Belles personnes émouvantes et fragiles

invitation à lire « La vie commence par une Majuscule et continue après le point » (nouvelles) par N’zua Enam

Plonger dans l’univers des nouvelles de N’zua Enam est une tourbillonnante aventure de lecture que je vous conseille vivement. N’zua Enam porte sur l’humanité un regard tendre, sensible, espiègle parfois. Nous sommes tous matière de langage et l’être humain (avec son corps et ses humeurs, avec ses mystères et ses sourires, ses sentiments et ses opacités) devrait pouvoir se lire un peu comme un livre. Mais la vie des êtres humains est un peu plus compliquée que cela. Entre les mots et les êtres se tisse une relation complexe, faite de psychologie, de transparence et d’opacité, de sentiments et d’aveuglement, de passions et de raisons. Cet imperceptible qui se joue du sens des mots pourrait-il se nicher dans cet imperceptible souffle de la ponctuation ? Ce titre : « La vie commence par une Majuscule et continue après le point » nous entraîne à nous poser cette question tant il est écrit dans une langue ponctuée… Il nous entraîne aussi (et c’est heureux pour le plaisir de la lecture) à la rencontre de personnages attachants charnels et beaux que la plume de N’zua Enam dessine avec tact et délicatesse. Comme dans ces estampes orientales où l’on économise le trait pour trouver les lignes essentielles, les phrases du livre s’enchaînent et nous étreignent pour nous faire rencontrer de belles personnes, émouvantes et fragiles comme dans la vie. Elle est fugace cette existence et si les présences humaines illuminent le monde elles finissent toujours par s’éteindre fatalement. Mais avant l’extinction, il y a le miracle de cette vie aux détours et obstacles inattendus, aux labyrinthes compliqués, aux horizons limpides. On croisera des amoureuses, des amoureux déboussolés face à la passion, une grand-mère qui vieillit, mais qui trouve le temps de partager avec sa petite fille le récit d’un amour de jeunesse romanesque. Un père qui veut retrouver sa fille, une aveugle qui par coquetterie masque sa cécité, une femme et un homme aimantés l’un par l’autre et qui n’y comprennent rien… Le regard porté sur le monde est ici dans ses nouvelles un regard féminin, sympathique, empathique. Ce livre est celui d’une femme libre au regard sensible, exigeant, attentif à autrui. L’écriture est libératrice et la lecture aussi. Pour toutes ces raisons, je vous conseille la lecture de ce livre. Libérez-vous, lisez-le, vous découvrirez une richesse belle et tendre de sentiments profondément humains. N’zua Enam a la passion des êtres de la psyché humaine aux savants détours baroques. Les personnages se croisent et se rencontrent, s’évitent et se désirent, s’admirent et se sourient, comme dans un ballet, comme dans une danse, comme dans la vie… Il y a un souffle et un style dans l’écriture de N’zua Enam. Elle est ponctuée de toutes les figures et de toutes les épices qui donnent goût à la vie. Peut-être est-ce cela la vraie ponctuation, celle qui donne un rythme aux phrases ? Il y a plusieurs nouvelles dans ce livre, mais il se lit comme un roman. Une lecture où l’on est impatient d’atteindre la fin et où l’on est un peu triste de devoir quitter les personnages. Heureusement, on sait qu’il restera là, ce livre, dressé dans la bibliothèque, toujours prêt à susciter de nouveaux plaisirs de lecture.

Il faut souligner les efforts fait sur l’édition proprement dite qui font de ce livre un bel objet : une couverture et des illustrations signées Emmanuelle Delouhans, un texte soigné dans sa présentation.

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2 Octobre 1619 Naissance de Tallemant-des-Réaux

 

Illustration; © Sylvain Sauvage (1924) extraite  de »Les Belles Dames de Paris »

Gédéon Tallemant des Réaux (1619-1692) est un nom que l’on voit souvent apparaître lorsqu’on s’intéresse au XVIIe siècle. Il devient familier sans que l’on ne sache exactement expliquer pourquoi, ni qui se cache derrière ce nom vaguement évocateur d’une certaine atmosphère, d’un milieu, d’un climat… Évocateur de quoi au juste ? Nous allons tenter d’évoquer cette question en vagabondant dans les riches et passionnantes collections numériques de Gallica BnF mais aussi dans celles de Numelyo, de la Bibliothèque Municipale de Lyon…

Ainsi, par exemple, on constate que le nom de Tallemant des Réaux  et sa prose, sont abondamment cités dans presque toutes les notes en bas de pages des œuvres complètes de Vincent Voiture (1597-1648)… Notamment dans cette belle édition publiée en 1853, en deux volumes chez Charpentier Libraire Éditeur

Tome 1 des Oeuvres de Vincent Voiture, disponible ici chez Gallica BnF

Tome 2 des Oeuvres de Vincent Voiture disponible ici chez Gallica BnF 

Pourquoi cette présence de Gédéon Tallemant des Réaux sous les œuvres de Vincent Voiture ? Serait-ce parce-qu’il aurait écrit un livre consacré à ce singulier personnage ? Non. À sa mort (le 10 novembre 1692) Gédéon n’était l’auteur d’aucun livre publié…

Il est né le 2 Octobre 1619 à La Rochelle.

Hôtel de Ville de La Rochelle (1606) par Rochebrune (document Gallica BnF)

En ce mois d’Octobre 2019 nous fêtons donc son quatre-centième anniversaire, une occasion rêvée pour évoquer sa vie et son œuvre. Car même s’il n’avait rien publié de son vivant, ses contemporains le connaissaient et appréciaient ses poésies pour la plupart aujourd’hui perdues. Certaines ont toutefois survécues (par exemple « Le Lys » dans le recueil « La Guirlande de Julie » disponible sur Gallica BnF ici).

Gédéon Tallemant des Réaux n’avait jamais eu besoin de travailler pour gagner sa vie. Né dans un milieu privilégié, Gédéon est le fils d’un banquier protestant de la Rochelle: Pierre Tallemant. Celui-ci s’était installé à Paris en 1634, dans un Hôtel particulier de la rue des Petits Champs, avec toute sa famille. Gédéon eut donc une jeunesse dorée de fils de bonne famille, ambitieux et artiste.. Avant même d’être officiellement anobli, il avait adjoint à son patronyme le nom de Des Réaux (qui était celui d’une terre située en Bourbonnais, non loin de Montluçon), une propriété que Gédéon a vendu en 1653 après avoir acheté un Château près de Chinon auquel il avait donné le nom de Château des Réaux..

Sa famille avait fait fortune dans la banque et le commerce mais Gédéon Tallemant Des Réaux se passionnait d’abord pour la littérature. Il se plongeait avec plaisir dans la lecture des romans à la mode : L’Amadis des Gaules, L’Astrée

À l’âge de dix-huit ans, on offre la possibilité à ce grand lecteur de s’évader de ses livres pour faire du tourisme en compagnie d’un de ses cousins et de l’abbé de Retz. Ils visitent Avignon, Aix en Provence, Marseille, Florence, Venise, puis Rome. C’est à Rome qu’il fit connaissance de Vincent Voiture qui allait devenir l’un de ses meilleurs amis… Tallemant des Réaux aurait sans doute aimé écrire un commentaire, un ouvrage à son sujet. Il n’a pas été jusqu’au bout de son envie. Certes il écrivait… Son travail n’a cependant pas été inutile puisque des commentaires signés par Gédéon Tallemant des Réaux enrichissent désormais les éditions des oeuvres de son ami Vincent Voiture…

Après son voyage en Italie, Gédéon Tallemant des Réaux fait des études de droit, puis en janvier 1646, il épouse sa cousine Elisabeth de Rambouillet (qui était alors âgée de treize ans)… Grâce à ce mariage Gédéon acquiert une fortune qui lui permettra de ne plus jamais avoir à travailler pour vivre.

Ce mariage l’introduit également dans le cercle du Salon de l’Hôtel de Rambouillet, il y rencontrera de nombreuses personnalités qui comptent à l’époque intellectuels, écrivains, philosophes… Il y croise notamment Malherbe, Rotrou, Corneille, Conrart… et à nouveau Vincent Voiture, et bien d’autres encore… Cette fréquentation de l’Hôtel de Rambouillet est également l’occasion pour Gédéon Tallemant des Réaux de prendre une foule de notes, dans ses carnets, sur les personnages qu’il rencontrait, sur les conversations auxquelles il a participé… Il a travaillé sur ce manuscrit jusqu’en 1659… Ses notes écrites ont ensuite dormi, ignorées, inconnues, dans diverses bibliothèques…

Retrouvé dans les années 1830, ce manuscrit fut publié en 1834 par quelques érudits: messieurs Monmerqué, de Châteaugiron et Taschereau, sous le titre « Historiettes pour servir à l’histoire du XVIIe siècle publiées sur le manuscrit inédit et autographe ».

