L’horizon du bouquin dont tout un chacun va ici causant (en pointant un son bluffant) suscita toujours l’admiration du scripturophilisant lipogrammatisant par son polarisant loisir. Il agit fulgurant pour qui sait ouïr.
Dans la foison du bouquin nous lisons un fulgurant polar, aromatisant maints maux dûs aux disparus. Lu tout haut, puis tout bas, lu au jour, puis la nuit, puis par biais oscillant, lu dix fois puis dix fois vingt-six fois dix… Toujours il bondit fascinant, scintillant sur l’azur du public scrutant l’art bavard dont G.P. brossa ici un «chais d’ouvroir». Il brossa sans s’aigrir, rigolant aussi…
Il va fonçant, ouvrant, sciant nos gris brouillards jusqu’aux blancs, flous mais scintillants; blizzards qu’un analysant fin sait voir surgir, noir sur blanc, aux flancs du hasard.
Plus qu’un «chais d’ouvroir», il s’agit donc là d’un bouquin moult anoblissant pour l’art du plumitif arguant du frictionnant pour fictions à tiroirs. La structuration, la formalisation, la rumination ont ici (pour un public nanti du goût du polar palpitant) un ton imaginatif aux bonds admiratifs; un son aussi.
Un son dont l’art a l’air si vrai : ni fanfaron ni abrutissant. Un son dont l’art jaillit brillant, signifiant, aux admiratifs (nous nous y comptons). Il suffit d’accourir jusqu’au bout! Tout au long du roman soufflant son ouragan vif aux tissus qu’il trama d’un stylo rugissant au son innovant. Du roman aux traits polis, il alla polissant l’abrupt. Tir au but actif pour qui saura voir, ouïr ou saisir un flot vif aux instants flottants.
Il bondit sciant, sifflant, chiffrant, scintillant, sanguin aux frais du roman. L’accumulation d’assassinats, la multiplication d’arts appris, l’obscur dissimulant la fin, tout au long du discours, vont (aiguisant la faim) imprimant plus d’un motif baroquisant vont bondissant, claudiquant jusqu’au bout du long polar à l’apport si brillant. Lu dix fois, là il vrombit. Auparavant il va gonflant son jabot dix fois plus, d’un air vain. Lu dix fois, alors il va ronronnant, bondissant film sans bavards, non plus gonflant son jabot, mais courant dans l’air frais, sportif, assoupli, multipliant son son furtif, inactif, jusqu’aux arts actifs.
Airs aux ponts d’un jazz swinguant, ils vont par motifs (nus mais trop vrais) offrant maints tours musicaux (aux frais accords) au bouquinant qui ira fouillant actif. Mais quand il apparaît, bouquin lu dix fois vingt-six fois par goût musard d’un Don Giovanni, gaillard, saisissant tout pour voir, sans tons vains, dix fois vingt six floraisons, plutôt qu’un dos non lu d’obscurs dix par « U » d’un aigri vain niais s’abrutissant, sans voir, idiot par hasard. Alors à la fin, il rugit aux raisons d’oraison sans rayons d’or…
Maints traits sont alors signifiants (pour qui a lu ainsi dix fois vingt six fois dix son bouquin) narrant la raison qui va ourdissant son polar non par poinçon du hasard, mais par un stylo où point l’art du fictif qui sait saisir un saisissant instinct sciant, ouvrant l’infini..
Ouvroir aux points tardifs, aux trous du motif, La Disparition franchira nos futurs palabrant. Nous avons ici dans nos mains un infini survol par vaux, par champs, par bris ou par cris, du dit ou du non dit. Son survol va du mot jusqu’aux panoramas, du dix jusqu’au vingt six, du vif jusqu’à l’inscrit languissant, rosissant, rougissant, mots disant maux. Ça va pulsant. Tout va bruissant. Tout va jusqu’à la fin, actif ou jaillissant, jamais tombal, mais toujours florissant. Parfois floral, tissant son action, brossant tout à trac du polar tordu d’où plus d’un bandit surgit, non sans hasard, d’un motif sur un tapis nous aimantant.
Sans bruit ou dans un galopant brouhaha, ça court, ça va rythmant, bondissant jusqu’aux points finaux pour saisir chacun, sans jamais l’abrutir, mais parfois supprimant pour nous offrir un bond baroquisant.
La squaw aussi y va jouant sa part, causant par bons mots anglais bruissants aux multiplications sur l’infini d’un nadir… Aile aux plumitifs: «arts du riz à Nadir» grains qu’il faut voir blanc sur blanc…
Voilà un roman roboratif dont un stylo dansant, ponctuant a su fourbir plus d’un discours tintinnabulant, lustrant, astral. Il nous fournira un jour pourtant (nuançons nos propos) un futur flambant sans trop d’infinis philosophant pour nos non si vains brouillons jamais noircis.
L’omission d’un d’un rond imparfait muni d’un trait n’a ici qu’un apport fort minimal au plaisir vrai qui jaillit d’un art qui s’offre aussi parfait. Mais il a l’air d’avoir aux goûts du tant d’avant, autant à voir aux pans d’un futur à bâtir aux fruits d’arts clavardant…
Il rugit, furibard cramoisi, multipliant son sang, circulant sous son mugissant trait pur d’horizon bavard. L’art du roman aura-t-il dans un futur lointain un tissu prototypal aussi bruissant qu’ici, dans l’or brillant tantôt inscrit au grinçant humour d’un plus qu’artisan du polar à stylo fulgurant ?
Cet article est né d’une exploration des riches et belles collections numériques de Gallica BnF (Bibliothèque Nationale de France) que je vous invite à consulter (infinis sont les domaines que l’on peut y parcourir).
Parmi les personnages dont on a récemment oublié de fêter le quadricentenaire en 2020, il y en a un que l’on ne saurait passer sous silence, tant il reste actuel par une innovation qu’il a échoué à mettre en place, mais qui semble sans cesse refleurir dans les orthographes approximatives sur les réseaux sociaux… Il s’agit de Louis de L’Esclache (1620-1671). Ce personnage est propre à décrisper tous les débats sur l’orthographe française, ce détonateur à passions dans les débats franco-français… De Louis de Lesclache on ne sait pas grand chose. Il fut un philosophe à la mode. Antoine Furetière et La Bruyère ont parlé de lui, Molière aussi. On a écrit que le personnage de Louis de Lesclache aurait servi à Molière pour son personnage du Maître de Philosophie dans « Le Bourgeois Gentilhomme». Son nom est cependant rarement cité dans l’enceinte de l’Université. Il y a quelques raisons à cela. Précédant de quatre-cents ans Mai 68, Louis de Lesclasche avait tenté une « démocratisation » ou une «simplification» de l’écriture et de la grammaire qui marqua la fin de sa carrière de philosophe à la mode. Les grammairiens et les professeurs de langue française n’aiment pas qu’on les bouscule. Et pourtant, ne peut-on pas apprendre beaucoup en autorisant les audacieux à bousculer nos habitudes ? En l’espèce on peut hasarder que le système de Louis de Lesclache, bien que généreux dans ses objectifs, manquait peut-être un peu cohérence…
Louis de Lesclache fut en son temps un philosophe, un conférencier en vogue à Paris. La bonne société soucieuse de se munir d’un verni de culture générale courait à ses conférences (en français) sur Aristote. Il fut longtemps lu par les gens pressés pour s’instruire de sa philosophie simplifiée en tableaux.
