (Francis Wey).

La confection de ce dictionnaire dut occasionner à Antoine Furetière un travail considérable et inlassable. Un signe qui ne trompe pas invite à le penser. À l’occasion de la définition du mot «Monstrueux» il évoque précisément ce travail de fabrication d’un dictionnaire:

«MONSTRUEUX, se dit figurément en Morale. C’est un travail monstrueux de vouloir entreprendre d’achever un Dictionnaire. Cet homme a une vivacité d’esprit, une memoire monstrueuse, prodigieuse.»

La tentative d’Antoine Furetière eut toutefois un certain succès car elle avait permis de passer outre à la lenteur que l’Académie mettait à constituer son dictionnaire. Antoine Furetière en agissant ainsi répondait aux critiques que les contemporains adressaient au dictionnaire de l’Académie à l’instar de Gilles Ménage qui écrivait :

« Or, nos chers maîtres du langage,

» Vous savez qu’on ne fixe point 

» Les langues en un même point 

……………………………………….

» Nous joignons à cette raison

» Que toujours vostre critique 

» Décriant quelque mot antique 

» Et des meilleurs et des plus beaux, 

» Sans qu’elle en fasse de nouveaux, 

» On seroit, ô malheur insigne! 

» Réduit à se parler par signes »

Antoine Furetière raconte qu’ « après avoir, pendant trois vacations, fait la définition du mot oreille, on en employa deux autres à la corriger, et l’on trouva à la fin que l’oreille est l’organe de l’ouïe. Cette définition coûte deux cents francs au roi. Richelet et Monet l’avaient fournie à meilleur marché dans les mêmes termes. Quelque temps auparavant, on avait discuté cinq semaines pour savoir si la lettre A était une voyelle ou un substantif; si bien que l’une des lumières de l’Académie, Patru, scandalisé d’une telle perte de temps, s’absenta dès lors des séances. »

Face aux lentes délibérations de l’Académie Française, Furetière s’est donc efforcé de faire sentir cette vérité, qu’un seul homme érudit est plus apte à faire un dictionnaire qu’une compagnie se rangeant à l’avis d’une majorité de gens dénués d’érudition » (Francis Wey).

Le 22 Janvier 1685, les treize académiciens les plus hostiles à Antoine Furetière prononcèrent son exclusion de l’académie. À la suite de cette exclusion, les esprits se divisèrent en satires virulentes, et nombreux furent les partisans de Furetière. En témoigne par exemple cette satire s’adressant à Racine :

« L’Académie ayant frustré Ménage
» De l’espoir d’ètre de son corps
» Parce que son savoir lui donnait de l’ombrage,
» A fait ensuite ses efforts
» Pour en chasser l’auteur d’un beau Dictionnaire :
» Racine, prenez garde à vous !
» Vous haranguez si bien, au jugement de tous,
» Qu’on ne vous y verra plus guère…
»

Antoine Furetière se défendit par la diffusion de trois « factum » d’une argumentation virulente et féroce contre l’académie. Il alla sans doute trop loin dans son attaque et commis une faute. On les trouve édité en deux tomes dans les collections Gallica BnF)

Antoine Furetière Factum Tome I (document Gallica BnF)

Antoine Furetière Factum Tome 2 (document Gallica BnF) 

« Cette faute emporta sa peine : bien que l’abbé eût raison, bien qu’on l’eût calomnié, Louis XIV, doué d’un excellent esprit, le laissa mourir (1688) sans lui rendre justice, car Furetière avait amené les choses à un tel point, qu’il avait placé ce prince dans le dilemme fâcheux de sacrifier complètement, ou l’Académie dont il était le protecteur, ou Furetière. Le roi se contenta de ne point permettre que le banni fut remplacé de son vivant; mais il ne condescendit point, en rendant à Furetière son privilège, à autoriser de son nom les diatribes de cet écrivain. C’est ainsi qu’il fut puni à son tour. » (Francis Wey).

La postérité donna toutefois raison à Antoine Furetière et son Dictionnaire fut un succès de librairie lors de son édition de 1690.

Antoine Furetière Dictionnaire Universel  (édition 1690)Tome 1 (document Gallica BnF) 

Antoine Furetière Dictionnaire Universel (édition 1690) Tome 2 (document Gallica BnF) 

 

Antoine Furetière eut également un autre succès posthume important avec un ouvrage publié anonymement mais qu’on lui attribue généralement. Il s’agit des «Essais de lettres familières sur toutes sortes de sujets, avec un discours sur l’art épistolaire et quelques remarques nouvelles sur la langue françoise, oeuvre posthume de Monsieur l’abé***, de l’Académie françoise» (disponible sur Gallica BnF).

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Document Gallica BnF

Cet article a été rédigé en grande partie grâce à l’article de Francis Wey, Antoine Furetière, sa vie, ses œuvres, ses démêlés avec l’Académie Française in « Revue contemporaine » de Juin 1852 (disponible sur Gallica BnF).

Liens à consulter pour en savoir plus:

Notice sur Antoine Furetière sur Data.BnF.fr (cliquez ici)

Vous trouverez sur le site internet de la Bibliothèque Nationale de France (BnF) une bibliographie très complète consacrée à Antoine Furetière (cliquez ici).

