Louis de Lesclache (1620-1671)

Les véritables règles de l’ortografe francèze par Louis de Lesclache Document Gallica BnF

Cet article est né d’une exploration des riches et belles collections numériques de Gallica BnF (Bibliothèque Nationale de France) que je vous invite à consulter (infinis sont les domaines que l’on peut y parcourir).

Parmi les personnages dont on a récemment oublié de fêter le quadricentenaire en 2020, il y en a un que l’on ne saurait passer sous silence, tant il reste actuel par une innovation qu’il a échoué à mettre en place, mais qui semble sans cesse refleurir dans les orthographes approximatives sur les réseaux sociaux… Il s’agit de Louis de L’Esclache (1620-1671). Ce personnage est propre à décrisper tous les débats sur l’orthographe française, ce détonateur à passions dans les débats franco-français… De Louis de Lesclache on ne sait pas grand chose. Il fut un philosophe à la mode. Antoine Furetière et La Bruyère ont parlé de lui, Molière aussi. On a écrit que le personnage de Louis de Lesclache aurait servi à Molière pour son personnage du Maître de Philosophie dans « Le Bourgeois Gentilhomme». Son nom est cependant rarement cité dans l’enceinte de l’Université. Il y a quelques raisons à cela. Précédant de quatre-cents ans Mai 68, Louis de Lesclasche avait tenté une « démocratisation » ou une «simplification» de l’écriture et de la grammaire qui marqua la fin de sa carrière de philosophe à la mode. Les grammairiens et les professeurs de langue française n’aiment pas qu’on les bouscule. Et pourtant, ne peut-on pas apprendre beaucoup en autorisant les audacieux à bousculer nos habitudes ? En l’espèce on peut hasarder que le système de Louis de Lesclache, bien que généreux dans ses objectifs, manquait peut-être un peu cohérence… 

Louis de Lesclache fut en son temps un philosophe, un conférencier en vogue à Paris. La bonne société soucieuse de se munir d’un verni de culture générale courait à ses conférences (en français) sur Aristote. Il fut longtemps lu par les gens pressés pour s’instruire de sa philosophie simplifiée en tableaux.

Antoine Furetière évoque Louis de L’Esclache dans sa Nouvelle allégorique ou, histoire des derniers troubles arrivés au Royaume d’Eloquence.

La Reine Eloquence s’y souvient qu’elle a à sa cour un Officier nommé L’Esclache « qui étoit grand ami d’Aristote. » Dans une note en marge, Furetière précise que ce nommé L’Esclache « est un homme qui enseigne la philosophie en français et qui faisait des discours publics pour expliquer Aristote. » Cliquez ici

Il était suffisamment à la mode pour que La Bruyère évoque son nom dans « Les Caractères » à l’occasion du portrait de Narcisse, dans le Chapitre « De la ville » : «il est homme d’un bon commerce […] il tient le fauteuil quatre heures de suite chez Aricie, où il risque chaque soir cinq pistoles d’or. Il lit exactement la Gazette de Hollande, et le Mercure galant; il a lu Bergerac, Des Marest, Lesclache, les Historiettes de Barbin, et quelques recueils de poésies. Il se promène à la Plaine ou au Cours, et il est d’une ponctualité religieuse sur les visites. Il fera demain ce qu’il fait aujourd’hui et ce qu’il fit hier; et il meurt ainsi après avoir vécu. » (Les Caractères de La Bruyère disponible ici sur Gallica BnF).

En 1894, Ch. Urbain lui a consacré, un article assez fouillé dans la Revue d’Histoire littéraire de la France. On y a puisé pour alimenter la présente synthèse.