La Reine Eloquence s’y souvient qu’elle a à sa cour un Officier nommé L’Esclache « qui étoit grand ami d’Aristote. » Dans une note en marge, Furetière précise que ce nommé L’Esclache « est un homme qui enseigne la philosophie en français et qui faisait des discours publics pour expliquer Aristote. » Cliquez ici
Il était suffisamment à la mode pour que La Bruyère évoque son nom dans « Les Caractères » à l’occasion du portrait de Narcisse, dans le Chapitre « De la ville » : «il est homme d’un bon commerce […] il tient le fauteuil quatre heures de suite chez Aricie, où il risque chaque soir cinq pistoles d’or. Il lit exactement la Gazette de Hollande, et le Mercure galant; il a lu Bergerac, Des Marest, Lesclache, les Historiettes de Barbin, et quelques recueils de poésies. Il se promène à la Plaine ou au Cours, et il est d’une ponctualité religieuse sur les visites. Il fera demain ce qu’il fait aujourd’hui et ce qu’il fit hier; et il meurt ainsi après avoir vécu. » (Les Caractères de La Bruyère disponible ici sur Gallica BnF).
Dans cet ouvrage Lesclache « soutient que la philosophie (et par là, il entend la morale et la théologie naturelle) détournera les femmes des romans, de l’alchimie et de l’astrologie judiciaire, il blâme l’usage du doute méthodique dans l’enseignement et il s’élève contre les femmes qui cherchent à se faire valoir dans les conversations, qui critiquent leur prochain ou la religion, et qui «avec neuf ou dix passages de Charron ou de Montaigne prétendent renverser la théologie». (Ch. Urbain). Ce livre fait partie de ceux qui auraient influencé Molière dans la rédaction des Femmes Savantes. Gustave Reynier (dans son Étude et analyse des Femmes Savantes de Molière, Paris 1937) explique en ces termes l’ouvrage de Louis de Lesclache : « Ce qui fait l’intérêt de cet opuscule où il justifie l’oeuvre de toute sa vie, c’est qu’au lieu de s’adresser aux femmes, qu’il savait plus qu’à moitié convaincues, il s’est tourné vers les maris, dont il avait dû constater plus, d’une fois les résistances. Pour piquer la curiosité d’un époux qu’il est censé vouloir convertir, il lui raconte une petite histoire. Il s’agit d’un ménage assez désuni, dont le désaccord s’aggrave tous les jours. La dame est si curieuse de sciences qu’elle se laisse duper par les charlatans. Elle va dans des assemblées où l’on fait des expériences pour chercher du vide dans la nature ». Il lui arrive [comme Philaminte dans « Les Femmes Savantes de Molière] de passer « plus de la moitié de la nuit dans le grenier à regarder la lune avec de grandes lunettes » ; comme elle, elle s’imagine «que la lune est habitée». Elle va aussi chez des chimistes, «plus noirs que des démons», elle cherche avec eux la pierre philosophale et elle vend ses pierreries pour subvenir aux frais des opérations. Enfin elle prétend « faire profession de philosophie ». Philosophie et sciences plus ou moins mystérieuses, le mari condamne en bloc tout cela. La philosophie, dit-il, attache les femmes à des choses inutiles, elle les porte à faire des dépenses qui peuvent ruiner la maison, elle « les incite à contredire toutes choses », elle les rend vaniteuses, elle est « la source du mépris qu’elles font de leurs maris ». C’est cet époux ennemi de la science que Lesclache voudrait convertir: il lui démontre que la vraie philosophie n’a aucun rapport avec les simagrées des charlatans, que, si elle est bien enseignée, dégagée de toute obscurité, de tout problème téméraire, elle enseigne aux femmes la modération des désirs, la douceur, l’attachement aux plus humbles devoirs, la modestie, et non pas l’orgueil. Le malentendu est à la fin dissipé. Le bourgeois paraît convaincu : il enverra sa femme aux cours de Lesclache. »
Ch. Urbain nous apprend également que
« Lesclache eut l’idée alors toute nouvelle d’ouvrir des cours publics où il enseignerait en langue vulgaire la philosophie aux femmes et aux gens du monde. […] il groupa autour de sa chaire un auditoire nombreux et élégant, dont la fidélité ne se démentit pas, quoique d’autres professeurs eussent essayé de lui faire concurrence »
Il paraît que des membres de la famille d’Ormesson fréquentaient ses cours :
« Le samedi, 21 novembre, dit Olivier d’Ormesson dans son Journal, à l’année 1643, je fus l’après-disnée rue Quinquempoix, chez M. Lesclache, qui faisait trois discours français à l’ouverture de ses cours de philosophie en français. Il y avait grand monde, des jésuites et des personnes d’esprit. Il parla de Dieu selon Aristote, et satisfit toute la compagnie.» Ses cours se déroulaient au « Palais précieux » et étaient annoncés en ces termes :
« Le mercredi, se fera leçon de la Philosophie par le sieur de l’Esclache qui traitera particulièrement de la morale, en termes fort à la mode, où les femmes aussi bien que les hommes auront grande satisfaction. Ce sera depuis deux heures jusqu’à quatre. » Les femmes savaient gré à Lesclache de leur rendre la philosophie intelligible et de l’avoir débarrassée du jargon de l’École. » (Ch. Urbain)
Un ami de Scarron, un certain Monsieur Rosteau (en 1661 ou 1662) raconte en ces termes les cours dispensés par Louis de Lesclache : « Si le nom de M. de L’Esclache s’étend jusqu’aux pays les plus éloignés, il est bien juste que ses ouvrages y passent. Il a été le premier qui a purgé la philosophie de ses termes barbares, et qui a civilisé cette science si nécessaire à la conduite de la vie des hommes qui veulent s’éloigner du commun. Il y a vingt-cinq ans et plus qu’il en fait une profession publique, mais bien éloignée de la manière ordinaire des écoles. Il l’a rendue si facile que les dames et les jeunes enfants se sont trouvés capables de l’apprendre, tant il est clair et méthodique en ses discours. »
S’il en était resté à n’être qu’un conférencier mondain, Louis de Lesclache aurait sans doute laissé un souvenir comme un philosophe spécialiste d’Aristote au XVIIe siècle, jusqu’à ce que René Descartes détrône la vieille philosophie aristotélicienne (qu’on me pardonne ce raccourci rapide).