Notice présentant Antoine Furetière sur le site de l’Académie Française (cliquez ici).

Site internet « Furetière.eu » consacré entièrement au Dictionnaire Universel de Furetière (édition de 1690), très pratique pour son moteur de recherche (cliquez ici).

Développement consacrés à Furetière dans  Histoire de la littérature française illustrée. Tome 1 / publiée sous la direction de MM. Joseph Bédier,… et Paul Hazard, (document Gallica BnF cliquez ici).

Si vous avez pris plaisir à la lecture de ces lignes, peut-être serez-vous également intéressés par mes livres (cliquez ici) ou par les ateliers d’écriture que j’anime (cliquez là).

Dans la presse il y a cent ans: « Flaubert écrivait mal »

Le 12 Décembre 1821 naissait Gustave Flaubert. Dans deux ans jour pour jour nous fêterons donc son bicentenaire. Aujourd’hui nous ne fêtons que son 198e anniversaire… Comment le fêter dignement ? Pourquoi ne pas s’inspirer de nos ancêtres d’il y a cent ans? Comment les littérateurs d’il y a un siècle avaient fêté les 98 ans de Flaubert, 39 ans après sa mort ? Avec respect ou indifférence?

Ni l’un ni l’autre, il y a cent ans cet anniversaire avait été cause d’une belle explosion de zizanie autour de l’écriture et du style de Gustave Flaubert… L’été 1919 était le premier été de paix après quatre ans de batailles de tranchées, mais malgré la paix retrouvée deux hommes de lettres avaient décidé de batailler ferme au sujet de la « pureté de la langue » de l’écrivain rouennais…

Les deux protagonistes de cette affaire étaient Paul Souday (1869-1929) et Louis de Robert (1871-1937). En Août et Septembre 1919 ils s’étaient affrontés par journaux interposés au sujet du style de l’auteur de Madame Bovary. Flaubert écrivait mal assurait Louis de Robert. « Non c’est faux, c’est vous qui êtes une espèce de cacographe ! » lui répliquait Paul Souday…

Qui était Paul Souday ? (on trouvera son portrait, brossé par Maurice Martin du Gard, dans Les Nouvelles Littéraires du 13 Juillet 1929 (cliquez ici). Né au Havre le 20 Août 1869, il avait exercé le travail de critique littéraire auprès de plusieurs journaux et revues. Depuis 1892, il était chroniqueur littéraire au journal « Le Temps ».

Louis de Robert (photo Wikipedia)

Son adversaire, de deux ans son cadet : Louis de Robert était né le 5 Mars 1871 à Paris. Il avait déjà connu la gloire d’un romancier à succès. En 1919, il avait déjà publié plus d’une dizaine de romans. Son livre le plus célèbre « Le Roman du malade » est d’abord paru en feuilleton dans « Le Figaro » et ensuite aux Éditions Fasquelle où il avait été distingué par le prestigieux « Prix Fémina » de l’année 1911. En août 1919, fort de sa notoriété, Louis de Robert avait publié dans la revue « La Rose rouge » un article au titre retentissant : « Flaubert écrivait mal ».

Outré par tant d’audace, le 29 Août 1919, Paul Souday riposte en première page du journal Le Temps sous le titre « Flaubert savait-il écrire ? »

Il y détaille la liste des « fautes » relevées par Louis de Robert puis démontre que ces prétendues erreurs n’étaient pas des fautes de grammaire mais le signe du talent littéraire de Flaubert. Enfin il conclut avec assurance en imaginant sans doute avoir mis définitivement son contradicteur à terre : «Moralité. Consulter le Littré et les manuels de grammaires ou de rhétorique, qui mentionnent l’existence de divers tropes et la légitimité des tournures un peu libres, avant d’accuser un maître de ne pas savoir écrire. Ce n’est pas de pareilles vétilles et de pareilles chicanes que dépend la qualité d’une langue ou d’un style. Nous avons aujourd’hui des puristes improvisés dont les scrupules portent à faux et sont presque aussi nuisibles que les excès des cacographes. L’article de Louis de Robert est, dans son genre, un symptôme frappant de la crise du français.»

Louis de Robert ne s’avoua cependant pas battu et répliqua par une lettre qui fut publiée en première page du journal Le Temps le 5 Septembre 1919 (en dessous et à côté d’un article sur « L’insociabilité des chauffeurs de taxi parisiens »). Paul Souday apporta sa réponse (sous les initiales P.S.)

 

Albert Thibaudet avait repris plus tard cette querelle au sujet de Flaubert notamment dans l’ouvrage qu’il a consacré à Gustave Flaubert en 1922 (disponible ici dans les collections numériques de Gallica).

Ce «Flaubert écrivait mal» est une formule suffisamment percutante pour certainement figurer dans mon futur roman en cours d’écriture…

En attendant ce futur roman, vous serez peut-être intéressés par la lecture de mon « polar décalé » paru en 2012: « Le Mystère du Pont Gustave-Flaubert » (cliquez ici).