Louis de Lesclache s’est d’abord fait connaître du grand public par ses ouvrages de philosophie, teintés de féminisme. Le livre qui fit d’abord son succès s’intitule « Les Avantages que les femmes peuvent recevoir de la philosophie, et principalement de la morale . Ou L’abrégé de cette science . A Paris, chez l’autheur, proche le Pont-neuf, en la ruë neuve de Guenegaud. Et Laurent Rondet, ruë S. Jaques, à la longue Allée, vis-à-vis la ruë de la Parcheminerie. 1667. Avec privilege du roi. »

Disponible ici sur Gallica BnF (cliquez)

Dans cet ouvrage Lesclache « soutient que la philosophie (et par là, il entend la morale et la théologie naturelle) détournera les femmes des romans, de l’alchimie et de l’astrologie judiciaire, il blâme l’usage du doute méthodique dans l’enseignement et il s’élève contre les femmes qui cherchent à se faire valoir dans les conversations, qui critiquent leur prochain ou la religion, et qui «avec neuf ou dix passages de Charron ou de Montaigne prétendent renverser la théologie». (Ch. Urbain). Ce livre fait partie de ceux qui auraient influencé Molière dans la rédaction des Femmes Savantes. Gustave Reynier (dans son Étude et analyse des Femmes Savantes de Molière, Paris 1937) explique en ces termes l’ouvrage de Louis de Lesclache : « Ce qui fait l’intérêt de cet opuscule où il justifie l’oeuvre de toute sa vie, c’est qu’au lieu de s’adresser aux femmes, qu’il savait plus qu’à moitié convaincues, il s’est tourné vers les maris, dont il avait dû constater plus, d’une fois les résistances. Pour piquer la curiosité d’un époux qu’il est censé vouloir convertir, il lui raconte une petite histoire. Il s’agit d’un ménage assez désuni, dont le désaccord s’aggrave tous les jours. La dame est si curieuse de sciences qu’elle se laisse duper par les charlatans. Elle va dans des assemblées où l’on fait des expériences pour chercher du vide dans la nature ». Il lui arrive [comme Philaminte dans « Les Femmes Savantes de Molière] de passer « plus de la moitié de la nuit dans le grenier à regarder la lune avec de grandes lunettes » ; comme elle, elle s’imagine «que la lune est habitée». Elle va aussi chez des chimistes, «plus noirs que des démons», elle cherche avec eux la pierre philosophale et elle vend ses pierreries pour subvenir aux frais des opérations. Enfin elle prétend « faire profession de philosophie ». Philosophie et sciences plus ou moins mystérieuses, le mari condamne en bloc tout cela. La philosophie, dit-il, attache les femmes à des choses inutiles, elle les porte à faire des dépenses qui peuvent ruiner la maison, elle « les incite à contredire toutes choses », elle les rend vaniteuses, elle est « la source du mépris qu’elles font de leurs maris ». C’est cet époux ennemi de la science que Lesclache voudrait convertir: il lui démontre que la vraie philosophie n’a aucun rapport avec les simagrées des charlatans, que, si elle est bien enseignée, dégagée de toute obscurité, de tout problème téméraire, elle enseigne aux femmes la modération des désirs, la douceur, l’attachement aux plus humbles devoirs, la modestie, et non pas l’orgueil. Le malentendu est à la fin dissipé. Le bourgeois paraît convaincu : il enverra sa femme aux cours de Lesclache. »

Ch. Urbain nous apprend également que 

« Lesclache eut l’idée alors toute nouvelle d’ouvrir des cours publics où il enseignerait en langue vulgaire la philosophie aux femmes et aux gens du monde. […] il groupa autour de sa chaire un auditoire nombreux et élégant, dont la fidélité ne se démentit pas, quoique d’autres professeurs eussent essayé de lui faire concurrence »

Il paraît que des membres de la famille d’Ormesson fréquentaient ses cours :

« Le samedi, 21 novembre, dit Olivier d’Ormesson dans son Journal, à l’année 1643, je fus l’après-disnée rue Quinquempoix, chez M. Lesclache, qui faisait trois discours français à l’ouverture de ses cours de philosophie en français. Il y avait grand monde, des jésuites et des personnes d’esprit. Il parla de Dieu selon Aristote, et satisfit toute la compagnie.» 
Ses cours se déroulaient au « Palais précieux » et étaient annoncés en ces termes : 

«  Le mercredi, se fera leçon de la Philosophie par le sieur de l’Esclache qui traitera particulièrement de la morale, en termes fort à la mode, où les femmes aussi bien que les hommes auront grande satisfaction. Ce sera depuis deux heures jusqu’à quatre. » Les femmes savaient gré à Lesclache de leur rendre la philosophie intelligible et de l’avoir débarrassée du jargon de l’École. » (Ch. Urbain)