Un article (paru le 18 décembre 1833, au sujet de cette édition), dans Le Figaro, nous renseigne sur la façon dont elle a été reçue. C’est d’abord le parfum de scandale de ces « indiscrétions » parfois irrévérencieuses sur les grands de ce monde qui a frappé les premiers lecteurs de ces écrits. « Ces révélations sont piquantes; les Historiettes de Tallemant des Réaux en fourmillent, et son livre n’est qu’un inépuisable recueil d’historiettes. Combien ce livre arrive à propos et de quels noms il se recommande près de cinq cents pages à lire au coin du feu, dans le fauteuil ou au lit. Deux siècles éparpillés comme les images d’un album images de reines et de leurs amours, de chevaliers et de leurs duels, de poètes et de leur misère et tout cela vivant, bien plus vivant que dans l’histoire avec ses réflexions et ses systèmes, plus vivant encore que dans les mémoires purement dits, ces confessions si égoïstes et si pleines de réticences. » intégralité de l’article disponible ici sur Gallica BnF).
Cent ans plus tard, le 22 Décembre 1933 dans L’Européen, Pierre Audiat reprend des termes voisins pour annoncer une nouvelle édition des Historiettes par les Editions Garnier (1933) : « Les anecdotes ont été cueillis sinon à la source, du moins aux alentours immédiats de cette source. Le père de Tallemant était un banquier, et un banquier puissant puisqu’en association avec le financier Rambouillet, il avait le bail des cinq grosses fermes. De plus, il gérait la fortune du Cardinal de Richelieu. Au 17e siècle, les banquiers ressemblaient davantage à des notaires qu’aux directeurs de banque contemporains; ils étaient les confidents, les familiers tout au moins, de leurs clients; c est ainsi que le jeune Tallemant a pu saisir à la volée bien des détails pittoresques qu’aucun historien n’aurait été capable d’attraper. Par sa famille, il pénétrait donc dans le milieu de la riche oourgeoisie parisienne dont quelques types ont été dessinés par lui d’une façon magistrale. Mais par ses goûts, il s’était orienté vers le bel esprit et les belles-lettres. […] Certes, il ne faut pas oublier que les Parisiens ont été de tout temps malicieux et même  — risquons cet anachronisme — « rosses » dans leurs conversations. Pour le plaisir de faire un bon mot, ou de se mettre en valeur, on égratignait le voisin, on colportait des on-dit amusants mais fâcheux sur son compte. Tallemant a tout recueilli et avec d’autant plus d’empressement que le trait était plus piquant. II est donc difficile et même impossible de mesurer la part exacte de réalité que contiennent les anecdotes qu’il se plaît à rassembler, tantôt beaucoup, tantôt un- peu, quelquefois pas du tout. Mais, grâce à lui, nous avons une image fidèle de « ce qui se disait à Paris », vers 1650, et vues sous cet. angle, les Historiettes de Tallemant des Réaux forment un document incomparable, et peut-être unique […] Il prétend s’amuser de tout, plutôt que s’en indigner. II ne manie point le fouet de la satire, comme on disait de son temps; à peine une badine si mince et si légère qu’elle caresse au lieu de cingler. » Et pour conclure son article Pierre Audiat s’amuse et cite le portrait que Tallemant des Réaux dresse de Jean de La Fontaine le célèbre auteur des fables :
«
Un garçon de belles-lettres et qui fait des vers, nommé La Fontaine, est encore un grand rêveur. Son père qui est maître des eaux et forets de Château-Thierry en Champagne, étant à Paris pour un procès, lui dit : « Tiens! Va faire telle chose, cela presse. » La Fontaine sort et n’est pas plus tôt hors du logis qu’il oublie ce que son père lui avait dit. Il rencontre de ses camarades qui lui ayant demandé s’il n’avait point d’affaires : « Non » leur dit-il. et il alla à la Comédie avec eux… » (article intégral à découvrir ici sur le site Gallica BnF)

Une trentaine d’années plus tard, Antoine Adam, en préfaçant, dans les années 1960, Les Historiettes publiées  dans la collection de La Pléiade (en une version comprenant de nombreux passages censurés dans les édition précédentes) corrige l’image de Gédéon Tallemant des Réaux. Il n’est pas l’écrivain à scandale qu’une certaine tradition a fait de lui. Il cherche d’abord à faire œuvre de moraliste utilement, en notant les « travers » des grands dont il parle : « …il veut être utile. Et ce mot suffit à le distinguer des chroniqueurs à scandale. Ce n’est jamais le pittoresque seul qui l’occupe, qu’il soit innocent ou grossier. Il cherche le trait qui révèle les secrets d’un personnage historique. S’il parle de la passion de Richelieu pour la reine Anne et de ses rencontres amoureuses avec Marion, ce n’est pas qu’il trouve drôle de voir un grand homme dans une position ridicule. C’est parce-que Richelieu n’était pas cette figure olympienne que les historiens voulaient faire croire mais un être nerveux et passionné jusqu’au déséquilibre. » Tallemant des Réaux, a fait un véritable travail d’histoirien, en croisant plusieurs sources (orales, manuscrites et publiées, souvenirs et témoignages) explique Antoine Adam. Celui-ci invite à lire « les Historiettes sous un jour nouveau. Renonçons décidément à la vieille image que nous en avons eu jusqu’ici. Ne disons plus que Tallemant les a écrites en recueillant les propos de quelques personnages plus ou moins bien renseignés. La vérité, c’est qu’il a conçu son entreprise en véritable historien, et qu’il a réuni, à la fois, les témoignages verbaux, les textes imprimés et les mémoires manuscrits, sans négliger aucun des moyens d’informations dont il pouvait disposer. »

On peut parcourir les « Historiettes » en suivant plusieurs fils de lecture. La galerie de personnages présentés est riche, foisonnante. L’abondance des événements relatés l’est aussi. La chronologie s’étend du règne de Henri IV (qui s’est terminé neuf ans avant la naissance de Gédéon Tallemant-des-Réaux) jusqu’aux débuts du règne de Louis XIV. Le regard de Gédéon Tallemant-des-Réaux est singulier, libre, incisif, indiscret parfois, irrespectueux par moments. Mais ce qui est précieux dans ces écrits c’est l’impression qu’ils donnent d’être presque des témoignage oraux sur la société aristocratique de cette époque. Une société où règne un état d’esprit de liberté de ton, d’intérêt pour la littérature et la poésie, les relations de séduction où se mêlent urbanité et trivialité. La société qui est peinte est celle d’un milieu privilégié de parisiens, intellectuels, aristocrates, hauts-fonctionnaires, souverains mêmes.


On peut y suivre l’existence de femmes aux charmes troublants, de la Reine Margot à Marion de Lorme en passant par Marie de Médicis et Anne d’Autriche

On peut aussi y découvrir dans les méandres de l’histoire politiques des personnages obscurs et oubliés. En traversant ces textes animés comme une conversation de salon, on les voit vivre, séduire, pleurer ou rire, se battre, danser, dormir, manger, gagner ou perdre…

Tallemant des Réaux consacre plusieurs pages au Maréchal Louis de Marillac dont la fin fut tragique à la suite de la « journée des dupes » (11 novembre 1630). Il en parle en évoquant le Cardinal Richelieu et il lui consacre (sous le titre « Le Maréchal Marillac« ) une de ses Historiettes (cliquez ici) . Le procès intenté au Maréchal Louis de Marillac fait l’objet de développements remplis de suspense et de rebondissements. Avec le talent d’un Alexandre Dumas il n’est pas douteux que l’on pourrait tirer de cette affaire un épisode supplémentaire des aventures de d’Artagnan, Athos, Porthos et Aramis… Il est à noter que l’on trouve dans Tallemant des Réaux quelques notations qui ont contribué à faire naître les trois mousquetaires (par exemple dans cette anecdote. Le roi avait écrit une musique et voulait que le poète Boisrobert écrive des paroles sur cet air… À la lecture d’une première rédaction des paroles, Louis XIII était insatisfait car le poète avait mis le mot « désir ». Le roi n’en voulait pas. Boisrobert consulte alors Richelieu. Ce denier lui réplique: «O! devinez ce qu’il faut faire: ayons la liste des mousquetaires.» Il y avait des noms béarnais du pays de Tréville qui estoient des noms à tuer les chiens; Boisrobert en fit une chansons; Le Roy la trouva admirable…»).