 

 

2 Octobre 1619 Naissance de Tallemant-des-Réaux

 

Illustration; © Sylvain Sauvage (1924) extraite  de »Les Belles Dames de Paris »

Gédéon Tallemant des Réaux (1619-1692) est un nom que l’on voit souvent apparaître lorsqu’on s’intéresse au XVIIe siècle. Il devient familier sans que l’on ne sache exactement expliquer pourquoi, ni qui se cache derrière ce nom vaguement évocateur d’une certaine atmosphère, d’un milieu, d’un climat… Évocateur de quoi au juste ? Nous allons tenter d’évoquer cette question en vagabondant dans les riches et passionnantes collections numériques de Gallica BnF mais aussi dans celles de Numelyo, de la Bibliothèque Municipale de Lyon…

Ainsi, par exemple, on constate que le nom de Tallemant des Réaux  et sa prose, sont abondamment cités dans presque toutes les notes en bas de pages des œuvres complètes de Vincent Voiture (1597-1648)… Notamment dans cette belle édition publiée en 1853, en deux volumes chez Charpentier Libraire Éditeur

Tome 1 des Oeuvres de Vincent Voiture, disponible ici chez Gallica BnF

Tome 2 des Oeuvres de Vincent Voiture disponible ici chez Gallica BnF 

Pourquoi cette présence de Gédéon Tallemant des Réaux sous les œuvres de Vincent Voiture ? Serait-ce parce-qu’il aurait écrit un livre consacré à ce singulier personnage ? Non. À sa mort (le 10 novembre 1692) Gédéon n’était l’auteur d’aucun livre publié…

Il est né le 2 Octobre 1619 à La Rochelle.

Hôtel de Ville de La Rochelle (1606) par Rochebrune (document Gallica BnF)

En ce mois d’Octobre 2019 nous fêtons donc son quatre-centième anniversaire, une occasion rêvée pour évoquer sa vie et son œuvre. Car même s’il n’avait rien publié de son vivant, ses contemporains le connaissaient et appréciaient ses poésies pour la plupart aujourd’hui perdues. Certaines ont toutefois survécues (par exemple « Le Lys » dans le recueil « La Guirlande de Julie » disponible sur Gallica BnF ici).

Gédéon Tallemant des Réaux n’avait jamais eu besoin de travailler pour gagner sa vie. Né dans un milieu privilégié, Gédéon est le fils d’un banquier protestant de la Rochelle: Pierre Tallemant. Celui-ci s’était installé à Paris en 1634, dans un Hôtel particulier de la rue des Petits Champs, avec toute sa famille. Gédéon eut donc une jeunesse dorée de fils de bonne famille, ambitieux et artiste.. Avant même d’être officiellement anobli, il avait adjoint à son patronyme le nom de Des Réaux (qui était celui d’une terre située en Bourbonnais, non loin de Montluçon), une propriété que Gédéon a vendu en 1653 après avoir acheté un Château près de Chinon auquel il avait donné le nom de Château des Réaux..

Sa famille avait fait fortune dans la banque et le commerce mais Gédéon Tallemant Des Réaux se passionnait d’abord pour la littérature. Il se plongeait avec plaisir dans la lecture des romans à la mode : L’Amadis des Gaules, L’Astrée

À l’âge de dix-huit ans, on offre la possibilité à ce grand lecteur de s’évader de ses livres pour faire du tourisme en compagnie d’un de ses cousins et de l’abbé de Retz. Ils visitent Avignon, Aix en Provence, Marseille, Florence, Venise, puis Rome. C’est à Rome qu’il fit connaissance de Vincent Voiture qui allait devenir l’un de ses meilleurs amis… Tallemant des Réaux aurait sans doute aimé écrire un commentaire, un ouvrage à son sujet. Il n’a pas été jusqu’au bout de son envie. Certes il écrivait… Son travail n’a cependant pas été inutile puisque des commentaires signés par Gédéon Tallemant des Réaux enrichissent désormais les éditions des oeuvres de son ami Vincent Voiture…

Après son voyage en Italie, Gédéon Tallemant des Réaux fait des études de droit, puis en janvier 1646, il épouse sa cousine Elisabeth de Rambouillet (qui était alors âgée de treize ans)… Grâce à ce mariage Gédéon acquiert une fortune qui lui permettra de ne plus jamais avoir à travailler pour vivre.

Ce mariage l’introduit également dans le cercle du Salon de l’Hôtel de Rambouillet, il y rencontrera de nombreuses personnalités qui comptent à l’époque intellectuels, écrivains, philosophes… Il y croise notamment Malherbe, Rotrou, Corneille, Conrart… et à nouveau Vincent Voiture, et bien d’autres encore… Cette fréquentation de l’Hôtel de Rambouillet est également l’occasion pour Gédéon Tallemant des Réaux de prendre une foule de notes, dans ses carnets, sur les personnages qu’il rencontrait, sur les conversations auxquelles il a participé… Il a travaillé sur ce manuscrit jusqu’en 1659… Ses notes écrites ont ensuite dormi, ignorées, inconnues, dans diverses bibliothèques…

Retrouvé dans les années 1830, ce manuscrit fut publié en 1834 par quelques érudits: messieurs Monmerqué, de Châteaugiron et Taschereau, sous le titre « Historiettes pour servir à l’histoire du XVIIe siècle publiées sur le manuscrit inédit et autographe ».