Un ami de Scarron, un certain Monsieur Rosteau (en 1661 ou 1662) raconte en ces termes les cours dispensés par Louis de Lesclache : « Si le nom de M. de L’Esclache s’étend jusqu’aux pays les plus éloignés, il est bien juste que ses ouvrages y passent. Il a été le premier qui a purgé la philosophie de ses termes barbares, et qui a civilisé cette science si nécessaire à la conduite de la vie des hommes qui veulent s’éloigner du commun. Il y a vingt-cinq ans et plus qu’il en fait une profession publique, mais bien éloignée de la manière ordinaire des écoles. Il l’a rendue si facile que les  dames et les jeunes enfants se sont trouvés capables de l’apprendre, tant il est clair et méthodique en ses discours. »

S’il en était resté à n’être qu’un conférencier mondain, Louis de Lesclache aurait sans doute laissé un souvenir comme un philosophe spécialiste d’Aristote au XVIIe siècle, jusqu’à ce que René Descartes détrône la vieille philosophie aristotélicienne (qu’on me pardonne ce raccourci rapide).

Mais ce qui valu à Louis de Lesclache l’oubli dans lequel il a sombré, est aussi ce qui chez lui m’amuse beaucoup. Il était un singulier soixante-huitard… En 1668, il a eu l’idée saugrenue de publier [sic] Les Véritables règles de l’ortografe francèze, ou l’Art d’aprandre an peu de tams à écrire côrectemant, Disponible ici sur Gallica BnF . Il s’agissait, à ses yeux, de démocratiser l’écriture (difficile à populariser cause des règles complexes de l’orthographe française)…

À l’époque où se créait l’académie française et une fixation d’une orthographe qui est encore en grande partie la nôtre cette audace lui fut funeste. Il dut quitter Paris pour s’installer dans sa ville natale de Lyon et y mourir oublié… Pour Ferdinand Brunot, le grammairien du début de XXe siècle (lui-même inspirateur d’une réforme de l’orthographe), les idées de Louis de Lesclache manquaient d’esprit de système. Brunot écrit à propos de notre homme : « Ce n’est pas un esprit absolu. Il est la fois logique et inconséquent, hardi et timide. Il serait curieux de savoir si L’Esclache fit des disciples parmi ses élèves. Mais ceux-là n’imprimaient pas… » Ferdinand Brunot dans son Histoire de la langue française, des origines à 1900 (tome IV, la langue classique (1660-1715) consacre tout de même deux pages à Louis de Lesclache. (cliquez ici).

Sa tentative d’instaurer de nouvelles règles orthographiques fit un bruit considérable et devint l’occasion d’un champ de bataille où s’opposaient partisan de l’ « étymologie » et partisan du « fonétisme ». L’abbé de Dangeau en fit partie de ses derniers et il était favorable à Louis de L’Esclache. Antoine Furetière avait quant à lui rejoint les partisans de l’ «étymologie». Dans son dictionnaire, il critique vivement les tentatives de réforme de l’orthographe dont Louis de L’Esclache était un des maillons. Dans l’article « orthographe » de son dictionnaire, voici ce qu’écrit Furetière : « Le premier qui a voulu changer l’orthographe fut Jacques Pelletier du Mans, qui soustint qu’il falloit escrire comme on parle, & aprés luy Louïs Maigret, Pierre la Ramée dit Ramus, Jean Anthoine de Baïf, & de nostre temps l’Esclache. Ces opinions ont esté traitées de ridicules. » 

Un certain Monsieur Mauconduit avait pris le temps de répondre en détail à la méthode de Louis de l’Esclache dans son « Traité de l’orthographe, dans lequel on établit par une méthode claire et facile, fondée sur l’usage et sur la raison, les règles certaines d’écrire correctement et où l’on examine par occasion les règles qu’a données M. de Lesclache… »

Disponible ici sur Gallica BnF 

À défaut d’avoir réussi à imposer sa réforme de l’orthographe, notre philosophe à la mode a donc peut-être invité les grammairiens de son temps à faire des efforts de clarté. 

En 1694, l’Académie Française Française, dans la préface de son dictionnaire, se prononça contre le «fonétisme» et pour l’étymologie, s’attachant à l’ancienne orthographe «receuë parmi tous les gens de lettres, parce qu’elle ayde à faire connoistre l’origine des mots». 