À défaut d’écrire un roman de cape et d’épée, rempli de « noms à tuer les chiens », essayons d’exposer, en la simplifiant, cette affaire du Maréchal Louis de Marillac … Tallemant des Réaux nous y fait découvrir (par une brève allusion) l’ascension sociale d’un magistrat de province (un homme de l’ombre énigmatique sur lequel je me permets dans cet article de braquer les projecteurs). En 1630, Louis XIII (fils d’Henri IV et Marie de Médicis) est âgé d’une trentaine d’années. Il est marié à Anne d’Autriche, fille du Roi d’Espagne, depuis une quinzaine d’années. Richelieu est alors le personnage le plus influent du royaume depuis 1624 et dans les faits c’est lui qui gouverne la France et qui mène sa diplomatie. Mais sa politique ne plaisait pas à tout le monde. À la suite des guerres d’Italie, (pendant lesquelles le Maréchal Marillac s’était distingué par une singulière vaillance), la diplomatie du Cardinal de Richelieu aboutit à un rapprochement avec les princes protestants d’Allemagne et par le risque d’une guerre contre l’Espagne (patrie de la reine d’Autriche). Marie de Médicis et Anne d’Autriche essaient alors de manigancer des intrigues parmi les grands du royaume pour faire tomber le Cardinal Richelieu (avec l’aide de Mazarin, du Chancelier Marillac et de son frère le vaillant Mareschal Louis de Marillac). Tout le monde s’imagine que le Roi Louis XIII va céder aux pressions des deux reines et renvoyer le Cardinal.

La disgrâce du Cardinal Richelieu semble certaine. Mais le 11 Novembre 1630, coup de théâtre, à la suite d’une habile négociation menée par le Marquis de Rambouillet, Louis XIII change d’avis, confirme le pouvoir du Cardinal Richelieu et lui renouvelle toute sa confiance. L’Histoire a retenu cette journée comme étant la « journée des dupes ». Le Chancelier Marillac et son frère sont arrêtés. On intente un « procès pour l’exemple » contre le Mareschal Marillac emprisonné d’abord à Verdun, puis (nous précise Tallemant des Réaux) à Rueil « dans la maison même du Cardinal ». On réunit de manière expéditive plusieurs Conseillers de Parlement (magistrats de l’époque) pour condamner ce brillant militaire, soutien de Marie de Médicis. Cela n’allait pas être facile car le Maréchal de Marillac savait manier ses pions pour se rendre indispensable. Il s’était marié avec une Médicis cousine de Marie de Médicis. Il avait en outre le soutien d’Anne d’Autriche. C’était un homme redoutable qui avait tout d’un héros de roman « Il était grand, bien fait, robuste et adroit à toutes sortes d’exercices. » Il avait une réputation d’être invincible […] On disoit qu’à Rouen, ayant pris querelle à la paume [au jeu de paume], avec un nommé Caboche, et ayant été séparés, il le rencontra après, et le tua avant que l’autre ait pu mettre l’épée à la main. » Le Cardinal de Richelieu le redoutait et l’appelait « Marillac l’épée ».

C’est alors qu’intervient notre magistrat de province et habile juriste qui allait faire basculer toute l’affaire…

Le conseiller Antoine Bretagne du Parlement de Dijon (c’est de lui dont il s’agit) avait été chargé de mener l’instruction contre Marillac et il allait parvenir à ses fins après moult péripéties d’un procès hautement politique. Ce conseiller du Parlement de Dijon était un juge redoutable. Les charges que l’on était parvenu à réunir contre Marillac ne méritaient sans doute pas plus qu’une peine de prison. On parvint néanmoins à le condamner à mort explique Tallemant-des-Réaux « sur des ordres de tirer tant et tant de certains villages du Verdunois pour les exempter de gens de guerre, et l’on disoit qu’il avoit employé cet argent à bastir la citadelle de Verdun ». Autrement dit on accusait le Maréchal Louis de Marillac de s’être enrichi sur le dos des villageois des environs de Verdun pour construire une citadelle (un ouvrage de commandement militaire qui n’était pourtant pas un bien somptuaire érigé à son seul profit, on est loin des « villas avec piscine » des « huiles corrompues » d’aujourd’hui). Le 10 Mai 1632 en montant sur l’échafaud, le Maréchal de Marillac ne parvenait pas à comprendre ce qui lui arrivait : « C’est une chose étrange qu’on m’ait poursuivi comme on l’a fait. Il ne s’agit dans mon procès que de foin, de paille, de bois, de pierre et de chaux. » Le Cardinal Richelieu de son côté félicitait les juges qui étaient parvenu à mener une procédure aussi répressive : «Messieurs, il faut avouer que Dieu donne des connaissances aux juges qu’il ne donne pas aux autres hommes ; je ne croyais pas qu’il méritât le mort. » Antoine Bretagne auteur de ce succès
juridico-politique se voyait quant à lui récompensé par Louis XIII qui le nomma Premier Président du Parlement de Metz, nouvellement créé en janvier 1633.

Ce fut le début d’une belle ascension sociale pour cette famille de magistrats (c’est Le Dictionnaire des familles françaises anciennes ou notables à la fin du XIXe siècle. qui nous l’apprend). Antoine Bretagne devint en 1637 Premier Président du Parlement de Dijon et Baron de Loisy, tandis que son fils Claude lui succédait comme Premier Président du Parlement de Metz…

Le sévère Premier Président du Parlement de Dijon allait-il poursuivre son ascension vers des fonctions plus brillantes encore ? Par exemple irait-il siéger au prestigieux Parlement de Paris ? Parviendrait-il à accéder au prestigieux Salon de Rambouillet ? Allait-il accéder aux plus prestigieuses charges de la Chancellerie ? Aurait-il l’occasion de fréquenter Vincent Voiture, Gilles Ménage, Racan ou d’autres beaux esprits parisiens? Aurait-il l’audace de soutenir de son bras la pétillante Mademoiselle Des Jardins pour se voir offrir de la part de cette jeune poétesse un madrigal tourné avec grâce et esprit?

"Quoy! Tircis, bien loin de m'abattre
Vous m'empêchez de succomber! 
Quoy! Vous me relevez lorsque je veux tomber, 
Et vous restez des bras pour vous combattre!
Après cette belle action, 
On verra votre nom au Temple de la Mémoire
Et l'on vous nommera le héros de ma gloire, 
Mais aussy le bourreau de vostre passion."

Non. Le destin du Premier Président Antoine Bretagne Baron de Loisy fut brutalement interrompu en 1638 : « On le trouva bruslé ; car un jour estant demeuré seul, il estoit tombé dans le feu, et comme il estoit foible, il ne s’en put tirer » explique Tallemant des Réaux. Hasard ou vengeance Florentine ? L’histoire ne le dit pas, mais le romancier, s’il est lecteur des Trois Mousquetaires, peut tout imaginer…

Les Historiettes on le voit à l’évocation de l’épisode que nous venons d’évoquer, sont une mine inépuisable d’inspiration romanesque et de feuilletons infinis à imaginer encore et encore pour les faire rebondir à nouveau sur de nouveaux rythmes… Gédéon Tallemant des Réaux consacre de nombreuses lignes à son ami Vincent Voiture que nous avons déjà évoqué et qui était un des piliers du salon de Rambouillet et un homme d’esprit. Les Historiettes fourmillent d’anecdotes à ce sujet. Citons-en deux: « Monsieur de Blairancourt disoit à Madame de Rambouillet que voyant qu’on ne parloit que de ce livre [de Vincent Voiture] qu’il l’avoit lu et trouvoit que Voiture avoit de l’esprit. « Mais Monsieur, » lui respondit Madame de Rambouillet, « pensiez-vous que c’étoit pour sa noblesse ou pour sa belle taille qu’on le recevoit partout comme avez veu? » Ce dialogue traduit admirablement cet « esprit de finesse » qui régnait alors dans les conversations…

On trouve aussi dans ces « Historiettes » quelques remarques propres à alimenter l’esprit sur l’activité du poète. Ces réflexions sur l’écriture et le style apparaissent à plusieurs reprises à propos de nombreux portraits (ceux de ,Gilles Ménage ou l’évocation d’un poète oublié Neuf-Germain). On en trouve évidemment dans le portrait vivant qu’il dresse de l’aristocrate et poète François de Malherbe…

Lorsqu’il évoque Malherbe, Tallemant des Réaux évoque bien sûr sa personne : « Il estoit grand et bien fait, et d’une constitution si excellente qu’on a dit de lui, aussi bien que d’Alexandre, que ses sueurs avoient une odeur agréable. Sa conversation étoit brusque, il parloit peu mais il ne disoit mot qui ne portast. Quelquefois mesme, il étoit rustre, incivil… »

Mais dans l’historiette qu’il lui consacre il est abondamment question d’écriture, de style, de critique littéraire, de goût, d’esthétique, de manies verbales aussi. Malherbe n’était pas quelqu’un de commode. Certains dialogues ne manquent pas de vivacité et de mordant. Par exemple cet échange avec Vaucquelin Des Yvetaux. Celui-ci était originaire de Caen comme Malherbe et il avait été engagé comme précepteur du Prince de Vendôme. Leur différend portait sur la présence de sonorités plus ou moins gênantes et laides (ou belles et amusantes à chacun d’en juger).