Un article (paru le 18 décembre 1833, au sujet de cette édition), dans Le Figaro, nous renseigne sur la façon dont elle a été reçue. C’est d’abord le parfum de scandale de ces « indiscrétions » parfois irrévérencieuses sur les grands de ce monde qui a frappé les premiers lecteurs de ces écrits. « Ces révélations sont piquantes; les Historiettes de Tallemant des Réaux en fourmillent, et son livre n’est qu’un inépuisable recueil d’historiettes. Combien ce livre arrive à propos et de quels noms il se recommande près de cinq cents pages à lire au coin du feu, dans le fauteuil ou au lit. Deux siècles éparpillés comme les images d’un album images de reines et de leurs amours, de chevaliers et de leurs duels, de poètes et de leur misère et tout cela vivant, bien plus vivant que dans l’histoire avec ses réflexions et ses systèmes, plus vivant encore que dans les mémoires purement dits, ces confessions si égoïstes et si pleines de réticences. » intégralité de l’article disponible ici sur Gallica BnF).
Cent ans plus tard, le 22 Décembre 1933 dans L’Européen, Pierre Audiat reprend des termes voisins pour annoncer une nouvelle édition des Historiettes par les Editions Garnier (1933) : « Les anecdotes ont été cueillis sinon à la source, du moins aux alentours immédiats de cette source. Le père de Tallemant était un banquier, et un banquier puissant puisqu’en association avec le financier Rambouillet, il avait le bail des cinq grosses fermes. De plus, il gérait la fortune du Cardinal de Richelieu. Au 17e siècle, les banquiers ressemblaient davantage à des notaires qu’aux directeurs de banque contemporains; ils étaient les confidents, les familiers tout au moins, de leurs clients; c est ainsi que le jeune Tallemant a pu saisir à la volée bien des détails pittoresques qu’aucun historien n’aurait été capable d’attraper. Par sa famille, il pénétrait donc dans le milieu de la riche oourgeoisie parisienne dont quelques types ont été dessinés par lui d’une façon magistrale. Mais par ses goûts, il s’était orienté vers le bel esprit et les belles-lettres. […] Certes, il ne faut pas oublier que les Parisiens ont été de tout temps malicieux et même  — risquons cet anachronisme — « rosses » dans leurs conversations. Pour le plaisir de faire un bon mot, ou de se mettre en valeur, on égratignait le voisin, on colportait des on-dit amusants mais fâcheux sur son compte. Tallemant a tout recueilli et avec d’autant plus d’empressement que le trait était plus piquant. II est donc difficile et même impossible de mesurer la part exacte de réalité que contiennent les anecdotes qu’il se plaît à rassembler, tantôt beaucoup, tantôt un- peu, quelquefois pas du tout. Mais, grâce à lui, nous avons une image fidèle de « ce qui se disait à Paris », vers 1650, et vues sous cet. angle, les Historiettes de Tallemant des Réaux forment un document incomparable, et peut-être unique […] Il prétend s’amuser de tout, plutôt que s’en indigner. II ne manie point le fouet de la satire, comme on disait de son temps; à peine une badine si mince et si légère qu’elle caresse au lieu de cingler. » Et pour conclure son article Pierre Audiat s’amuse et cite le portrait que Tallemant des Réaux dresse de Jean de La Fontaine le célèbre auteur des fables :
«
Un garçon de belles-lettres et qui fait des vers, nommé La Fontaine, est encore un grand rêveur. Son père qui est maître des eaux et forets de Château-Thierry en Champagne, étant à Paris pour un procès, lui dit : « Tiens! Va faire telle chose, cela presse. » La Fontaine sort et n’est pas plus tôt hors du logis qu’il oublie ce que son père lui avait dit. Il rencontre de ses camarades qui lui ayant demandé s’il n’avait point d’affaires : « Non » leur dit-il. et il alla à la Comédie avec eux… » (article intégral à découvrir ici sur le site Gallica BnF)

Une trentaine d’années plus tard, Antoine Adam, en préfaçant, dans les années 1960, Les Historiettes publiées  dans la collection de La Pléiade (en une version comprenant de nombreux passages censurés dans les édition précédentes) corrige l’image de Gédéon Tallemant des Réaux. Il n’est pas l’écrivain à scandale qu’une certaine tradition a fait de lui. Il cherche d’abord à faire œuvre de moraliste utilement, en notant les « travers » des grands dont il parle : « …il veut être utile. Et ce mot suffit à le distinguer des chroniqueurs à scandale. Ce n’est jamais le pittoresque seul qui l’occupe, qu’il soit innocent ou grossier. Il cherche le trait qui révèle les secrets d’un personnage historique. S’il parle de la passion de Richelieu pour la reine Anne et de ses rencontres amoureuses avec Marion, ce n’est pas qu’il trouve drôle de voir un grand homme dans une position ridicule. C’est parce-que Richelieu n’était pas cette figure olympienne que les historiens voulaient faire croire mais un être nerveux et passionné jusqu’au déséquilibre. » Tallemant des Réaux, a fait un véritable travail d’histoirien, en croisant plusieurs sources (orales, manuscrites et publiées, souvenirs et témoignages) explique Antoine Adam. Celui-ci invite à lire « les Historiettes sous un jour nouveau. Renonçons décidément à la vieille image que nous en avons eu jusqu’ici. Ne disons plus que Tallemant les a écrites en recueillant les propos de quelques personnages plus ou moins bien renseignés. La vérité, c’est qu’il a conçu son entreprise en véritable historien, et qu’il a réuni, à la fois, les témoignages verbaux, les textes imprimés et les mémoires manuscrits, sans négliger aucun des moyens d’informations dont il pouvait disposer. »