À l’époque où se créait l’académie française et une fixation d’une orthographe qui est encore en grande partie la nôtre cette audace lui fut funeste. Il dut quitter Paris pour s’installer dans sa ville natale de Lyon et y mourir oublié… Pour Ferdinand Brunot, le grammairien du début de XXe siècle (lui-même inspirateur d’une réforme de l’orthographe), les idées de Louis de Lesclache manquaient d’esprit de système. Brunot écrit à propos de notre homme : « Ce n’est pas un esprit absolu. Il est la fois logique et inconséquent, hardi et timide. Il serait curieux de savoir si L’Esclache fit des disciples parmi ses élèves. Mais ceux-là n’imprimaient pas… » Ferdinand Brunot dans son Histoire de la langue française, des origines à 1900 (tome IV, la langue classique (1660-1715) consacre tout de même deux pages à Louis de Lesclache. (cliquez ici).
Sa tentative d’instaurer de nouvelles règles orthographiques fit un bruit considérable et devint l’occasion d’un champ de bataille où s’opposaient partisan de l’ « étymologie » et partisan du « fonétisme ». L’abbé de Dangeau en fit partie de ses derniers et il était favorable à Louis de L’Esclache. Antoine Furetière avait quant à lui rejoint les partisans de l’ «étymologie». Dans son dictionnaire, il critique vivement les tentatives de réforme de l’orthographe dont Louis de L’Esclache était un des maillons. Dans l’article « orthographe » de son dictionnaire, voici ce qu’écrit Furetière : « Le premier qui a voulu changer l’orthographe fut Jacques Pelletier du Mans, qui soustint qu’il falloit escrire comme on parle, & aprés luy Louïs Maigret, Pierre la Ramée dit Ramus, Jean Anthoine de Baïf, & de nostre temps l’Esclache. Ces opinions ont esté traitées de ridicules. »
À défaut d’avoir réussi à imposer sa réforme de l’orthographe, notre philosophe à la mode a donc peut-être invité les grammairiens de son temps à faire des efforts de clarté.
En 1694, l’Académie Française Française, dans la préface de son dictionnaire, se prononça contre le «fonétisme» et pour l’étymologie, s’attachant à l’ancienne orthographe «receuë parmi tous les gens de lettres, parce qu’elle ayde à faire connoistre l’origine des mots».
De Louis de Lesclache on ne connaît pas de portrait, aucun peintre, ni sculpteur ni graveur ne semble s’être intéressé à lui. Pour garder mémoire de sa figure, il nous reste des vers publiés par l‘abbé Bordelon dans Le Livre à la mode (Paris 1699):
« Grand économe de la table Où l’esprit se nourrit et devient raisonnable, Aristote de Cour, esprit incomparable, La sagesse après toi n’ira jamais plus haut. Par toy le philosophe a l’esprit agréable
Et tourné comme il faut. Il sait discourir juste et parler sans défaut, Et la Philosophie, hélas! si misérable, Morte sous la poussière et couverte de sable, Dont la barbare École injustement l’accable, Ravit par la méthode et revit plus aimablee. Mais lorsque l’on entend la divine Giraud, En elle plus qu’en tout, tu parais admirable, Et cette écolière adorable Te rend un maître heureux autant qu’inimitable.
Vous, savants d’Universités, Gens d’appareil, Docteurs de Facultés
Grotesques débiteurs d’universalités, Dites, dites, pédants crottés. Si tous vos collèges ensemble, Fût-ce Harcourt, Navarre ou Beauvais, Ont fait ou feront jamais Un maître es arts qui lui ressemble »
Il reste une dernière énigme à résoudre concernant Louis de Lesclache, selon certains, il ne serait pas lui-même l’auteur de ses livres… Ce serait sa femme qui les aurait écrit. Cette thèse est notamment défendue dans l’Année des dames, ouPetite biographie des femmes célèbres pour tous les jours de l’année. Tome 2 / (1820) Par Mme Gabrielle de Paban. On y lit que « très versée dans la philosophie ; [Madame Lesclache] composa plusieurs livres de morale qu’elle publia, par modestie sous le nom de son mari. »
Il y aurait donc sans doute encore beaucoup de choses à dire au sujet de Louis de Lesclache. Derrière le soixante-huitard «fomenteur de troubles orthographiques», bien des sujets mériteraient encore d’être abordés. Gallica BnF donne matière à lire pour en apprendre plus sur Louis de Lesclache, sa pensée, son temps, ses idées…
invitation à lire « La vie commence par une Majuscule et continue après le point » (nouvelles) par N’zua Enam
Plonger dans l’univers des nouvelles de N’zua Enam est une tourbillonnante aventure de lecture que je vous conseille vivement. N’zua Enam porte sur l’humanité un regard tendre, sensible, espiègle parfois. Nous sommes tous matière de langage et l’être humain (avec son corps et ses humeurs, avec ses mystères et ses sourires, ses sentiments et ses opacités) devrait pouvoir se lire un peu comme un livre. Mais la vie des êtres humains est un peu plus compliquée que cela. Entre les mots et les êtres se tisse une relation complexe, faite de psychologie, de transparence et d’opacité, de sentiments et d’aveuglement, de passions et de raisons. Cet imperceptible qui se joue du sens des mots pourrait-il se nicher dans cet imperceptible souffle de la ponctuation ? Ce titre : « La vie commence par une Majuscule et continue après le point » nous entraîne à nous poser cette question tant il est écrit dans une langue ponctuée… Il nous entraîne aussi (et c’est heureux pour le plaisir de la lecture) à la rencontre de personnages attachants charnels et beaux que la plume de N’zua Enam dessine avec tact et délicatesse. Comme dans ces estampes orientales où l’on économise le trait pour trouver les lignes essentielles, les phrases du livre s’enchaînent et nous étreignent pour nous faire rencontrer de belles personnes, émouvantes et fragiles comme dans la vie. Elle est fugace cette existence et si les présences humaines illuminent le monde elles finissent toujours par s’éteindre fatalement. Mais avant l’extinction, il y a le miracle de cette vie aux détours et obstacles inattendus, aux labyrinthes compliqués, aux horizons limpides. On croisera des amoureuses, des amoureux déboussolés face à la passion, une grand-mère qui vieillit, mais qui trouve le temps de partager avec sa petite fille le récit d’un amour de jeunesse romanesque. Un père qui veut retrouver sa fille, une aveugle qui par coquetterie masque sa cécité, une femme et un homme aimantés l’un par l’autre et qui n’y comprennent rien… Le regard porté sur le monde est ici dans ses nouvelles un regard féminin, sympathique, empathique. Ce livre est celui d’une femme libre au regard sensible, exigeant, attentif à autrui. L’écriture est libératrice et la lecture aussi. Pour toutes ces raisons, je vous conseille la lecture de ce livre. Libérez-vous, lisez-le, vous découvrirez une richesse belle et tendre de sentiments profondément humains. N’zua Enam a la passion des êtres de la psyché humaine aux savants détours baroques. Les personnages se croisent et se rencontrent, s’évitent et se désirent, s’admirent et se sourient, comme dans un ballet, comme dans une danse, comme dans la vie… Il y a un souffle et un style dans l’écriture de N’zua Enam. Elle est ponctuée de toutes les figures et de toutes les épices qui donnent goût à la vie. Peut-être est-ce cela la vraie ponctuation, celle qui donne un rythme aux phrases ? Il y a plusieurs nouvelles dans ce livre, mais il se lit comme un roman. Une lecture où l’on est impatient d’atteindre la fin et où l’on est un peu triste de devoir quitter les personnages. Heureusement, on sait qu’il restera là, ce livre, dressé dans la bibliothèque, toujours prêt à susciter de nouveaux plaisirs de lecture.