« Des Yvetaux lui disoit que c’estoit une chose désagrable à l’oreille que ces trois syllabes :malapla toutes de suite dans un vers :

« Enfin cette beauté m’a la place rendüe »

« Et vous, lui respondit-t-il, vous avez bien mis : parablalafla

  • Moi ? Reprit des Yveteaux, vous ne sçauriez me le montrer
  • N’avez-vous pas mis, répliqua Malherbe

« Comparable à la flammme » ?

Tallemant des Réaux rapporte par ailleurs plusieurs remarques assez catégoriques de Malherbe sur l’art de composer les sonnets : « Les italiens ne lui revenoient point ; il disoit que les sonnets de Pétrarque estoit à la grecque, aussi bien que les épigrammes de Madame de Gournay. »

Ou encore:

« Il s’opiniastra fort longtemps à faire des sonnets irréguliers. Colomby n’en voulut jamais faire, et ne les pouvoit approuver. Racan en fit un ou deux mais il s’en ennuya bientost ; et comme il disoit à Malherbe que ce n’estoit pas un sonnet si n’observoit pas les règles du Sonnet : « Eh bien, » lui dit Malherbe, « si ce n’est pas un sonnet, c’est une sonnette. »

Bibliographie

Éditions des Historiettes disponibles chez Gallica BnF.

On y trouve la précieuse édition de 1834 (la première) des Historiettes : « Historiettes pour servir à l’histoire du XVIIe siècle » publiées sur le manuscrit inédit et autographe ; par messieurs Monmerqué, de Châteaugiron et Taschereau Editeur : Alphonse Levavasseur Libraire, 1834.

Tome 1 (cliquez ici pour le lire sur Gallica BnF)

Tome 2 (cliquez ici pour le lire sur Gallica BnF)

Tome 3 (cliquez ici pour le lire sur Gallica BnF)

Tome 4 (cliquez ici pour le lire sur Gallica BnF)

Tome 5 (cliquez ici pour le lire sur Gallica BnF)

Tome 6 (cliquez ici pour le lire sur Gallica BnF)

On peut également lire en ligne les neuf volumes de l’édition des « Historiettes» publiées en 1850 chez J. Techener Libraire grâce aux collections numériques de la Bibliothèque Municipale de Lyon:

Tome 1 (Tallemant des Réaux, Historiettes, J. Techener, 1850 Libraire B.M.Lyon)

Tome 2 (Tallemant des Réaux, Historiettes, J. Techener, 1850 Libraire B.M.Lyon)

Tome 3 (Tallemant des Réaux, Historiettes, J. Techener, 1850 Libraire B.M.Lyon)

Tome 4 (Tallemant des Réaux, Historiettes, J. Techener, 1850 Libraire B.M.Lyon)

Tome 5 (Tallemant des Réaux, Historiettes, J. Techener, 1850 Libraire B.M.Lyon)

Tome 6 (Tallemant des Réaux, Historiettes, J. Techener, 1850 Libraire B.M.Lyon)

Tome 7 (Tallemant des Réaux, Historiettes, J. Techener, 1850 Libraire B.M.Lyon)

Tome 8 (Tallemant des Réaux, Historiettes, J. Techener, 1850 Libraire B.M.Lyon)

Tome 9 (Tallemant des Réaux, Historiettes, J. Techener, 1850 Libraire B.M.Lyon)

Edition la plus complète pour le texte et l’appareil critique:

Tallemant des Réaux, Historiettes, Gallimard, La Pléiade, 1960, deux tomes, Préfacés et annotés par Antoine Adam. C’est cette édiont que j’ai le plus consulté pour rédiger cet article de blog (lien vers la notice du Catalogue général de la BnF)

Edition abrégée intéressante pour ses illustrations

Les Belles Dames de Paris, Historiettes de Tallemant des Réaux avec une préface de Gérard Bauer et des illustrations de Sylvain Sauvage, Editeur : « Le Livre » 1924 (notice sur le Catalogue général de le BnF). C’est de ce livre et à Sylvain Sauvage qu’est emprunté le portrait de Tallemant des Réaux illustrant cet article de blog).

Si vous êtes des lecteurs pressés vous trouverez aussi dans les collections Gallica BnF une version raccourcie des « Historiettes » sous le titre « Rois et grandes dames d’autrefois d’après Tallemant des Réaux, avec appendice et notes »par M. Meyrac Rédacteur en chef du Petit Ardennais, publié en 1911 chez Albin Michel. Cette édition a le mérite d’être illustrée par des gravures, j’en ai utilisé quelques-unes pour cet article (cliquez ici)

Notice biographique sur le site internet du Musée Protestant:

https://www.museeprotestant.org/notice/gedeon-tallemant-des-reaux-1619-1692/

Bibliographie sur Tallemant des Réaux établie par la BnF (Bibliothèque Nationale de France) cliquez ici.

Pour une approche universitaire des Historiettes

Karine Abiven, L’anecdote ou la fabrique du petit fait vrai. De Tallemant des Réaux à Voltaire (1650-1750) Paris, Classiques Garnier, série « Lire le XVIIe siècle », 2015 (483 pages). Présentation sur « Open édition ».

Marie-Thérèse Ballin, Les Historiettes de Tallemant des Réaux. Manuscrit privé ou écrit clandestin, in Revue d’histoire littéraire de la France (2013) disponible sur cairn info (cliquez ici)

Marie-Thérèse Ballin, Hybridité génériques et discursives dans les historiettes de Tallemant des Réaux, thèse de doctorat de l’Université de Toronto (disponible en ligne cliquez ici)

Lilia Coste, « Entre l’ana et l’anecdote : note sur les historiettes bigarrées de Tallemant des Réaux », Écrire l’histoire [En ligne], 17 | 2017, mis en ligne le 28 septembre 2020, consulté le 28 septembre 2019. Lilia Coste est doctorante en Langue, littérature et image au sein du CERILAC de l’université Paris-Diderot. Sa thèse a pour objet « L’écriture au féminin dans les Historiettes de Tallemant des Réaux : entre Histoire et Fiction », (cliquez ici)

Biographie de Tallemant des Réaux en deux volumes par Emile Magne (1877-1953):

Emile Magne, Bourgeois et financiers du XVIIe siècle. La joyeuse jeunesse de Tallemant des Réaux (1921)

Emile Magne La fin troublée de Tallemant des Réaux (1922)

André Billy, « L’oeuvre littéraire du 20 Septembre 1922, André Billy article consacré à la parution de ces deux livres qu’Emile Magne consacre à la biographie de Tallemant des Réaux (cliquez ici)

Vincenette Maigne, Le manuscrit 673 [Texte imprimé] / Tallemant Des Réaux ; édition critique par Vincenette Maigne, Klincksieck, 1994

Bernard Gineste, « Gédéon Tallemant des Réaux, La reine Marguerite (vers 1659) in Corpus Étampois (cliquez ici)

Vinaigrette, Gédéon Tallemant des Réaux, papa des Historiettes, dans son château Tourangeau (cliquez ici)

Le Château des Réaux en zone inondable in Val de Loire Patrimoine mondial (13 avril 2017 mis à jour 13 novembre 2018) cliquez ici.

Gédéon Tallemant des Réaux à Paris et Réaux in Terres d’écrivains, Annuaire des lieux littéraires (cliquez ici)

Davide Caviglioli,  in L’Obs sélectionnait Les Historiettes de Tallemant des Réaux parmi les dix chef-d’oeuvres en poches pour les vacances 9 août 2013 (cliquez ici).

Article du 8 mai 2017 signé JB sur le blog Club de lectures à propos des « Historiettes de Tallemant des Réaux chez Folio (cliquez ici)

Caroline Lewandowski, La poétique des historiettes de Tallemant des Réaux, thèse de doctorat en préparation en Lettres langues et linguistique à l’Université de Lyon depuis le 23 novembre 2000 (cliquez ici)

Page Wikipedia consacrée à Sylvain Sauvage (auteur du portrait de Tallemant des Réaux illustrant cet article) cliquez ici

Si cet article vous a plu, vous aurez peut-être envie de découvrir mes livres Sansonnets aux sirènes s’arriment (cliquez ici) ou Sansonnets un cygne à l’envers (cliquez ici) ou de participer aux ateliers d’écriture que j’anime (cliquez ici).

Olivier de Serres et Clotilde la poète…

En flânant en touriste dans les collections de Gallica BnF en quête de renseignements sur un célèbre agronome ardéchois nous découvrirons une belle et mystérieuse Clotilde aux étonnants talents littéraires… Qui était cet agronome ? Qui était cette mystèrieuse poète ?

Gravure extraite du livre de la Comtesse Drohojoswska, Les grands agriculteurs… un document Gallica BnF

En 1600, un livre imposant venait de paraître. Il s’imposait tellement que le roi Henry IV se le faisait lire à voix haute chaque soir, pendant une demie-heure. Quel était cet ouvrage ? « Le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs d’Olivier de Serres Seigneur du Pradel ». (Un monumental ouvrage de 1050 pages. Disponible sur Gallica BnF ici.)