On peut parcourir les « Historiettes » en suivant plusieurs fils de lecture. La galerie de personnages présentés est riche, foisonnante. L’abondance des événements relatés l’est aussi. La chronologie s’étend du règne de Henri IV (qui s’est terminé neuf ans avant la naissance de Gédéon Tallemant-des-Réaux) jusqu’aux débuts du règne de Louis XIV. Le regard de Gédéon Tallemant-des-Réaux est singulier, libre, incisif, indiscret parfois, irrespectueux par moments. Mais ce qui est précieux dans ces écrits c’est l’impression qu’ils donnent d’être presque des témoignage oraux sur la société aristocratique de cette époque. Une société où règne un état d’esprit de liberté de ton, d’intérêt pour la littérature et la poésie, les relations de séduction où se mêlent urbanité et trivialité. La société qui est peinte est celle d’un milieu privilégié de parisiens, intellectuels, aristocrates, hauts-fonctionnaires, souverains mêmes.


On peut y suivre l’existence de femmes aux charmes troublants, de la Reine Margot à Marion de Lorme en passant par Marie de Médicis et Anne d’Autriche

On peut aussi y découvrir dans les méandres de l’histoire politiques des personnages obscurs et oubliés. En traversant ces textes animés comme une conversation de salon, on les voit vivre, séduire, pleurer ou rire, se battre, danser, dormir, manger, gagner ou perdre…

Tallemant des Réaux consacre plusieurs pages au Maréchal Louis de Marillac dont la fin fut tragique à la suite de la « journée des dupes » (11 novembre 1630). Il en parle en évoquant le Cardinal Richelieu et il lui consacre (sous le titre « Le Maréchal Marillac« ) une de ses Historiettes (cliquez ici) . Le procès intenté au Maréchal Louis de Marillac fait l’objet de développements remplis de suspense et de rebondissements. Avec le talent d’un Alexandre Dumas il n’est pas douteux que l’on pourrait tirer de cette affaire un épisode supplémentaire des aventures de d’Artagnan, Athos, Porthos et Aramis… Il est à noter que l’on trouve dans Tallemant des Réaux quelques notations qui ont contribué à faire naître les trois mousquetaires (par exemple dans cette anecdote. Le roi avait écrit une musique et voulait que le poète Boisrobert écrive des paroles sur cet air… À la lecture d’une première rédaction des paroles, Louis XIII était insatisfait car le poète avait mis le mot « désir ». Le roi n’en voulait pas. Boisrobert consulte alors Richelieu. Ce denier lui réplique: «O! devinez ce qu’il faut faire: ayons la liste des mousquetaires.» Il y avait des noms béarnais du pays de Tréville qui estoient des noms à tuer les chiens; Boisrobert en fit une chansons; Le Roy la trouva admirable…»).

À défaut d’écrire un roman de cape et d’épée, rempli de « noms à tuer les chiens », essayons d’exposer, en la simplifiant, cette affaire du Maréchal Louis de Marillac … Tallemant des Réaux nous y fait découvrir (par une brève allusion) l’ascension sociale d’un magistrat de province (un homme de l’ombre énigmatique sur lequel je me permets dans cet article de braquer les projecteurs). En 1630, Louis XIII (fils d’Henri IV et Marie de Médicis) est âgé d’une trentaine d’années. Il est marié à Anne d’Autriche, fille du Roi d’Espagne, depuis une quinzaine d’années. Richelieu est alors le personnage le plus influent du royaume depuis 1624 et dans les faits c’est lui qui gouverne la France et qui mène sa diplomatie. Mais sa politique ne plaisait pas à tout le monde. À la suite des guerres d’Italie, (pendant lesquelles le Maréchal Marillac s’était distingué par une singulière vaillance), la diplomatie du Cardinal de Richelieu aboutit à un rapprochement avec les princes protestants d’Allemagne et par le risque d’une guerre contre l’Espagne (patrie de la reine d’Autriche). Marie de Médicis et Anne d’Autriche essaient alors de manigancer des intrigues parmi les grands du royaume pour faire tomber le Cardinal Richelieu (avec l’aide de Mazarin, du Chancelier Marillac et de son frère le vaillant Mareschal Louis de Marillac). Tout le monde s’imagine que le Roi Louis XIII va céder aux pressions des deux reines et renvoyer le Cardinal.