Il faut souligner les efforts fait sur l’édition proprement dite qui font de ce livre un bel objet : une couverture et des illustrations signées Emmanuelle Delouhans, un texte soigné dans sa présentation.
Le vendredi sur la blogosphère c’est #VendrediLecture… Ce vendredi 6 mai j’ai donc décidé de vous inviter à la lecture de Centelha, tome 1: au-delà des remparts de Jenny Bestory. Plongez-y! Il se lit facilement. On est entraîné dans cette aventure, comme dans ces lectures savoureuses qui vous font passer vos après-midi entières couché à plat ventre en vous délectant de la lumière du soleil sur le papier imprimé. Comme ces lectures qui invitent aux nuits blanches à ne pas dormir pour suivre un récit palpitant, à la lumière douce d’une lampe de chevet. Dans ce roman j’ai d’abord senti une jubilation d’écriture de la part de Jenny Bestory. Il fallait que ce livre paraisse parce qu’il est le résultat d’un long travail. Et il a fallu du temps d’écriture pour imaginer une telle aventure. J’ai envie d’écrire que si ce volume entraîne cette jubilation de lecture… …« C’est que tout a sa loi, le monde et la fortune : « C’est qu’une claire nuit succède aux nuits sans lune : « C’est que tout ici-bas a ses reflux constants ; « C’est qu’il faut l’arbre au vent et la feuille au zéphire ; « C’est qu’après le malheur m’est venu ton sourire, « C’est que c’était l’hiver et que c’est le printemps. » (Victor Hugo, feuilles d’automne). L’imaginaire de Bestory Jenny est foisonnant, pétillant, étincelant. L’île imaginaire où se déroule l’histoire « Centelha » signifie d’ailleurs « étincelle ». Centelha, suggère aussi le nom de l’île de Sainte-Hélène, perdue dans l’océan quelque part entre Afrique et Amérique. Et l’île de Centelha se situe en effet quelque part dans l’océan, entre deux continents. L’intrigue procède en rencontres et rebondissements. Des personnages apparaissent mystérieux d’abord, puis familiers, ensuite, quand l’intrigue progresse. Certains personnages sont inquiétants. Il y a du suspense, du frisson (comme au cinéma). Puis de chapitre en chapitre, on s’attache à Améthyste, l’héroïne du livre, on la découvre, on l’aime. Son image prend forme, comme lorsque l’on ébauche un croquis, avant de dessiner un portrait fidèle (avec ses effets d’ombres et de lumière). On l’accompagne, elle nous accompagne. Elle prend du relief et devient une amie imaginaire. Sa vie est faite de détours, d’émerveillements, d’indignations devant l’injustice, d’explorations, de découvertes. Il y a de l’inattendu dans ce roman (il ne faut pas tout dévoiler), il y a aussi beaucoup d’humanité, de sourire. L’intrigue est chaleureuse, aventureuse comme Améthyste, avec des bascules et des rétablissements, des blessures et des reconstructions. Il y a quelque chose d’auroral dans ce roman, quelque chose qui m’inspire ces lignes : « Il est tant de rêver aux heures du matin. « Les grimaces d’hier, déchiffre-les sans rire « Il est beau leur visage, il est franc leur sourire. « Il arrive un matin c’est le moment de lire « Ses dessins compliqués, ses branchages mutins. » Car l’intrigue imaginée par Jenny Bestory est labyrinthique et passionnante à démêler, comme un bel arbre aux branchages embrouillés et mutins que l’on aime observer pour admirer l’entremêlement du feuillage et des branches aux formes compliquées. Dès que l’on y plonge le regard, on y éprouve un délicieux plaisir de déchiffrements et de découvertes. le coeur palpite dans les chemins qui égarent. L’esprit s’éclaircit sur les routes imprévues qui conduisent à destination. Bravo Jenny Bestory , je souhaite de nombreuses lectrices et lecteurs à ce livre…
Cet ouvrage analyse la réception de la lecture du roman Atala de Chateaubriand au sein d’aires culturelles variées. Le postulat est que la réception de la lecture se fait à deux niveaux : un niveau individuel, défini par les théoriciens de la réception (comme Eco, Jauss…), et un niveau communo-culturel. En effet, chaque mot que lit l’élève-lecteur déclenche en lui un phénomène de mémoire collective, issu du patrimoine culturel de sa communauté. Le texte devient alors comme un pont culturel entre les lecteurs.