Qui en était l’auteur ?

Nous commémorons en ce mois de Juillet 2019 le 400e anniversaire de sa disparition

Fac simile d’un portrait d’Olivier de Serres peint par son fils in « Olivier de Serres » par Henry Vaschalde Document Gallica BnF

C’est une occasion d’en apprendre un peu plus à son sujet en explorant la vaste forêt de livres numériques des collections Gallica BnF.

Olivier de Serres est né en 1539 au domaine du Pradel, à Villeneuve-de-Berg, en Vivarais (Ardèche) où il est mort le 2 Juillet 1619.

À la fin du XIXe siècle Léon Védel (artiste peintre qui souhaitait réaliser un tableau représentant Olivier de Serres recevant Henry IV au domaine du Pradel) a donné de ce domaine une description saisissante « Nous gravissons rapidement une pente assez raide, et nous nous trouvons presque immédiatement à l’orée d’un magnifique bois de chênes. Notre regard se perd sous ces hautes futaies, dans ces.profondeurs ombreuses, à travers ces troncs centenaires que des reflets lumineux dorent çà et là. Soudain, les arbres semblent s’écarter comme un rideau qui s’ouvre, et font place à une immense prairie. 
A droite et à gauche, le bois dresse ses plus belles futaies. Tout au fond, dans une perspective admirablement ménagée, une construction aux murs d’un blanc éclatant, arrête le regard. C’est le Pradel. Ce vaste rectangle, sans ornement, produit de loin l’effet grandiose que fait une masse simple et régulière. Cette première manifestation du passé que nous venons évoquer ne laisse pas que de nous émouvoir. Nous sommes en pleine histoire, et l’homme qui vécut là est une des illustrations de la France. »

Dans ce domaine du Pradel, mais aussi en exil en Suisse durant les guerres de religions, Olivier de Serres a travaillé durant près de quarante ans à son œuvre monumentale « Le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs ». La postérité (qui n’a pas attendu l’apparition de l’internet pour aimer les petites phrases) a retenu de lui quelques formules frappantes :

« Ce n’est pas seulement ce qu’on sème qui rapporte, c’est ce qu’on soigne. »

« Rien de plus grand ne se peut présenter aux hommes que ce qui les achemine vers la conservation de la vie… »

« La terre se délecte en la mutation des semences. » ou encore « Le jus de la betterave, en cuisant, devient semblable au sirop, au sucre, est si beau à voir par sa vermeille couleur. »

Il fut le premier à apercevoir le profit que l’on pouvait tirer du jus de la betterave, le premier également à avoir écrit sur la culture des vers à soie (qui allait faire la fortune de l’industrie textile, notamment dans le quart sud-est de la France, à Lyon).

Pour lui, «Nul bien ne s’obtient sans peine. C’est une vérité de tous les temps, acceptée par Columelle et vérifiée par les effet, que pour faire une bonne maison il faut joindre ensemble le savoir, le pouvoir, le vouloir.»

Mais au fait, Olivier de Serres a-t- réellement disparu il y a 400 ans ? N’a-t-il pas survécu grâce au rayonnement de ses écrits ? Il aimait méditer devant les spectacles de la nature et il le faisait en poète.

En 1858 un curieux petit ouvrage ( Clotilde de Surville et Olivier de Serres, écrit par monsieur A-C. T…) relatait une rencontre entre Olivier de Serres et Clotilde de Surville autour de la région du Vivarais (Ardèche) qui serait injustement méconnue. On y découvre le dialogue suivant où se confirme qu’Olivier de Serres est bien le père de l’agronomie.

« OLIVIER DE SERRES

Les lièvres qu’on voit abonder dans nos champs, 
Ont flatté le palais de tous nos rois gourmands. 

CLOTILDE DE SURVILLE

Je suis loin de vouloir ici vous contredire, 
Mais votre modestie a tort de ne rien dire 
Au sujet des bienfaits dont vous et vos écrits 
Avez doté la France et surtout ce pays. 
Ce n’est pas sans motifs que, même en Angleterre, 
De notre agriculture on vous nomme le père. 
L’exemple et la leçon de cultiver nos champs, 
De les rendre en raisins, en moissons abondants, 
De planter le mûrier, d’augmenter son feuillage, 
Émanent de vos soins, sont votre propre ouvrage. »

Ce dialogue surprenant se termine par un appel d’Olivier de Serres à « produire local » et par un hymne au chemin de fer déclamé par Clotilde de Surville :

OLIVIER DE SERRES

Hélas! pour exploiter tous ces riches produits,
On devait faire appel aux efforts du pays;
Mais on nous préféra l’industrie étrangère;
Nous n’eûmes de nos fers que la triste poussière.

CLOTILDE DE SURVILLE
Heureusement les temps sont aujourd’hui changés.
Napoléon trois règne et nous serons vengés;
D’une ligne de fer je vois déjà la trace ;
L’Ardèche, à cet égard, cesse d’être en disgrâce ;
L’Empereur vers ce but dirige ses efforts ;
Nous n’aurons qu’un regret, c’est d’être chez les morts. »

On peut le constater, Olivier de Serres n’est pas seulement le père de l’Agronomie, à en croire ce dialogue à la gloire des chemins de fer, il est aussi celui du Rétrofuturisme.  Clotilde de Surville et Olivier de Serres exprimaient-ils par ces «regrets» un sentiment «effondriste» face au défis écologiques du futur?  Et tant que nous en sommes aux questions qui était le témoin anonyme de cette scène. Qui était le signataire de l’écrit qui rapporte ce dialogue?

Qui se cache derrière ces initiales: A.C.T. est-ce que ce serait un de mes ancêtres disparu: A.-C. Thiry?

L’ oublié, le poétique, l’hypothétique Archibald-Cleophas Thiry dont personne n’a jamais gardé la trace ?

Et qui était cette Clotilde de Surville qui dialoguait avec Olivier de Serres ? Est-elle la mère de la poésie autant qu’il est le père de l’agriculture ?

Selon le recueil de ses poésies publié en 1827 par Charles Nodier, Clotilde de Surville est née en 1400 ou 1405 et vécut sous « les règnes de Charles VI, de Charles VII, de Louis XI, de Charles VIII et mourut sous Louis XII, plus que centenaire. Les mémoires du temps n’en font aucune mention ; et cependant elle fut connue et appréciée de plusieurs rois de France, d’une nombreuse classe de femme poëtes, qui semblaient reconnaître son étendard... » (Poésie inédites de Marguerite-Éléonore Clotilde de Surville de Vallon et Chalys, 1827 ouvrage disponible ici dans les collections Gallica BnF). 

Avant l’édition de Charles Nodier, ci-dessus évoquée, un premier recueil de Poésies de Clotilde avait été publié par Charles Vanderbourg. Il avait eu tellement de succès qu’il a été plusieurs fois réédité. On peut juger par quelques lignes du charme médiéval de ce premier recueil:

Les fleurs esclozent soubz ses pas;

Parfum de roze est sur sa bousche;

Tout s’embellist des siens appas;

Les fleurs esclozent soubz ses pas:

Est-il de graces qu’il n’ayt pas,

Ou qu’il ne preste à ce qu’il tousche?

Les fleurs esclozent soubz ses pas;

Parfum de roze est sur sa bousche.

On trouve sur le site internet de la Bibliothéque de Lyon une belle édition numérique de la quatrième édition de ce recueil de poésies, ornés de nombreuses gravures (1825) cliquez ici.

En 1858, Eugène Villard publie une biographie de Clotilde intitulée Clotilde de Vallon-Chalys (Clotilde de Surville) : histoire du temps de Charles VII (disponible dans les collections numériques Gallica BnF).

À la lecture de cet ouvrage on découvre un personnage profondément romanesque.

 

En 1876, Henry Vaschalde a publié une BIBLIOGRAPHIE SURVILIENNEDESCRIPTION DE TOUT CE QUI A ÉTÉ ÉCRIT SUR CLOTILDE DE SURVILLE, DEPUIS L’APPARITION DE SES POÉSIES JUSQU’A NOS JOURS. In 8° chez Auguste Aubry, Libraire de la Société des Bibliophiles Français. Imprimerie Roure. Privas. (extrait du Bulletin de la Société des sciences naturelles et historiques de l’Ardèche) qui montre que cette poétesse inconnue suscitait étonnement et controverses parmi les auteurs qui l’avaient étudiée. Il suffit d’évoquer quatre ouvrages :

Antonin MACÉ. Un procès d’histoire littéraire. Les poésies de Clotilde de Surville. Etudes nouvelles suivies de documents inédits  (Extrait du Bulletin de l’Académie delphinale, 3e série, tome V), Grenoble, 1870 (disponible chez Gallica BnF) 187 pages. [L’auteur tient les poésies pour authentiques ; son ouvrage contient des documents du plus vif intérêt, communiqués par les héritiers de Madame de Surville].