La disgrâce du Cardinal Richelieu semble certaine. Mais le 11 Novembre 1630, coup de théâtre, à la suite d’une habile négociation menée par le Marquis de Rambouillet, Louis XIII change d’avis, confirme le pouvoir du Cardinal Richelieu et lui renouvelle toute sa confiance. L’Histoire a retenu cette journée comme étant la « journée des dupes ». Le Chancelier Marillac et son frère sont arrêtés. On intente un « procès pour l’exemple » contre le Mareschal Marillac emprisonné d’abord à Verdun, puis (nous précise Tallemant des Réaux) à Rueil « dans la maison même du Cardinal ». On réunit de manière expéditive plusieurs Conseillers de Parlement (magistrats de l’époque) pour condamner ce brillant militaire, soutien de Marie de Médicis. Cela n’allait pas être facile car le Maréchal de Marillac savait manier ses pions pour se rendre indispensable. Il s’était marié avec une Médicis cousine de Marie de Médicis. Il avait en outre le soutien d’Anne d’Autriche. C’était un homme redoutable qui avait tout d’un héros de roman « Il était grand, bien fait, robuste et adroit à toutes sortes d’exercices. » Il avait une réputation d’être invincible […] On disoit qu’à Rouen, ayant pris querelle à la paume [au jeu de paume], avec un nommé Caboche, et ayant été séparés, il le rencontra après, et le tua avant que l’autre ait pu mettre l’épée à la main. » Le Cardinal de Richelieu le redoutait et l’appelait « Marillac l’épée ».

C’est alors qu’intervient notre magistrat de province et habile juriste qui allait faire basculer toute l’affaire…

Le conseiller Antoine Bretagne du Parlement de Dijon (c’est de lui dont il s’agit) avait été chargé de mener l’instruction contre Marillac et il allait parvenir à ses fins après moult péripéties d’un procès hautement politique. Ce conseiller du Parlement de Dijon était un juge redoutable. Les charges que l’on était parvenu à réunir contre Marillac ne méritaient sans doute pas plus qu’une peine de prison. On parvint néanmoins à le condamner à mort explique Tallemant-des-Réaux « sur des ordres de tirer tant et tant de certains villages du Verdunois pour les exempter de gens de guerre, et l’on disoit qu’il avoit employé cet argent à bastir la citadelle de Verdun ». Autrement dit on accusait le Maréchal Louis de Marillac de s’être enrichi sur le dos des villageois des environs de Verdun pour construire une citadelle (un ouvrage de commandement militaire qui n’était pourtant pas un bien somptuaire érigé à son seul profit, on est loin des « villas avec piscine » des « huiles corrompues » d’aujourd’hui). Le 10 Mai 1632 en montant sur l’échafaud, le Maréchal de Marillac ne parvenait pas à comprendre ce qui lui arrivait : « C’est une chose étrange qu’on m’ait poursuivi comme on l’a fait. Il ne s’agit dans mon procès que de foin, de paille, de bois, de pierre et de chaux. » Le Cardinal Richelieu de son côté félicitait les juges qui étaient parvenu à mener une procédure aussi répressive : «Messieurs, il faut avouer que Dieu donne des connaissances aux juges qu’il ne donne pas aux autres hommes ; je ne croyais pas qu’il méritât le mort. » Antoine Bretagne auteur de ce succès
juridico-politique se voyait quant à lui récompensé par Louis XIII qui le nomma Premier Président du Parlement de Metz, nouvellement créé en janvier 1633.

Ce fut le début d’une belle ascension sociale pour cette famille de magistrats (c’est Le Dictionnaire des familles françaises anciennes ou notables à la fin du XIXe siècle. qui nous l’apprend). Antoine Bretagne devint en 1637 Premier Président du Parlement de Dijon et Baron de Loisy, tandis que son fils Claude lui succédait comme Premier Président du Parlement de Metz…

Le sévère Premier Président du Parlement de Dijon allait-il poursuivre son ascension vers des fonctions plus brillantes encore ? Par exemple irait-il siéger au prestigieux Parlement de Paris ? Parviendrait-il à accéder au prestigieux Salon de Rambouillet ? Allait-il accéder aux plus prestigieuses charges de la Chancellerie ? Aurait-il l’occasion de fréquenter Vincent Voiture, Gilles Ménage, Racan ou d’autres beaux esprits parisiens? Aurait-il l’audace de soutenir de son bras la pétillante Mademoiselle Des Jardins pour se voir offrir de la part de cette jeune poétesse un madrigal tourné avec grâce et esprit?

"Quoy! Tircis, bien loin de m'abattre
Vous m'empêchez de succomber! 
Quoy! Vous me relevez lorsque je veux tomber, 
Et vous restez des bras pour vous combattre!
Après cette belle action, 
On verra votre nom au Temple de la Mémoire
Et l'on vous nommera le héros de ma gloire, 
Mais aussy le bourreau de vostre passion."

Non. Le destin du Premier Président Antoine Bretagne Baron de Loisy fut brutalement interrompu en 1638 : « On le trouva bruslé ; car un jour estant demeuré seul, il estoit tombé dans le feu, et comme il estoit foible, il ne s’en put tirer » explique Tallemant des Réaux. Hasard ou vengeance Florentine ? L’histoire ne le dit pas, mais le romancier, s’il est lecteur des Trois Mousquetaires, peut tout imaginer…