J’aime ce livre pour l’écoute à laquelle il invite. Christine Lara y déploie une capacité d’écoute de ses élèves qui invite à entendre la riche personnalité de chacun à travers ce que la lecture d’un classique de la littérature peut faire naître de découvertes sur le monde. Christine Lara a enseigné Atala de Chateaubriand tout autour de la terre, des Antilles à l’Île-de-France, en passant par les îles du pacifique ou de l’océan indien. Elle est la professeur de français que l’on rêverait tous d’avoir eue dans son enfance. De ces lieux multiples, de ses classes où la parole vibre de passion, Christine Lara a fait naître ce livre riche d’enseignements. À qui s’y attarde en lecture active en recherche de méthode éducative ou par une lecture amatrice et détendue au rythme des reflets du soleil sur la page cet ouvrage apporte infiniment. J’aime ce livre que je lis et relis pour y puiser matière à transmettre dans mes ateliers d’écriture, pour y trouver quelques fructueux paragraphes invitant à mieux écouter le vaste monde de formidable complexité. Ce livre, j’aurais envie de rebaptiser « Pour une réception humaine (pédagogique et réflexive) d’Atala de Chateaubriand » fait partie des ouvrages que tout passionné de littérature devait avoir dans sa bibliothèque, que tout professeur de français doit avoir parcouru, au moins une fois dans sa vie. Qu’est-ce qu’un lecteur bricole avec ses lectures d’un texte ? Derrière cette simple question résonnent bien des territoires qui méritent d’être écoutés, bien écoutés, davantage écoutés et entendus (car pour prétendre comprendre, il faut d’abord écouter). Et le silence du livre de Christine Lara dans ma bibliothèque à l’instant mérite assurément d’être entendu il est riche d’enseignements. Ce livre j’en parle volontiers autour de moi à l’occasion de conversations passionnées. Je ne l’avais pas encore fait ici sur mon blog. Je le fais aujourd’hui. Vous savez, un livre est exigeant (on ne peut rien lui refuser, il exige parfois d’être mille fois relu). Cet ouvrage mérite assurément d’être lu et relu en 2022 alors que tant et tant de relecture attendent leurs lecteurs pour inviter à entendre la poésie de notre vaste et belle humanité. La façon dont les élèves reçoivent Atala de Chateaubriand apprend infiniment sur la manière dont chacun d’entre nous réagit à n’importe quel texte écrit. L’écrit nous attrape comme il peut au milieu de nos urgences du moment, où du passé qui nous a modelé, de la brise qui souffle aux rythmes de l’événement. Il n’y a jamais une seule lecture possible. Il y en a plusieurs en fonction des histoires individuelles et collectives. Entendre un texte en se mettant à la place de l’autre et des autres permet d’enrichir la compréhension d’une oeuvre et d’un auteur (ici Chateaubriand). Atala sort grandi de toutes ses significations et implications. La lecture implique ce «vivre avec» qui fait naître la conversation, l’échange des points de vue, l’élargissement de l’horizon, l’ouverture. Merci, Christine Lara pour cette précieuse invitation aux (multiples) (re) lectures. Elles demeurent plus que jamais d’actualité.
Le 12 Mai 1921, le secrétaire de Georges Clemenceau, Jean Martet publiait une tribune dans L’homme libre appel à une réforme de l’enseignement de la langue française. Il s’inquiétait du fait que les enfants apprennent trop à écrire et pas assez à parler.
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Antoine Court de Gébelin (né probablement en 1725 à Nîmes- mort à Paris en 1784) a eu son heure de gloire comme polygraphe, grammairien et polyglotte hors-normes. Son nom est aujourd’hui un peu oublié. On le cite parfois lorsqu’il est question de langue, de discours, de parole, d’étymologie. Henri Meschonnic évoque son nom pour l’opposer à Leibniz (page 666 de sa Critique du rythme : anthropologie historique du langage, Verdier 1982). Michel Foucault dans Les mots et les choses (Gallimard, 1966) évoque « sa plus grande gloire et la plus périssable » (chapitre IV Parler p. 118). Honoré-Gabriel-Riquetti Comte de Mirabeau (1749-1791) disait que Gébelin était « Le plus grand grammairien de l’Europe» (cité in notice sur Court de Gébelin dans Lettres à Julie, écrites au donjon de Vincennes par Mirabeau et publiée par Meunier et Leloir en 1903 disponible sur Gallica BnF ici).
« M. de Gébelinest un homme sans fortune, vivant dans la retraite uniquement livré à son travail. Il n’est pas même de l’académie des inscriptions, quoiqu’il fût bien fait pour en être sa qualité de protestant l’en exclud. »
On ne connaît pas exactement l’année de naissance d’Antoine de Court de Gébelin. Selon les sources auxquelles on se réfère il aurait pu naître en 1719, 1724, 1725 ou 1728. On suppose qu’il est né à Nîmes, son père, Antoine Court y était pasteur protestant. Sa famille, comme celle de beaucoup réformés, a rapidement émigré en Suisse, une solution pour permettre à leurs enfants de faire des études. Selon La Nouvelle biographie du Docteur Hoefer des temps les plus reculés jusqu’à nos jours, Gébelin était un surnom inventé qu’il s’était donné lui-même pour mieux échapper aux persécutions religieuses. (cliquez ici ).
Antoine Court de Gébelin suit des études de théologie à Lausanne pour devenir pasteur. Il obtient une thèse de théologie et il enseigne à son tour la philosophie, la morale et la controverse à de futurs ministres du culte. À partir de 1763, il décide de s’installer en France, de renoncer à une carrière de pasteur pour se livrer plus librement à l’étude et à l’enseignement. Jean-Paul Rabaut de Saint-Étienne rapporte, au sujet de son retour en France, une anecdote qui montre que ses parents avaient fait l’objet de persécutions du fait de leur religion et qu’Antoine Court de Gébelin était un être fondamentalement désintéressé : « Il vit à Uzès, patrie de sa mère, les champs et les possessions que, dans sa fuite précipitée, elle avait été forcée d’abandonner, et qui étaient passés dans des mains étrangères ; mais il les vit sans envie : et lorsque depuis on lui indiqua les moyens de se les faire restituer, il ne put se résoudre à déposséder ceux qui étaient accoutumés à en jouir. » (Lettre sur la vie et les écrits de M. Court de Gebelin adressée au Musée de Paris. Paris 1784, disponible sur le portail de l’université de Göttingen ici).
En s’installant à Paris, il décide de se consacrer à la littérature et à la science en créant une « société libre de sciences, lettres et beaux-arts » : « Le Musée de Paris » dont il sera nommé président.