Anatole LOQUIN . Réponse à M. Antonin Macé. Les poésies de Clolilde de Surville. Etude. (Extrait des Actes de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux, année 1873), Bordeaux et Orléans, 1873, 244 pages. [Réfutation facile et peut-être trop copieuse de l’ouvrage
précédent.]

Eugène VILLEDIEU Marguerite de Surville, sa vie, ses œuvres, ses descendants devant la critique moderne. (disponible dans les collections Gallica BnF), Paris et Privas, 1873, 8°, XVI-428 pages, met une éloquence intarissable au service de la cause de Clotilde. Son ouvrage contient de nombreux et utiles renseignements sur la famille de Surville].

En 1888 une étude bibliographique et littéraire signée de l’abbé ** et intitulée Marguerite de Surville et ses poésies publié à la Librairie des bibliophiles (disponible dans les collections Gallica BnF) loue la qualité du travail d’Eugène Villedieu : « Un de nos Écrivains, avantageusement connu dans le monde des Lettres, M. E. de Villedieu, a donné une Étude développée sur Marguerite (Clotilde) de Surville et ses poésies. C’est un livre important, qui a eu l’adhésion chaleureuse d’un bon nombre de nos éminents littérateurs, poètes ou érudits, et celle de connaisseurs très distingués, tels que Germer-Durand, en choses esthétiques du Moyen-âge et des temps modernes […] Son ouvrage est, en résumé, une œuvre considérable, et, de beaucoup, la plus complète de toutes celles qui ont été publiées sur ce sujet. C’est, en même temps, un service signalé rendu aux Lettres et à la vérité historique. »

Léon Védel nous apprend dans sa description du domaine du Pradel que la famille de Surville avait hérité du domaine d’Olivier de Serres : « La famille de Serres posséda le Pradel jusqu’en 1691. Cette année, Marie de Serres, dernière descendante directe de l’illustre agronome, l’apporta en dot à un seigneur de Mirabel. Il resta dans cette maison jusqu’à la mort de Madame Pauline de Mirabel, veuve du marquis de Surville, le héros royaliste de 1798, et l’auteur, un moment présumé des poésies de Clotitde de Surville… » Le même auteur précise dans une note que « Un livre ce M. A. Mazon, fruit de laborieuse» recherche et d’un profond savoir MargueriteChâlis et la légende de Clotilde de Surville, Paris, Lemerre, 1873), prouve, hélas, que ces poésies ne peuvent pas être de la personne qu’on a voulu désigner sous le nom de Clotilde de Surville, et que leur date est de beaucoup postérieure au quinzième siècle. Nous disons : hélas, car nous regrettons vivement, pour notre part cette douce et passionnée figure de poétesse. » Le livre dont il est question est signé Albin Mazon, intitulé Marguerite Châlis et la légende de Clotilde de Surville, il est consultable sur le site internet de l’Université de Toronto (cliquez ici).

En 1873 Jules Guillemin dans son une étude intitulée Clotilde de Surville et ses nouveaux apologistes : une fausse résurrection littéraire (disponible dans les collections Gallica BnF) va dans le même sens que Mazon : « J’espère avoir suffisamment prouvé que Clotilde de Surville n’a jamais existé, et qu’eût-elle existé, elle n’aurait pu écrire les vers donnés sous son nom. Il me reste à faire voir que le seul auteur de ce pastiche, à part une très-minime et très-insignifiante collaboration de M. de Brazais, ne peut-être que le marquis de Surville, puisque M. Macé a péremptoirement démontré que Vanderbourg, contrairement à ce qu’on avait d’abord supposé, n’y était absolument pour rien. »

L’existence de Clotilde de Surville semble donc bien être une supercherie littéraire, une de ces plaisanteries de poètes potaches qui font le plaisir des ri(maill)eurs et qui a dû amuser l’Amateur de livres Charles Nodier.

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L’amateur de livres par Charles Nodier (Document Gallica BnF)

Charles Des Guerrois dans ses Études sur quelques-uns de nos vieux poètes : Vauquelin de La Fresnaye, Sainte-Marthe, N. Rapin, J. de La Péruse, Clotilde de Surville, etc. (consultable ici chez Gallica BnF) assure que Charles Nodier, éditeur des poèmes de Clotilde de Surville, n’était pas dupe de la supercherie…

Olivier de Serres en revanche a bel et bien existé et je vous invite à le lire. C’était un sage observateur de la nature que Victor Fraitot a dépeint en ces termes : « Indifférent en apparence aux évènements qui se passent autour de lui, il nous semble le voir, « un livre au poing », dans son jardin, parmi ces fleurs dont « les vertus ravissent l’entendement humain ». Il nous a peint lui-même, en des termes d’une simplicité qui captive, cette solitude où « hors du bruit, il jouissait en repos des aises dont elle abonde : la sérénité du ciel, la salubrité de l’air, le plaisant aspect de la contrée ; d’un autre côté, la contemplation des belles tapisseries des fleurs, les beaux ombrages des arbres, la joyeuse musique des oiseaux. » (Victor Fraitot, Olivier de Serres, « Bibiothèque des écoles et des familles », Hachette et Cie, 1882).

On trouve dans les collections numériques de Gallica BnF plusieurs ouvrages consacrés à Olivier de Serres :

« Le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs d’Olivier de Serres Seigneur du Pradel ». 1600 (première édition de ce monumental livre de plus 1050 pages qui mérite d’être lu, relu, parcouru pour le plaisir de la lecture et pour la richesse de ses propos).

Monsieur A.C.T., Clotilde de Surville et Olivier de Serres, Imprimerie de L. Escudiès, Aubenas, 1858 (11 pages, curieux dialogue évidemment fictif entre la poétesse imaginaire Clotilde de Surville et l’agronome Olivier de Serres).

Léon Védel, Le Pradel et Oliver de Serres : à travers le Vivarais, Imprimerie P. Mouillot, Paris, 1881 (31 pages tirées à part de la Revue de France du 15 Juin 1881 récit par un artiste peintre de sa visite au domaine du Pradel en vue de peindre la rencontre entre Olivier de Serres et Henri IV)

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5783265v

Victor Fraitot, Olivier de Serres, Hachette 1882 collection « Bibliothèque des Écoles et des Familles » 34 pages et trois pages non paginées d’illustrations.

Henry Vaschalde, Olivier de Serres Seigneur du Pradel, sa vie et ses travaux illustré de portraits, Gravures et fac-simile, E. Plon, Nourrit et Cie, 1886, (232 pages).

Madame la Comtesse Drohojowska (née Symon de Latreiche), Les Grands Agriculteurs modernes Olivier de Serres — Duhamel du Monceau — Parmentier — Matthieu de Dombasle, Maison Alfred Mame et fils, Tours, 1905, 142 pages (les pages pages 11 à 57 sont consacrées à Olivier de Serres).

Pour en savoir plus sur Olivier de Serres

http://www.olivier-de-serres.org/index.php (site officiel du domaine du Pradel).

Le Mauvais temps (Mové tan) par Ludvik Jean-Denis

Le Mauvais temps (Mové tan) de Ludvik Jean-Denis

Ce recueil de nouvelles est dédié par Ludvik Jean-Denis

« À mon papillon,

mon petit bout de paradis,

qui m’a inspiré tant d’histoires. »

Tout le monde aura reconnu dans ce papillon l’île de La Guadeloupe…

Ces nouvelles sont des regards attendris et nostalgiques, enracinés et fiers, amoureux et humoristiques portés sur ce grand papillon des Antilles.

Ce livre est à conseiller à toutes celles et ceux qui sont amoureux de La Guadeloupe, à toutes celles et ceux qui souhaitent faire connaissance de ce territoire des Antilles à travers les regards d’un amoureux de ce petit bout de paradis.

Cette île dont on fait connaissance est celle des Guadeloupéens. On entre pour ainsi dire dans leur psychologie, dans leur intimité. Pour de trop nombreuses personnes, La Guadeloupe est connue comme une destination touristique dont le privilège n’est pas offert à toutes et à tous. Mais si cette île est souvent trop inconnue et méconnue c’est parce-qu’on ne prend pas assez le temps de l’écouter dans sa réalité même.

Ludvik Jean-Denis propose dans ce recueil huit nouvelles qui sont comme des croquis brossés, comme des fenêtres ouvertes pour écouter les murmures de l’île. « Frère de coeur », « Un dimanche à la messe », « Solina », « Kenbwa »… Je vous laisse découvrir les autres titres en achetant le livre.

