Tiens! un alexandrin…

«Il n’est point de secrets que la mort ne révèle» un roman policier signé Rodolphe Fontaine

Tiens un alexandrin! dirait le poète Jacques Roubaud (l’auteur de « La vieillesse d’Alexandre ») en découvrant ce titre. Et n’ajouterait-il pas : « Ne serait-ce pas un extrait de Britannicus ?» Et il aurait eu raison (à un mot près). Il n’est bien sûr pas complètement indispensable d’avoir lu Le «Britannicus» de Jean Racine (1639-1699) avant de commencer la lecture de «Il n’est point de secret que la mort ne révèle» de Rodolphe Fontaine. Ce roman se savoure comme une partie de Cluedo, comme un roman d’Agatha Christie, comme un jeu de piste dans les détours (pleins d’imprévus) ou les armoires (normandes) ou encore les parties de jeux de go de l’auberge de la Houssaie (en Normandie quelque part entre Rouen et la Manche).

Mais il est quand même utile de savoir que le titre de ce livre : « Il n’est point de secrets que la mort ne révèle » est en effet une imitation scrupuleuse d’une réplique de Narcisse à Néron dans la quatrième scène de l’acte IV de Britannicus. Racine y faisait dire à Narcisse :

Britannicus de Racine (extrait de la sc IV de l’acte IV) édition de 1670 un document Gallica BnF

Intégralité de la scène à découvrir sur YouTube (cliquez ici) 

Il n’est donc pas interdit de lire le roman de Rodolphe Fontaine en ayant à l’esprit cette réplique de la tragédie de Jean Racine. Le « Britannicus » est un drame de la jalousie à retournements de situation entrelardés d’amours contrariées invitant au meurtre, le « Il n’est point de secrets que la mort ne révèle» est un polar à retournements très british avec des meurtres suscités par des amours contrariées d’esprits tordus ou jaloux. Mais si la tragédie de Racine n’est pas de première jeunesse (elle date de 1669), le polar de Fontaine est beaucoup plus jeune (il a été publié en novembre 2022).

Sous la plume de Rodolphe Fontaine, on retrouve des personnages qui lui sont familiers, puisqu’il les a inventés et qu’ils sont déjà apparus dans ses deux précédents romans : «Mortelle tutelle» (2009) et «Nostalgie quand tu nous tues» (2012). Dans ce nouvel opus, on retrouve les deux amis Marius Korda l’inspecteur de police à la Fiat Berline 130, et Hippolyte Delyon qui a décidé d’écrire des romans policiers, car il a hérité d’un fastueux héritage (le veinard). 

Par rapport à ses deux premiers livres, le style de l’auteur rouennais, Rodolphe Fontaine a pris une incontestable maturité. Les personnages sont brossés d’un trait plus sûr, plus humain. Bien sûr la règle du jeu (comme dans les romans d’Agatha Christie) est ici de brosser les caractères à traits rapides. Il s’agit de prendre en charge le lecteur, sans éviter le «déjà connu» voire le «cliché» qui rassure. Dans ce binôme de copains enquêteurs, il n’est sans doute pas interdit d’entendre des échos des deux héros de la série télévisée «The persuaders» : Danny Wilde et Brett Sinclair. C’est du moins l’impression que j’ai eue en découvrant le cuisinier à la virtuosité rapide dénommé Hercule Derouen. Les personnages sont clairement dessinés comme dans un Tintin ou dans une partie de Cluedo. Vous y croiserez (entre autres) un jardinier/technicien patibulaire dénommé Ralph Mata, un médecin nommé Roger Miller dont la femme s’appelle Agatha (pas par hasard), une psychologue et sa nièce : Cécile et Flora Talonbrun, un ancien militaire, le colonel Achille Sauvage (le métier des armes étant sans doute le plus vieux métier du monde, rien n’interdit de voir dans cet Achille un reflet de celui d’Homère). Il arrive même un moment au cours de l’intrigue où Marius Korda écoute à bord du train Paris-Rouen, un couple de retraités agacés par l’ennui qu’ils ressentent en participant à des ateliers d’écriture… Diantre ! Je ne saurais que leur conseiller de venir à mes ateliers d’écriture à Rouen. Ils y retrouveront des raisons de savourer le plaisir d’écrire en groupe (cliquez ici).

Les deux héros du livre aiment exercer leur mémoire visuelle, ils jouent périodiquement à retrouver les auteurs de citations lancées à l’emporte-pièce dans la conversation, c’est typiquement un passe-temps d’enquêteur (chacun sait que ce qui caractérise le détective c’est sa mémoire)… Vous trouverez ainsi dans ce livre des phrases bien balancées de MC Solaar, Montesquieu, Jean de La Fontaine ou encore cette utile réflexion de Maurice Leblanc : «La vie est beaucoup moins compliquée que l’on ne croit et elle dénoue elle-même ce qui nous paraît enchevêtré.» Et bien entendu, les enquêteurs de « Il n’est point de secret que la mort ne révèle » finissent par dénouer ce qui paraît enchevêtré. Ce roman se lit vite, sans effort, sans avoir à trop réfléchir. La structure de l’histoire applique avec soin les recettes éprouvées par l’irremplaçable Agatha Christie. Cela facilite grandement la tâche du lecteur. Vous serez menés confortablement jusqu’à la fin du livre. Bref n’hésitez pas à lire. Lisez ce roman policier de Rodolphe Fontaine et n’hésitez pas à plonger dans la tragédie «Britannicus» de Racine (ou à assister à l’une de ses représentations). Ce titre y invite.

Je remercie chaleureusement la bookstagrameuse Nouchkette lit en chaussette et l’auteur Rodolphe Fontaine qui m’ont permis de gagner ce livre lors d’un concours organisé sur Instagram.

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