La langue, les langues, la parole humaine ont été un de ses sujets de recherche de prédilection. Antoine Court de Gébelin a voulu construire un système permettant l’étude de toutes les langues à partir d’une langue primitive dont toutes seraient issues. Cette langue a des origines naturelles. Il envisageait donc la parole humaine comme ancrée dans le corps humain et donc d’abord dans ses émotions et sentiments. La comparaison qu’il établit entre l’appareil phonatoire et les instruments de musique (et notamment l’orgue) mérite d’être citée :
« La connaissance d’un Art dépend toujours des Éléments qui le composent : on ne saurait donc se former une juste idée de l’origine du Langage et du rapport des Langues, sans connaître leurs premières causes, surtout la nature et les effets de l’Instrument vocal, duquel se tirent tous les éléments de la parole, ces sons sans lesquels n’existerait point de peinture des idées.
L’Instrument vocal est l’assemblage des organes au moyen desquels l’Homme manifeste ses idées par la parole, et ses sensations par la voix et par le chant.
Ces organes sont en très grand nombre ; ils composent un instrument très compliqué, qui réunit tous les avantages des instruments à vent, tels que flûte, des instruments à cordes, tels que le violon ; des instruments à touches, tels que l’orgue, avec lequel il a le plus de rapport ; et qui est de tous les instruments de musique inventés par l’homme, le plus sonore, le plus varié, le plus approchant de la voix humaine.
Comme l’orgue, l’instrument vocal a des soufflets, une caisse, des tuyaux, des touches. Les soufflets sont ses poumons ; les tuyaux, le gosier et les narines ; la bouche est la caisse ; et ses parois les touches.
Cet instrument fournit à l’homme des sons simples, tels que la voix et le chant ; et des sons représentatifs, modifications de la voix, tels que les voyelles et les consonnes. »
Vidéo: Louis Thiry interprète «Dialogues sur les grands jeux» de Nicolas de Grigny à l’orgue de Saint Théodorit à Uzès.
On peut donner un aperçu de son esprit de système dans sa description des éléments de la langue (en 1773) :
« Les divers Éléments dont est composé le langage ses divisent en trois classes :
1° Sons, ou Voix.
2° Articulations, ou Intonations simples
3° Passage, ou Articulations doubles.
Les Voix ou Sons et les Intonations ou Articulations sont immuables, parce qu’ils n’ont jamais pu être inventés. En conséquence ils sont les mêmes chez tous les Peuples ; au lieu que les Passages ou consonnes doubles, effets de leur volonté ou de leurs besoins, varient suivant les Peuples. »
Il divise la langue primitive en trois séries de sept éléments (sept voyelles, sept consonnes fortes, sept consonnes douces).
« Les Intonations ou Articulations sont l’effet des touches qui composent l’instrument vocal, et forment deux séries différentes, une de consonnes fortes, l’autre de consonnes faibles, suivant que l’intonation de chaque touche est forte ou faible, légère, ou dure. Chacune de ces séries est composée de sept consonnes, qui correspondent à autant de touches de l’instrument vocal ; et dans ces séries chaque consonne forte répond à une douce : d’où résulte un Alphabet naturel, immuable et universel de vingt-et-une lettres, c’est-à-dire de sept Voyelles, et de quatorze Consonnes auxquelles fut assujetti le premier qui parla.
En France, Antoine Court de Gébelin « put profiter de tous les secours que pouvaient lui donner les bibliothèques publiques , ainsi que les collections de livres et d’objets d’art et d’antiquité, formées par des amateurs opulents, pour continuer un travail d’une importance considérable qu’il avait entrepris déjà depuis plusieurs années. Il ne se proposait rien moins que d’ expliquer l’antiquité tout entière, avec ses traditions historiques, ses mythologies, ses cosmogonies. L’incohérence, le vague, l’obscurité de toutes les interprétations essayées jusqu’à ce moment lui semblaient une preuve de leur fausseté, et cependant c’est dans la connaissance de l’antiquité qu’ il faut aller chercher la connaissance de tous les temps postérieurs, puisqu’ elle contient les origines de la plupart des idées, des lois, des coutumes qui sont communes à tous les peuples, et qu’ elle est, comme il s’exprime lui-même, la clé de toutes les institutions modernes. » (Nicolas Michel, Histoire littéraire de Nîmes et des localités voisines, 1854 (page 262), disponible sur Gallica BnF ici).
Court de Gébelin déploie aussi une formidable énergie à défendre la cause des protestants du Royaume de France.
« C’était un singulier phénomène pour le temps que cette vie d’ érudition et de zèle religieux, que cet empressement d’un infatigable travailleur à poursuivre à la fois les conquêtes de la philologie et celles de la tolérance politique. Ainsi , au même moment que de Gebelin faisait des visites répétées à Versailles pour l’affaire Calas, il encourageait de Beaumont à traiter la question du procès Sirven ; il s’occupait des persécutions de l’église d’ Orange auprès du duc de Choiseul ; il allait conférer avec M. d’Etigny, l’intendant d’ Auch, sur les rigueurs exercées contre les églises du Béarn ; il s’élevait partout contre un arrêt rigoureux du parlement de Grenoble, condamnant à mort des ministres contumaces ; il se mettait en rapport avec les membres du parlement qui se trouvaient à Paris et les disposait à la tolérance ; il conseillait ou déconseillait la convocation des synodes ; il rédigeait de nombreux placets sur les mariages des protestants et sur l’abolition des lois pénales , qu’il présentait au ministre de St-Florentin ; il se constituait l’intermédiaire entre les églises du Nord, qui demandaient des pasteurs , et le séminaire de Lausanne … » (Ch. Coquerel, Histoire des Églises du désert, t. II pages 487 à 491).
Son oeuvre monumentale du Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne ne fut jamais achevée. Mais ce qui reste de ses écrits est original et passionnant quand on prend le temps de s’y plonger… Son esprit d’analyse en fait l’un des précurseurs de la linguistique.
Article Court de Gébelin, in Nouvelle biographie générale : depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours sous la direction du docteur Hoefer (tome XII), 1855 (page 215 et suivantes). Disponible sur Gallica BnF cliquez ici.
Michel Nicolas, Histoire littéraire de Nîmes et des localités voisines, 1854 (pages 260 et suivantes consacrées à Court de Gébelin). Disponible sur Gallica BnF cliquez ici.
Oeuvres d’Antoine Court de Gébelin (ressources en ligne)
Les Toulousaines ou lettres historiques et apologétiques en faveur de la religion réformée et de divers protestants condamnés ces derniers temps par le parlement de Toulouse, 1763 (une œuvre suscitée par les affaires Calas et Sirven). (disponible ici sur le site des Bibliothèques Universitaires de Toulouse)
Devoirs du prince et du citoyen, ouvrage posthume de M. Court de Gébelin pour servir de suite à la Déclaration des droits de l’homme. (publié en 1789). Disponible ici sur le site internet de Gallica BnF.