Ces nouvelles nous font entrer dans le quotidien de l’île. Elles ont pour sujet les Guadeloupéens et La Guadeloupe, les personnages, les paysages, les atmosphères, la psychologie de chacun est présenté en traits rapides, rapidement tracés, avec habileté, avec humanité…. Avec cette fragilité empreinte de maladresse (ou de mâle adresse), signe que l’auteur est humain, pleinement humain, entier. Ludvik Jean-Denis est jeune, Antillais, empli de fougue et d’amour pour son objet d’enthousiasme : écrire La Guadeloupe.

La prose de ses nouvelles est vivante, enracinée sur la terre dont il est question, ancrée dans la mer des Caraïbes. Elle évoque le goût du rhum antillais, celui qui ne s’oublie jamais si on l’a goûté une fois sous les tropiques, elle évoque l’accent antillais celui qui ne s’oublie jamais si on l’a écouté une fois avec la reconnaissance de celui qui a eu à vivre une fois dans sa vie l’immense générosité Antillaise.

Dans ces nouvelles, le sourire et l’humour, les petites passions humaines et le sublime de la nature, les sauts vertigineux dans le vide et les miracles de rencontres inattendues s’entrecroisent pour le plus grand bonheur du voyageur des mots qu’est le lecteur. Les chutes surprennent ou font sourire. Le genre de la nouvelle n’est pas facile à manier, les nouvelles de Ludvik Jean-Denis relèvent le défi. Elles sont fraîches et vives comme l’ouvrage d’un jeune écrivain qui un jour en pleine maturité nous offrira un maître ouvrage où jailliront toutes les promesses de feu d’artifices qui pétillent déjà dans ces histoires courtes.

Présentation de l’éditeur

« Depuis quelques temps, Zouti rentrait bredouille de ses virées en mer. Les fonds marins n’avaient pas le moindre poisson à lui offrir. Cette situation n’était plus tenable car il avait une grande famille à nourrir.
Jour après jour, il retournait au large de la Pointe des Châteaux, braver l’océan Atlantique houleux et capricieux comme à son habitude, avec sa petite barque.
Zouti était confiant et savait que ça mordrait tôt ou tard. Il croyait en sa bonne étoile et à son défunt père marin qui veillait sur lui. »
37 pages
Editeur: BoD
Parution: 2 mai 2018
Edition: e-book

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« La délivrance de l’accordéon » par Loli Artésia

Sur la couverture il est écrit « poésie ». Je ne sais pas bien ce que c’est que la poésie (ce mot aux contours flous, brumeux, printanier ou automnal, superbe ou gredin). Ce que je sais en revanche c’est l’enthousiasme suscité en moi par la lecture du titre. Sur la couverture, au dessus de « poésie » on lit « La délivrance de l’accordéon ».

À la lumière de ces cinq mots, immédiatement les images défilent, comme au cinématographe. Elles surgissent comme des promesses d’un univers à nul autre pareil, dessins animés tourbillonnants, films muets assourdissants, drames réalistes, aventures picaresques, mélodies envoûtantes…

Comment y résister ?

Dès la parution de ce petit livre de Loli Artésia, je me suis rué dans mon magasin à livres.

« La délivrance de l’accordéon ! »

Il me fallait immédiatement. Je l’ai acheté. Je l’ai ouvert et refermé, comme un accordéon. Je l’ai ouvert et refermé, non sans avoir déroulé d’une traite à l’allure d’un fox-trot, en un souffle, tous les textes inclus sous ce titre fabuleux. Depuis, il est allongé à la place d’honneur sur ma table de nuit, félin, silencieux ou bavard.

Il paresse.

Mais je ne le laisse pas se reposer. Je l’ouvre avec délice, quand ça me chante.

J’aime savourer l’un ou l’autre des poèmes de Loli Artésia.

Je ne sais pas ce que c’est qu’un « poème » mais il faut bien avouer que ce mot va comme un gant aux arpèges de mots de Loli Artésia. Certains vous réchauffent de leurs rayons éblouissants comme un tableau de Botticelli. D’autres vous enchantent comme de vieux souvenirs d’enfance, certains vous agrippent, vous griffent, vous boxent ou vous caressent. Les uns d’un œil superbe vous entraînent malicieusement dans une farandole espiègle. D’autres sont tristes ou nostalgiques, blafards, comme une rencontre au crépuscule entre Arthur Rimbaud et Léon Spillaert.

Les vers y circulent en tout sens, lumineux ou souterrains, invitant à redécouvrir le monde sous une lumière inimitable. J’adore ce livre. Injustement. Je le lis et le relis, le feuillette et le contemple. J’y cours en un sprint époustouflant. J’y rêve en un rêve éveillé. C’est un coup de coeur. J’adore ce livre. Il me passionne. Si c’est cela la poésie j’en suis amoureux. Elle est modeste et simple, imprévisible, abrupte et sans concession, surprenante et souvent vertigineuse :

« Hop ! Se décroche

« La nacelle

« Finie la balancelle

« Et le violoncelle

« Sonne faux

« Dégringolade… »

Mon opinion sur les poèmes de Loli Artésia est aussi injuste qu’une dégringolade amoureuse.

J’adore.

Je pourrais m’abandonner à une avalanche infinie de superlatifs…

En dégringolade…

Mais je sais que nous sommes sur internet. Si j’en ajoute vous ne me lirez pas. Alors laissez-moi juste vous supplier en douze mots de prose : « achetez tout de suite La délivrance de l’accordéon de Loli Artésia ! »

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Micheline Cumant: Nestor, un cheval dans la grande armée, Editions BoD 2017

La bataille de Waterloo a souvent inspiré les écrivains français en offrant aux lecteurs des moments de lecture aux émotions variées, aux couleurs multiples. Il y a cette interminable description de Victor Hugo dans Les Misérables. Elle s’étend sur plusieurs pages. Elle est détaillée, précise et ciselée comme une carte d’état major. Il y a la description de Stendhal dans La Chartreuse de Parme. Le héros s’y retrouve entraîné dans un tourbillon auquel il ne comprend pas grand chose. Le lecteur s’y retrouve secoué comme dans un panier à salades. Dorénavant, il faudra ajouter à cette liste des batailles de Waterloo littéraires, celle de Micheline Cumant dans son nouveau roman paru au mois de juillet 2017. Comme chez Stendhal, la bataille est décrite de l’intérieur, mais cette fois par Nestor… Nestor le majordome du Capitaine Haddock de Moulinsart ? Non vous n’y êtes pas. Nestor est un cheval, un cheval auvergnat. « Nestor, un cheval dans la grande armée » tel est le titre de ce roman. Un roman palpitant où l’on redécouvre l’épopée napoléonienne à travers le regard du cheval Nestor et de ses amis. Ses amis sont des chevaux, autant que des être humains, tant il est vrai que le cheval est sans doute le meilleur ami de l’homme. Méfiez-vous (ceci étant dit entre parenthèses) lorsque vous dites cela de ne pas le dire devant un chien, les chiens se sont toujours imaginé que c’étaient eux les meilleurs amis des hommes, ainsi Augustin pense être le meilleur ami d’Elodie dans mon petit livre « La Princesse Élodie de Zèbrazur et Augustin le chien qui faisait n’importe quoi ». Mais fermons la parenthèse autour de cette petite histoire pour retrouver la grande histoire. Car c’est bien la grande histoire que Micheline Cumant nous fait parcourir à travers ce roman admirablement rythmé dont la cadence est donnée dès le prélude avec quatre magnifiques vers d’Edmond Rostand extraits de l’Acte 2 Scène 8 de sa pièce de théâtre « L’Aiglon » :

« Et nous, les petits, les obscurs, les sans grades

Nous qui marchions fourbus, blessés, crottés malades

Sans espoir de duchés ni de dotations

Nous qui marchions toujours et jamais n’avancions… »

Le récit de ce roman galope et entraîne le lecteur qui savoure avec plaisir une prose agile et flamboyante. Le cheval Nestor traverse l’Europe de Iéna à Moscou de batailles victorieuses en batailles victorieuses (mais peu glorieuses dans le regard des chevaux qui sont dans ce livre bien souvent plus philosophes que les hommes qui les chevauchent). Puis il la retraverse dans l’autre sens de la retraite de Russie à la bataille de Waterloo… Au milieu d’un tel maelström, d’un bout à l’autre du roman, Nestor reste sage et philosophe, dictant à Micheline Cumant ce roman qu’elle nous transmet fidèlement. On sent qu’il était en confiance car il lui a confié jusqu’à ses pensées secrètes et souvent lucides. Par exemple en plein cœur de la bataille de Waterloo :

« Au bout d’un moment, nous arrivâmes sur une chaussée pavée, j’entendis que nous étions près de Charleroi, et que les Anglais se massaient vers le Mont Saint Jean. Mais je n’eut pas le temps de discuter de stratégie avec mes confrères, car bientôt nous eûmes à charger les dragons anglais. Enfin de l’action ! »

De l’action, il y en a dans ce roman à foison, mais aussi des sentiments et une richesses de détails souvent très bien documentés, on ne trouve pas moins de 37 notes en bas de page où le lecteur est invité à s’élargir l’esprit. On y apprend que le mariage civil date en France du 20 septembre 1792 que « le fait de lécher, pour un cheval traduit souvent un manque de sel » que le 14 juin est la date des batailles de Marengo (1800) et de Friedland (1807), que « le sabretache est une sacoche de selle, placée à côté du fourreau du sabre », que la race de chevaux lipizzane, élaborée pour la cour d’Autriche au mars de Lipica, sur le territoire de l’actuelle Slovénie, près de la frontière italienne a des origines espagnoles, arabes et de Bohême. Elle est celle des chevaux de l’Ecole espagnole d’équitation de Vienne, fondée au XVIe siècle spécialisée dans le dressage de haut niveau, on y apprend enfin, dans le chapitre sur Waterloo que « La Victoire en chantant » est un chant patriotique composé par le compositeur Étienne Méhul et le poète Marie-Joseph Chénier en 1794…. » Comme Georges Perec, Nestor aime les notes en bas de page c’est peut-être aussi pour cela que j’ai trouvé ce petit roman si passionnant. Je vous le conseille vivement.