Les Historiettes on le voit à l’évocation de l’épisode que nous venons d’évoquer, sont une mine inépuisable d’inspiration romanesque et de feuilletons infinis à imaginer encore et encore pour les faire rebondir à nouveau sur de nouveaux rythmes… Gédéon Tallemant des Réaux consacre de nombreuses lignes à son ami Vincent Voiture que nous avons déjà évoqué et qui était un des piliers du salon de Rambouillet et un homme d’esprit. Les Historiettes fourmillent d’anecdotes à ce sujet. Citons-en deux: « Monsieur de Blairancourt disoit à Madame de Rambouillet que voyant qu’on ne parloit que de ce livre [de Vincent Voiture] qu’il l’avoit lu et trouvoit que Voiture avoit de l’esprit. « Mais Monsieur, » lui respondit Madame de Rambouillet, « pensiez-vous que c’étoit pour sa noblesse ou pour sa belle taille qu’on le recevoit partout comme avez veu? » Ce dialogue traduit admirablement cet « esprit de finesse » qui régnait alors dans les conversations…

On trouve aussi dans ces « Historiettes » quelques remarques propres à alimenter l’esprit sur l’activité du poète. Ces réflexions sur l’écriture et le style apparaissent à plusieurs reprises à propos de nombreux portraits (ceux de ,Gilles Ménage ou l’évocation d’un poète oublié Neuf-Germain). On en trouve évidemment dans le portrait vivant qu’il dresse de l’aristocrate et poète François de Malherbe…

Lorsqu’il évoque Malherbe, Tallemant des Réaux évoque bien sûr sa personne : « Il estoit grand et bien fait, et d’une constitution si excellente qu’on a dit de lui, aussi bien que d’Alexandre, que ses sueurs avoient une odeur agréable. Sa conversation étoit brusque, il parloit peu mais il ne disoit mot qui ne portast. Quelquefois mesme, il étoit rustre, incivil… »

Mais dans l’historiette qu’il lui consacre il est abondamment question d’écriture, de style, de critique littéraire, de goût, d’esthétique, de manies verbales aussi. Malherbe n’était pas quelqu’un de commode. Certains dialogues ne manquent pas de vivacité et de mordant. Par exemple cet échange avec Vaucquelin Des Yvetaux. Celui-ci était originaire de Caen comme Malherbe et il avait été engagé comme précepteur du Prince de Vendôme. Leur différend portait sur la présence de sonorités plus ou moins gênantes et laides (ou belles et amusantes à chacun d’en juger).

« Des Yvetaux lui disoit que c’estoit une chose désagrable à l’oreille que ces trois syllabes :malapla toutes de suite dans un vers :

« Enfin cette beauté m’a la place rendüe »

« Et vous, lui respondit-t-il, vous avez bien mis : parablalafla

  • Moi ? Reprit des Yveteaux, vous ne sçauriez me le montrer
  • N’avez-vous pas mis, répliqua Malherbe

« Comparable à la flammme » ?

Tallemant des Réaux rapporte par ailleurs plusieurs remarques assez catégoriques de Malherbe sur l’art de composer les sonnets : « Les italiens ne lui revenoient point ; il disoit que les sonnets de Pétrarque estoit à la grecque, aussi bien que les épigrammes de Madame de Gournay. »

Ou encore:

« Il s’opiniastra fort longtemps à faire des sonnets irréguliers. Colomby n’en voulut jamais faire, et ne les pouvoit approuver. Racan en fit un ou deux mais il s’en ennuya bientost ; et comme il disoit à Malherbe que ce n’estoit pas un sonnet si n’observoit pas les règles du Sonnet : « Eh bien, » lui dit Malherbe, « si ce n’est pas un sonnet, c’est une sonnette. »

Bibliographie

Éditions des Historiettes disponibles chez Gallica BnF.

On y trouve la précieuse édition de 1834 (la première) des Historiettes : « Historiettes pour servir à l’histoire du XVIIe siècle » publiées sur le manuscrit inédit et autographe ; par messieurs Monmerqué, de Châteaugiron et Taschereau Editeur : Alphonse Levavasseur Libraire, 1834.

Tome 1 (cliquez ici pour le lire sur Gallica BnF)

Tome 2 (cliquez ici pour le lire sur Gallica BnF)

Tome 3 (cliquez ici pour le lire sur Gallica BnF)

Tome 4 (cliquez ici pour le lire sur Gallica BnF)

Tome 5 (cliquez ici pour le lire sur Gallica BnF)

Tome 6 (cliquez ici pour le lire sur Gallica BnF)

On peut également lire en ligne les neuf volumes de l’édition des « Historiettes» publiées en 1850 chez J. Techener Libraire grâce aux collections numériques de la Bibliothèque Municipale de Lyon:

Tome 1 (Tallemant des Réaux, Historiettes, J. Techener, 1850 Libraire B.M.Lyon)

Tome 2 (Tallemant des Réaux, Historiettes, J. Techener, 1850 Libraire B.M.Lyon)

Tome 3 (Tallemant des Réaux, Historiettes, J. Techener, 1850 Libraire B.M.Lyon)

Tome 4 (Tallemant des Réaux, Historiettes, J. Techener, 1850 Libraire B.M.Lyon)

Tome 5 (Tallemant des Réaux, Historiettes, J. Techener, 1850 Libraire B.M.Lyon)

Tome 6 (Tallemant des Réaux, Historiettes, J. Techener, 1850 Libraire B.M.Lyon)

Tome 7 (Tallemant des Réaux, Historiettes, J. Techener, 1850 Libraire B.M.Lyon)