Le Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne, 9 volumes parus entre 1773 et 1782 la réputation de cet ouvrage vaudra à Court de Gébelin d’être nommé « Censeur royal » à partir de 1773.
Volume 1: Monde Primitif, analysé et comparé avec le monde moderne, considéré dans son génie allégorique et dans les allégories auxquelles conduisit ce génie précédé du plan général des diverses parties qui composeront ce monde primitif avec des figures en taille-douce, par M. Court de Gebelin de Société Économique de Berne, et de l’Académie Royale de La Rochelle. Paris 1773. Nombre de pages 625. Disponible ici sur Gallica BnF.
Volume 2: Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne, considéré dans l’histoire naturelle de la parole ; ou grammaire universelle et comparative; par M. Court de Gebelin, de la Société Économique de Berne, et l’Académie Royale de La Rochelle. Paris 1774. Nombre de pages 727. Disponible ici sur Gallica BnF.
Volume 3: Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne, considéré dans l’histoire naturelle de la parole ; ou origine du langage et de l’écriture, avec une réponse à une critique anonyme, et des figures en taille-douce. Par M. Court de Gebelin de la Société Économique de Berne, et de l’Académie Royale de La Rochelle. Paris 1775. Nombre de pages : 687. Disponible ici sur Gallica BnF.
Volume 4: Le Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne considéré dans l’histoire du calendrier « Qu’ils servent (le Soleil et la Lune) de Signes, pour les fêtes , pour les jours, & pour les Années. » (tome 4). Paris 1776. Nombre de pages : 675. Disponible ici sur Gallica BnF.
Volume 5: Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne considéré dans les origines françoises ou dictionnaire étymologique de la langue françoise par M. Court de Gebelin de la Société Économique de Berne, des Académies Royales de La Rochelle, Dijon et Rouen. Paris 1778. Nombre de pages 771. Disponible ici sur Gallica BnF.
Volume 6: Le Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne considéré dans les origines latines ou Dictionnaire Étymologique de la langue Latine avec une carte et des planches : Par M. Court de Gébelin, de Diverses Académies (tome 6). Première Partie. Paris 1779. Nombre de pages 727. Disponible ici sur Gallica BnF.
Volume 7: Monde primitif, analysé et comparé avec le monde moderne, considéré dans ses origines latines ; ou dictionnaire étymologique de la langue latine ; avec une carte et des planches, seconde partie par M. Court de Gebelin, de diverses académies, Paris 1780. Nombre de pages 841. Disponible ici sur Gallica BnF.
Volume 8: Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne, considéré dans les divers Objets concernant l’Histoire, le Blason, les Monnaies, les jeux, les Voyages de Phéniciens autour du Monde, les Langues Américaines, etc. ou Dissertations mêlées (tome 1) remplies de découvertes intéressantes ; avec une carte, des planches, et un Monument d’Amérique. Par M. Court de Gebelin, de diverses Académies, Censeur Royal. Paris 1781. Nombre de pages 731. Disponible ici sur Gallica BnF.
Volume 9: Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne, considéré dans les origines grecques ; ou dictionnaire étymologique de la langue grecque, précédé de recherches et de nouvelles vues sur l’origine des Grecs et de leur langue, par M. Court de Gébelin, De diverses Académies, Censeur Royal à Paris 1782. Nombre de pages 793. Disponible ici sur Gallica BnF.
Ce terme de Triacleur n’étant plus guère en usage aujourd’hui, on va essayer dans cet article d’éclairer ce qu’il signifie, en explorant les ressources de Gallica BnF ainsi que quelques dictionnaires…
Dans son incontournable Dictionnaire universel Antoine Furetière (1690) définit le terme de Triacleur (substantif masculin), comme étant un « Saltimbanque, un charlatan qui vend en place publique ou sur un théâtre, de la thériaque, ou autres drogues vicieuses, après avoir amassé le peuple par ses bouffonneries. » Cette définition n’éclaire guère si on ignore ce qu’il faut entendre par Thériaque. Un autre dictionnaire, Le vocabulaire français du XVIe siècle, Deux mille mots peu connus signé Hugues Vaganay (1870-1936) définit le Triacleur comme un «porte-trompette» Le Dictionnaire de la langue romane du vieux français de François Lacombe (1768) le définit comme un «charlatan» ou un «praestigiator» (= illusionniste en italien). Quelle est cette Thériaque et pourquoi justifie-t-elle de jouer de la trompette, où de se livrer à des numéros d’illusionniste?
Le commerce de la thériaque était si mal vu au XVIIIe siècle que pour attaquer les jésuites, une estampe les représente sous le titre Au grand Magasins de Thériaque.
Quelle est donc cette Thériaque, si funeste qu’elle serait capable de détruire la France?
Dans son roman « Histoire de Gil Blas de Santillane » Alain-René Lesage (1668-1747) invente, pour se moquer de Voltaire, un auteur de théâtre imaginaire nommé Gabriel Triaquero. Sainte-Beuve, annotateur du roman, dans l’édition Garnier de 1864, explique : « Il n’y a jamais eu de poète espagnol qui s’appelât Triaquero. Ce n’est que pour attaquer Voltaire sous ce nom peu flatteur que Le Sage a conçu l’idée du chapitre qu’on va lire. Triaquero veut dire vendeur de Thériaque, en vieux français, triacleur, et en langage moderne, charlatan. »
Quelle est donc cette incroyable Thériaque si compromettante, qu’elle permet d’attaquer à la fois Voltaire et les Jésuites?
Aux pages 88 et 89 de cet ouvrage Joseph Bernhard explique que dès le Moyen-âge des «les chroniques […] nous montrent les campagnes de France sillonnées par des rebouteux ambulants, charlatans de bas étages, promenant de bourgades en bourgades, leur empirisme effronté, et leurs «boëtes de triacle» [boîte de thériaque]. Ces colporteurs vendaient pour de la thériaque les drogues les plus dégoûtantes, et les mots triaclerie, triacleurs, devinrent d’un usage courant pour désigner une tromperie un falsification, une action malhonnête, digne d’un vendeur de thériaque; un fraudeur, un charlatan, un imposteur. Une farce: Le Pardonneur, le Triacleur et la Tavernière, datée du commencement du XVIe siècle met un en scène un de ces marchands de thériaque vagabonds…» (source Gallica BnF). Depuis le terme de Triacleur est devenu une sorte de quolibet, une injure, un terme suffisamment relevé cependant pour figurer dans Les Remarques de M. de Vaugelas sur la langue françoise, tome 3 (page 22). Claude-Favre de Vaugelas (1585-1681) précise qu’« Il faut dire Triacleur, qui vend de la thériaque, ou passe pour un Charlatan, & et non pas Theriaqueur. »
Mahturin Regnier (1573-1613 dans sa Satyre XIII intitulée « Macette ou l’hypocrisie déconcertée » évoquant l’hypocrisie des grands de la cour écrit :
« Tous ces beaux suffisants dont la cour est semée »
« Ne sont que triacleurs et vendeurs de fumée. »
Au XIXe siècle le terme de Triacleur était encore utilisé dans son sens argotique. Plusieurs paragraphes lui sont consacrés dans La grande bohême, histoire des royaumes d’Argot et de Thunes, du duché d’Égypte… : suivie d’un dictionnaire complet des diverses langues fourbesques et argotiques de l’Europe à toutes les époques (1850) page 211 (cliquez ici pour les lire sur Gallica BnF). On trouve quelques occurrences de ce terme dans la presse quotidienne de la fin du XIXe siècle.