Vous pourrez retrouver Micheline Cumant lors d’une séance de dédicaces au Salon Livre Paris, le Dimanche 18 mars de 10h00 à 12h00 sur le stand E12 de BoD cliquez ici « clic » (Une séance qui sera immédiatement suivie, à 12h00 par les dédicaces de « La Princesse Élodie de Zèbrazur et Augustin le chien qui faisait n’importe quoi » par ses illustrateurs Samar et Hani Khzam cliquez ici « clic »). Si vous êtes au Salon Livre Paris le 18 mars entre 10h00 et 14h00 vous pourrez donc faire d’une pierre deux coups en achetant « Nestor, un cheval dans la Grande Armée » puis « La Princesse Élodie de Zèbrazur et Augustin le chien qui faisait n’importe quoi ».

Résumé de l’éditeur

« Et nous, les petits, les obscurs, les sans-grades… » Ainsi débute la tirade du vieux grognard Flambeau, dans la pièce « L’Aiglon », d’Edmond Rostand. Dans la Grande Armée de Napoléon 1er, il y a les hommes, mais il y a aussi les chevaux. Eux qui pendant des siècles ont porté les hommes à la guerre, et à qui on n’a jamais rien demandé, ne sont-ils pas aussi des « obscurs et sans-grades » ? La parole est donnée au cheval Nestor, qui rejoignit l’armée impériale au lendemain d’Austerlitz, et participa à l’aventure de la Grande Armée jusqu’à Waterloo. En compagnie de son cavalier, le simple soldat Henri Fourneau, il va suivre Napoléon dans sa conquête de l’Europe, mais aussi dans la retraite de Russie et affrontera la coalition des alliés au cours de la bataille qui mettra fin au Premier Empire. « Nos chevaux, ce sont nos jambes », dit le cavalier. Loin des spéculations politiques, des stratégies militaires, des luttes de pouvoir, les soldats, pour beaucoup arrachés au monde paysan, souvent illettrés, soignent leurs chevaux qu’ils considèrent comme leurs amis, cherchent à tirer de petits profits et méditent sur les desseins des grands. Avancer, se battre, tuer… La guerre, c’est leur métier, celui du soldat et celui du cheval.

Nestor, un cheval dans la grande armée sur Amazon.fr cliquez ici « clic ».

Blog de Micheline Cumant cliquez ici « clic ».

Abiola et la plante magique par Iman Eyitayo

20160826_104336Ce roman jeunesse est un coup de cœur ; le cri du cœur d’une Béninoise pour son pays de naissance ; le cri d’amour d’une petite fille pour sa grand-mère.

Il a été écrit pour transmettre et ce qu’il transmet est considérable. Il nous offre de voyager à Porto Novo, la capitale du Bénin, située sur les bords de la lagune de la baie du Bénin dans le golfe de Guinée, à quelques encablures de Cotonou. Pour ceux qui connaissent déjà l’Afrique de l’ouest ce livre évoquera sans doute une foule d’images, de sons et de saveurs. Pour ceux qui ne connaissent pas encore le Bénin (que l’on appelait Dahomey avant 1960 lorsqu’il était une colonie française) ce petit livre est une merveilleuse introduction.

Abiola, une petite fille de sept ans, rend visite à sa grand-mère à Porto Novo. Elle s’en réjouit. Mais sa « grand m’man » est trop malade pour que les enfants puissent l’approcher. Autour du sérieux de la maladie le monde des adultes a érigé une muraille. Dans sa générosité de petite fille résolue à faire plaisir Abiola cherche le moyen d’agir. De quelles forces peut disposer une enfant qui n’a pas la science des adultes ? Abiola a la chance de bénéficier de la plus merveilleuse des puissances celle qu’offre l’amitié. Hui Lin son amie Chinoise, Francis son ami Français vont apporter à Abiola leur soutien pour affronter ses peurs, peur de la maladie, peur de l’inconnu… Peut-on empêcher une petite fille de soigner sa grand-mère ? Comment Abiola parviendra à ses fins ? Ce livre explore ces passionnantes questions en transmettant des valeurs : importance de l’amitié, amour pour sa famille, discipline mais surtout le courage d’agir. Le courage d’Abiola est au cœur de l’intrigue. Pour apprendre il faut aussi savoir résister à la peur, surmonter les barrières infranchissables, apprivoiser l’inconnu. Le texte ne s’encombre pas de descriptions superflues. Il suggère, il ouvre des pistes, à chacun de continuer à explorer ce chemin à sa manière. Ce livre est léger, de la plus belle des légèretés celle de l’esprit. Les illustrations de Megane Cuvellier, imprimées en noir et blanc ne dévorent pas le texte et laissent toute sa place au déploiement d’un imaginaire coloré. J’ai lu cette histoire en retrouvant les plaisirs de lecture de l’enfance. Vous savez : celui de ces livres que l’on ne veut pas lâcher et pour lesquels on rallume, en pleine nuit, une bougie pour les lire en cachette. Le sens réel de l’expression « plante magique » du titre c’est peut-être bien cette petite chose fragile, impalpable et cependant si puissante qu’offre au lecteur l’imaginaire qui stimule l’esprit lors d’une lecture palpitante. Comment affronter la peur ? Comment affronter l’inconnu pour garder intacte sa générosité et ses capacités d’agir ? Parce-qu’il aborde avec finesse, discrétion et intelligence ces questions importantes, ce petit livre mérite d’être mis entre toutes les mains.

Auteur: Iman Eyitayo

Illustrations: Mégane Cuvelier

Titre: Abiola et la plante magique

Prix: 6,00€

Nombre de pages: 88

Editions Les plumes solidaires

ISBN: 9791096622009

Quatrième de couverture:

ROMAN JEUNESSE à partir de 7 ans.

Abiola, 7 ans ½, est une petite fille pleine d’entrain à l’approche des vacances scolaires. Seulement, cette année, quelque chose la rend triste : sa grand-mère est malade et elle est incapable de l’aider. Heureusement, son amie Hui Lin lui parle d’une rumeur qui circule dans les marchés chinois de la capitale : une fleur capable de guérir toutes les maladies pousserait chaque année, juste avant le début de la saison des pluies, à une trentaine de kilomètres de là. Toutefois, la plante serait protégée par des créatures auxquelles personne ne veut avoir affaire…

Vous pouvez acheter ce livre en ligne sur le site internet d’Iman Eyitayo cliquez ici « CLIC ». Vous pouvez aussi le trouve sur le site Amazon.fr au format papier cliquez ici « CLIC » ou bien au format numérique pour tablette Kindle cliquez là « CLIC ».

Ma forêt musicale de Louis Thiry

Louis Thiry, Ma forêt musicaleParution du livre «Ma forêt musicale» par Louis Thiry, promenade émerveillée parmi les notes, les rythmes, les hommes, les instruments…

Vous pouvez vous procurer cet ouvrage sur le site internet de «La Flûte de Pan» en cliquant ici « clic »

Quatrième de couverture:

«Dans le monde, de l’orgue, Louis Thiry est certes connu de tous ! Ses interprétations légendaires (dont l’inoubliable intégrale Messiaen, saluée par le compositeur) et son enseignement lumineux continuent de marquer des générations de musiciens. Son secret ? Une maîtrise absolue de l’instrument, une rayonnante chaleur humaine et peut-être, avant tout, une vision émerveillée du monde qui l’entoure. Poète du son comme des mots, Louis Thiry nous livre ici un ensemble de textes qui reflètent sa joie de vivre, son besoin de partage, son amour de la nature, son bonheur d’être musicien…
Un témoignage éblouissant que l’on savoure avec délice et reconnaissance.»

Fiche du livre «Ma forêt musicale» sur le site de la boutique La Flûte de Pan cliquez ici.