De Louis de Lesclache on ne connaît pas de portrait, aucun peintre, ni sculpteur ni graveur ne semble s’être intéressé à lui. Pour garder mémoire de sa figure, il nous reste des vers publiés par l‘abbé Bordelon dans Le Livre à la mode (Paris 1699): 

« Grand économe de la table 
Où l’esprit se nourrit et devient raisonnable, 
Aristote de Cour, esprit incomparable, 
La sagesse après toi n’ira jamais plus haut. 
Par toy le philosophe a l’esprit agréable 


Et tourné comme il faut. 
Il sait discourir juste et parler sans défaut, 
Et la Philosophie, hélas! si misérable, 
Morte sous la poussière et couverte de sable, 
Dont la barbare École injustement l’accable, 
Ravit par la méthode et revit plus aimablee. 
Mais lorsque l’on entend la divine Giraud, 
En elle plus qu’en tout, tu parais admirable, 
Et cette écolière adorable 
Te rend un maître heureux autant qu’inimitable. 

Vous, savants d’Universités, 
Gens d’appareil, Docteurs de Facultés

Grotesques débiteurs d’universalités, 
Dites, dites, pédants crottés. 
Si tous vos collèges ensemble, 
Fût-ce Harcourt, Navarre ou Beauvais, 
Ont fait ou feront jamais 
Un maître es arts qui lui ressemble 
»

Il reste une dernière énigme à résoudre concernant Louis de Lesclache, selon certains, il ne serait pas lui-même l’auteur de ses livres… Ce serait sa femme qui les aurait écrit. Cette thèse est notamment défendue dans l’Année des dames, ou Petite biographie des femmes célèbres pour tous les jours de l’année. Tome 2 / (1820) Par Mme Gabrielle de Paban. On y lit que « très versée dans la philosophie ; [Madame Lesclache] composa plusieurs livres de morale qu’elle publia, par modestie sous le nom de son mari. »

Il y aurait donc sans doute encore beaucoup de choses à dire au sujet de Louis de Lesclache. Derrière le soixante-huitard «fomenteur de troubles orthographiques», bien des sujets mériteraient encore d’être abordés. Gallica BnF donne matière à lire pour en apprendre plus sur Louis de Lesclache, sa pensée, son temps, ses idées…

Bibliographie 

Ouvrage de Louis de Lesclache

Tome 1 La philosophie divisée en cinq parties, par Louis de Lesclache. (1648)

Tome 2 La Seconde partie de La Philosophie ou Science générale , par Louis de Lesclache… (1650)

La Philosophie particulière, combattüe par celle de l’École . Où l’on examine les discours & les tables d’un philosophe de ce temps (1650)

Les Avantages que les femmes peuvent recevoir de la philosophie, et principalement de la morale . Ou L’abrégé de cette science . A Paris, chez l’autheur, proche le Pont-neuf, en la ruë neuve de Guenegaud. Et Laurent Rondet, ruë S. Jaques, à la longue Allée, vis-à-vis la ruë de la Parcheminerie. 1667. Avec privilege du roi. 

Les Véritables règles de l’ortografe francèze, ou l’Art d’aprandre an peu de tams à écrire côrectemant, par Louis de L’esclache, Date d’édition : 1668.

L’art de discourir des passions, des biens et de la charité, ou Une méthode courte et facile pour entendre les tables de la philosophie qui ont été faites . par Louis de Lesclache (1670) 

Abrégé de la philosophie en tables, suivie des tables de la science générale par Louis de Lesclache [sd]

À propos de Louis de Lesclache

Un article signé Ch. Urbain lui est consacré dans la Revue d’Histoire littéraire de la France (1894), on s’en est largement inspiré ici.

Petit de Julleville consacre quelques lignes à Lesclache dans son Histoire de la langue et de la littérature française des origines à 1900 

Ferdinand Brunot dans son Histoire de la langue française, des origines à 1900 (tome IV, la langue classique (1660-1715) consacre deux pages à Louis de Lesclache.

Emile Colombey, Ruelles, salons et cabarets : histoire anecdotique de la littérature française, on trouve deux allusion à Louis de Lesclache dans le chapitre IV L’Académie de la vicomtesse d’Auchy 

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