Dans La Dépêche de Toulouse du 6 décembre 1888, Louis Braud affuble le général Boulanger du sobriquet de « triacleur » à l’occasion de son discours de Nevers (décembre 1888) : « comme celle du « triacleur » de la fin du seizième siècle, la drogue de M. Boulanger guérit de tous les maux. Il jure d’opérer les réformes sociales et promet du beurre aux classes laborieuses et surtout aux paysans. » (cliquez ici pour lire l’article sur Gallica BnF).
Voilà ce qu’on pouvait dire de ce vieux mot oublié qui mérite sans doute de réapparaître dans les dictionnaires d’aujourd’hui, surtout à l’heure où les débats médicaux inondent les médias à l’occasion de la pandémie de Covid-19. Pour ma modeste part, j’ai tenté de le faire revivre en Juillet 2020, dans un rondeau intitulé Le Triacleur.
En France on aime polémiquer sur les questions d’orthographe. Chacun adore démontrer à autrui qu’il parle une langue incorrecte, chacun cherche à prouver qu’il sait mieux que quiconque arpenter les ténébreux labyrinthes de la grammaire française, qu’il sait mieux qu’autrui pratiquer la correction du beau langage. Écrire et parler en bon français est devenu un sport national. Désigner à la moquerie des foules celui qui s’est égaré dans la faute d’orthographe ou de grammaire est presque devenue une discipline olympique, un jeu, un combat. Chaque génération aime à prouver à la suivante que la pratique de la langue décline dans la jeunesse et qu’elle s’emmêle dans une grammaire approximative. Quand un journal publie une coquille, il n’est pas rare que cela devienne l’objet d’un débat vif et acharné permettant aux preux chevaliers de la belle raison, du beau langage et de la juste science d’abattre à coups de Bescherelle le chevalier félon du camp adverse.
L’occasion d’une telle polémique inflammable aurait sans doute pu naître aujourd’hui à partir d’un article du Figaro consacré au Docteur Raoult de l’I.H.U. de Marseille auditionné par une commission parlementaire ce Mercredi 24 Juin. Voici ce qu’on peut lire dans cet article:
Vous avez bien lu. Il est écrit « Charlatant » au lieu du « Charlatan » habituel que votre dictionnaire annonce comme étant l’orthographe correcte, celle qui vous a peut-être permis un jour d’avoir un 10 sur 10 en dictée. Ce surprenant « T » vilainement ajouté serait-il une horrible faute de grammaire qui mériterait de susciter un tapage symphonique sur les réseaux sociaux, une de ces discussions âpres fondées sur le fait que Le Figaro emploierait comme correcteurs des stagiaires dysorthographiques pour écorner l’image du docteur Raoult? Cet épouvantable « T » écorchant le regard des amoureux de l’orthographe n’est-il pas l’occasion offerte de se mobiliser en masse pour défendre la belle langue de Molière traitreusement agressée?
Il est parfois bon de ne pas être trop sanguin et de ne pas s’enflammer trop rapidement. Ce « charlatant » d’apparence douteuse pourrait bien s’avérer ne pas être du tout une faute mais bien au contraire le signe d’une connaissance fine de tous les méandres subtils d’une langue qui pour être celle de Molière est aussi celle de Ronsard et de bien d’autres: de vous, de moi et de bien d’autres bavards oubliés. « Charlatant » n’est que le participe présent du verbe « Charlater« , un vieux verbe oublié mais pas complètement par tout le monde. Une simple exploration des riches ressources des collections numériques de Gallica BnF va nous en apporter quelques illustrations. Ce verbe, bien que peu courant, est d’un usage ancien.
Ce verbe est toutefois, nous devons l’admettre, d’un usage fort peu courant dans les ouvrages imprimés. En sondant les collections numériques de Gallica BnF je n’ai trouvé son usage que dans un texte extrait du volume 6 des « Variétés historiques et littéraires : recueil de pièces volantes rares et curieuses en prose et en vers » revue et annotées par Édouard Fournier (1819-1880). Il s’agit d’un conte intitulé « Le Pont-Breton des Procureurs dédié aux clercs du Palais » celui que Ferdinand Brunot citait (voir plus haut). Ce conte débute par ces mots : « Déjà les ténèbres descendaient le grand galop des montagnes, et déjà ma plume s’alentissait si fort que le cageoleur babil d’un procureur, dictant à un sien copiste, m’était très ennuyeux… » Il y est question d’un « demeurant rue de La Harpe qui sait si bien charlater que souvent il fait croire à de jeunes barbes qu’il a bien rencontré ». Edouard Fournier explique en note qu’il ne connaît pas d’autre usage de ce mot charlater. Il pense que son étymologie est italienne:
En ce qui concerne l’usage du verbe charlater au participe présent en tant que substantif, j’en ai trouvé un usage intéressant dans un article du 24 Décembre 1882 du journal L’avenir d’Arcachon : organe des intérêts politiques, industriels et maritime de la contrée. L’article est consacré à l’invention de la marionnette par l’inventeur nommé Marion. L’auteur explique d’abord qu’en 1868, un charlatan, fort expert en son art, montra à Paris les premiers pantins en bois que l’on eut vus en France. L’article se termine par ces mots.
À noter toutefois qu’Antoine Furetière ignore l’usage du verbe « charlater » et donc du participe présent charlatant… Il connaît en revanche le substantif Charlatan et le verbe charlataner.
Afin de prouver que ce vocable est bel et bien vivant en 2020 et qu’il est même poétique, j’ai écrit le Jeudi 25 Juin 2020, un rondeau intitulé IL CHARLATE.