Tome 8 (Tallemant des Réaux, Historiettes, J. Techener, 1850 Libraire B.M.Lyon)

Tome 9 (Tallemant des Réaux, Historiettes, J. Techener, 1850 Libraire B.M.Lyon)

Edition la plus complète pour le texte et l’appareil critique:

Tallemant des Réaux, Historiettes, Gallimard, La Pléiade, 1960, deux tomes, Préfacés et annotés par Antoine Adam. C’est cette édiont que j’ai le plus consulté pour rédiger cet article de blog (lien vers la notice du Catalogue général de la BnF)

Edition abrégée intéressante pour ses illustrations

Les Belles Dames de Paris, Historiettes de Tallemant des Réaux avec une préface de Gérard Bauer et des illustrations de Sylvain Sauvage, Editeur : « Le Livre » 1924 (notice sur le Catalogue général de le BnF). C’est de ce livre et à Sylvain Sauvage qu’est emprunté le portrait de Tallemant des Réaux illustrant cet article de blog).

Si vous êtes des lecteurs pressés vous trouverez aussi dans les collections Gallica BnF une version raccourcie des « Historiettes » sous le titre « Rois et grandes dames d’autrefois d’après Tallemant des Réaux, avec appendice et notes »par M. Meyrac Rédacteur en chef du Petit Ardennais, publié en 1911 chez Albin Michel. Cette édition a le mérite d’être illustrée par des gravures, j’en ai utilisé quelques-unes pour cet article (cliquez ici)

Notice biographique sur le site internet du Musée Protestant:

https://www.museeprotestant.org/notice/gedeon-tallemant-des-reaux-1619-1692/

Bibliographie sur Tallemant des Réaux établie par la BnF (Bibliothèque Nationale de France) cliquez ici.

Pour une approche universitaire des Historiettes

Karine Abiven, L’anecdote ou la fabrique du petit fait vrai. De Tallemant des Réaux à Voltaire (1650-1750) Paris, Classiques Garnier, série « Lire le XVIIe siècle », 2015 (483 pages). Présentation sur « Open édition ».

Marie-Thérèse Ballin, Les Historiettes de Tallemant des Réaux. Manuscrit privé ou écrit clandestin, in Revue d’histoire littéraire de la France (2013) disponible sur cairn info (cliquez ici)

Marie-Thérèse Ballin, Hybridité génériques et discursives dans les historiettes de Tallemant des Réaux, thèse de doctorat de l’Université de Toronto (disponible en ligne cliquez ici)

Lilia Coste, « Entre l’ana et l’anecdote : note sur les historiettes bigarrées de Tallemant des Réaux », Écrire l’histoire [En ligne], 17 | 2017, mis en ligne le 28 septembre 2020, consulté le 28 septembre 2019. Lilia Coste est doctorante en Langue, littérature et image au sein du CERILAC de l’université Paris-Diderot. Sa thèse a pour objet « L’écriture au féminin dans les Historiettes de Tallemant des Réaux : entre Histoire et Fiction », (cliquez ici)

Biographie de Tallemant des Réaux en deux volumes par Emile Magne (1877-1953):

Emile Magne, Bourgeois et financiers du XVIIe siècle. La joyeuse jeunesse de Tallemant des Réaux (1921)

Emile Magne La fin troublée de Tallemant des Réaux (1922)

André Billy, « L’oeuvre littéraire du 20 Septembre 1922, André Billy article consacré à la parution de ces deux livres qu’Emile Magne consacre à la biographie de Tallemant des Réaux (cliquez ici)

Vincenette Maigne, Le manuscrit 673 [Texte imprimé] / Tallemant Des Réaux ; édition critique par Vincenette Maigne, Klincksieck, 1994

Bernard Gineste, « Gédéon Tallemant des Réaux, La reine Marguerite (vers 1659) in Corpus Étampois (cliquez ici)

Vinaigrette, Gédéon Tallemant des Réaux, papa des Historiettes, dans son château Tourangeau (cliquez ici)

Le Château des Réaux en zone inondable in Val de Loire Patrimoine mondial (13 avril 2017 mis à jour 13 novembre 2018) cliquez ici.

Gédéon Tallemant des Réaux à Paris et Réaux in Terres d’écrivains, Annuaire des lieux littéraires (cliquez ici)

Davide Caviglioli,  in L’Obs sélectionnait Les Historiettes de Tallemant des Réaux parmi les dix chef-d’oeuvres en poches pour les vacances 9 août 2013 (cliquez ici).

Article du 8 mai 2017 signé JB sur le blog Club de lectures à propos des « Historiettes de Tallemant des Réaux chez Folio (cliquez ici)

Caroline Lewandowski, La poétique des historiettes de Tallemant des Réaux, thèse de doctorat en préparation en Lettres langues et linguistique à l’Université de Lyon depuis le 23 novembre 2000 (cliquez ici)

Page Wikipedia consacrée à Sylvain Sauvage (auteur du portrait de Tallemant des Réaux illustrant cet article) cliquez ici

Si cet article vous a plu, vous aurez peut-être envie de découvrir mes livres Sansonnets aux sirènes s’arriment (cliquez ici) ou Sansonnets un cygne à l’envers (cliquez ici) ou de participer aux ateliers d’écriture que j’anime (cliquez ici).